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Jean-Jacques Greffet : Contrôler la lumière à l’échelle nanométrique

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 11 avril 2022 , mis à jour le 11 avril 2022

Jean-Jacques Greffet est chercheur au Laboratoire Charles Fabry (LCF – Univ. Paris-Saclay, Institut d’Optique Graduate School, CNRS) et directeur de l’Institut des sciences de la lumière (ISL).  Au sein de l’équipe Plasmonique et nanophotonique quantique, le physicien traque de nouvelles propriétés de la lumière à l’échelle nanométrique pour transformer notre vie quotidienne.

La nanophotonique consiste à manipuler et à étudier la lumière à l’échelle du nanomètre (1 nm ou 10-9 m). Cette nouvelle discipline est née il y a une vingtaine d’années de la rencontre de plusieurs communautés scientifiques : les opticiennes et les opticiens qui défient, dans les années 80, la loi de la physique selon laquelle on ne peut pas résoudre des objets plus petits que la longueur d’onde ;  les physiciennes et les physiciens qui parviennent à fabriquer de la matière (des semi-conducteurs) capable d’émettre, d’absorber et de modifier la lumière à l’échelle de quelques nanomètres, et les chimistes qui réussissent à synthétiser des nanoparticules. « La nanophotonique réussit à enfermer dans de petits volumes des photons et des électrons pour les obliger à interagir et donc à émettre ou absorber la lumière de façon contrôlée », complète Jean-Jacques Greffet.

 

De nouvelles propriétés de la lumière

« En dessous de 100 nanomètres, la plupart des comportements de la matière change, expose Jean-Jacques Greffet. Les nanosciences ont ce statut privilégié de faire émerger de nouvelles propriétés physiques à cette échelle. » Par exemple, en dessous de 100 nanomètres, la loi physique qui établit la résistance d’un fil électrique devient caduque. La couleur de la matière, également, se transforme : l’or devient vert et partiellement transparent. Les nanoparticules d’argent, quant à elles, virent au rouge à 10 nanomètres. « C’est d’ailleurs ce type de particules qu'utilisent les tests de grossesse ou les auto-tests Covid, commente le chercheur. Les nanoparticules d’argent sont petites mais extrêmement visibles. En utilisant des anticorps qui s’accrochent sélectivement à ces nanoparticules et au virus que l’on cherche à identifier, il est possible d'accumuler des nanoparticules dans la zone de test et de voir ainsi à l'œil nu leur présence ou leur absence, et les virus qui y sont accrochés. »

 

Façonner le rayonnement incandescent 

Jusqu’à récemment, la physique nous enseignait que le transfert radiatif entre deux surfaces ne pouvait être supérieur à une certaine valeur dépendant de la température. En étudiant l’incandescence à l’échelle du nanomètre, Jean-Jacques Greffet prouve au contraire qu’en champ proche, c'est-à-dire pour des distances de séparation inférieures à 100 nm environ, cette valeur augmente en réalité de dix, cent ou mille fois plus, et met à jour deux nouvelles propriétés physiques. « Lorsqu’on s’approche d’une surface à moins d'un micromètre (1 µm ou 10-6 m), la densité d'énergie électromagnétique est de cent à mille fois plus intense que ce que l'on trouve à dix micromètres. Ainsi, le flux échangé entre deux surfaces rapprochées à des distances inférieures au micromètre peut augmenter dans les mêmes proportions. L’évacuation de la chaleur se fait alors sans contact. » L’autre propriété tout aussi étonnante du rayonnement de champ proche est de pouvoir être quasi monochromatique car c’est souvent une fréquence particulière qui domine en fonction des matériaux. « Ces propriétés permettent d'envisager des applications dans le domaine de la conversion d'énergie thermo-photovoltaïque, par exemple. »

 

