JUSTINE CHAPUT : DOCTORANTE EN DEMOGRAPHIE SUR UN SUJET DE SANTE PUBLIQUE : L’AVORTEMENT

Justine Chaput entame une licence en sociologie à l’Université Lyon 2. Elle poursuit ensuite un master en Sciences des populations à l’Institut de Démographie de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. À l’issue de son master, elle commence une thèse au sein de l’Unité de Recherche 14 – Santé et droits sexuels et reproductifs de l’INED, un laboratoire affilié à la Graduate School de Santé Publique. 

Un intérêt pour l’avortement né de rencontres et de circonstances

L’intérêt de Justine pour l’avortement naît au fil de ses expériences académiques et personnelles. Lors de sa troisième année de licence, elle part en échange Erasmus à Maynooth University, en Irlande. En 2018, elle découvre un mouvement social pour la légalisation de l’avortement, jusqu’alors illégal dans le pays. Les femmes irlandaises partaient à l’étranger ou se procuraient des pilules abortives pour avorter.  

Lors de son stage au Planning familial en master 1, Justine apprend que certaines femmes en France se rendent également à l’étranger pour avorter lorsque le délai légal de l’IVG est révolu. Mis en perspective de la situation en Irlande, ce constat suscite chez elle de nombreuses interrogations sur le non-droit à l’avortement, ce qui la pousse à choisir comme sujet de mémoire de M2 : « Raconter son avortement : Apports des récits de résidentes irlandaises publiés sur Facebook ». 

Cet intérêt se transforme en un véritable projet de thèse, où Justine décide de se concentrer sur l’étude des avortements réalisés hors du délai légal de l’IVG en France. L’objectif est d’explorer ce qui se passe pour les femmes qui ne peuvent plus avorter dans le cadre de l’IVG, et comment elles réussissent à contourner cette interdiction. 
 

L’évolution du projet de thèse

En 1975 par la loi Veil formalise deux types d’interruptions de grossesse : l'interruption médicale de grossesse (IMG) et l'IVG. L’IVG, autorisée jusqu’à 14 semaines de grossesse (16 semaines d'aménorrhée) et sans accord préalable d’un service de santé. En revanche, l'IMG, qui peut être réalisée à n’importe quel moment de la grossesse pour des raisons médicales, doit faire l’objet d’une validation deux médecins, dont au moins un fait partie d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN). 

L’avortement fait l’objet d’un suivi statistique annuel, mais pour des raisons méthodologiques, l’IMG avait été écartées des analyses. La rareté des études sur l’IMG pousse Justine à réorienter son sujet de thèse et à se concentrer sur ce domaine peu exploré. 

Son projet prend alors la forme d’une analyse approfondie de l'IMG : L’interruption de grossesse pour motif médical : un avortement pas comme les autres ? Les contours de l’IMG en France au XXIe siècle (titre provisoire). 

Pour sa recherche, Justine prévoyait de travailler sur plusieurs bases de données afin de pouvoir traiter sa problématique sous plusieurs angles. L’une des bases de données sélectionnées est le Système National des Données de Santé (SNDS), qui réunit les données de remboursement des soins. Cependant, au vu de la quantité et richesse de l’information disponible dans le SNDS et du temps requis pour le maîtriser, il a été décidé de ne travailler que sur cette base de données. 

Justine explique alors aux étudiants venus l’écouter qu’un projet