La lumière à l’échelle de l’invisible

« Il est également possible de mettre au point des sources incandescentes dont les propriétés étaient encore inconcevables il y a peu de temps : directionnelles comme un laser, à spectre étroit, émettant du rayonnement polarisé. » Ces sources sont aussi très rapidement modulables : « Nous pouvons allumer et éteindre une source incandescente plus de dix millions de fois par seconde. Cela nécessite de la refroidir en un millionième de seconde en posant des fils extrêmement petits sur un substrat froid. Pour atteindre ces objectifs, nous fabriquons des métasurfaces qui sont constituées de petits disques de métal déposés sur un substrat multicouche et dont les diamètres et les épaisseurs sont inférieurs au micromètre. Nous parvenons ainsi à fabriquer des systèmes qui absorbent préférentiellement certaines fréquences de façon extrêmement efficace. » Ces métasurfaces, structurées à une échelle invisible, révèlent alors des propriétés d'absorption et d'émission de la lumière qui n’existent pas dans la nature, et permettent d’en contrôler tous ses aspects. 

Le chercheur publie en 2015 un premier article sur la réalisation de sources directionnelles et monochromatiques, un autre cinq ans plus tard sur leur modulation et un troisième va prochainement paraître sur l'émission polarisée circulairement. 

 

100 % Paris-Saclay

Toute la caractérisation et la conception optique des recherches de Jean-Jacques Greffet sont minutieusement dimensionnées avant la fabrication des systèmes, soit au Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N – Univ. Paris-Saclay, CNRS, Univ. de Paris) soit chez Thales, situé juste en face de l’Institut d’Optique Graduate School où se trouve le Laboratoire Charles Fabry. Le chercheur collabore également avec l’ONERA, l’Institut des sciences moléculaires d'Orsay (ISMO – Univ. Paris-Saclay, CNRS) et le Laboratoire de physique des solides (LPS – Univ. Paris-Saclay, CNRS). Il faut dire qu’il connaît bien l’environnement de l’Université Paris-Saclay.  « Je suis un produit Paris-Saclay à un point rare » s’amuse- t-il. 

Il choisit la physique dès l’âge de 18 ans. « C’est une discipline qui répondait aux questions que je me posais sur le monde étant enfant. » Il entre en 1979 à l’École normale supérieure de Cachan (aujourd’hui ENS Paris-Saclay) et devient agrégé en 1982. Le chercheur effectue sa licence et son master de physique des solides à l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay) puis soutient sa thèse à l’École centrale en 1988. Alors qu’il y enseigne comme assistant agrégé, il est recruté maître de conférences puis professeur. Après 25 ans, Jean-Jacques Greffet quitte l’École centrale pour l’Institut d’Optique Graduate School en 2010.  « J’ai souhaité me recentrer sur la recherche et l’enseignement en optique. » En 1992, il passe une des premières HDR et scelle son destin scientifique en 1994, en emboitant ses recherches sur la découverte de la microscopie de champ proche optique. « Il faut savoir prendre le train en marche lorsque quelque chose de très nouveau apparait en sciences. » En 2015, il devient Fellow de l'Optical Society of America et reçoit la même année le Prix Servant de l’Académie des sciences. Le physicien est aussi membre senior de l'Institut universitaire de France de 2009 à 2014, puis de 2015 à 2020. 

Après avoir dirigé l’école doctorale Ondes et matière (EDOM) de 2014 à 2019, Jean-Jacques Greffet prend la direction de l’Institut des sciences de la lumière (ISL) de l’Université Paris-Saclay. « Le rôle de l'ISL est de rendre visibles les travaux d’excellence des 700 chercheurs et chercheuses de toutes disciplines qui travaillent dans le domaine de la lumière à l’Université Paris-Saclay, de manière transversale avec les autres Graduate Schools. » L’objectif est également de créer des synergies en proposant des colloques, des séminaires, des programmes ou même des financements de thèses inter-Graduate Schools. L’ISL propose aussi d’organiser des écoles d’été. « Nous souhaitons qu’elles soient récurrentes et s’installent dans la durée pour devenir des références à l’international. En favorisant aujourd’hui le brassage d’étudiantes et d’étudiants de tous les pays, nous façonnons l’avenir international des sciences de la lumière à l’Université Paris-Saclay », conclut Jean-Jacques Greffet.

 

Jean-Jacques Greffet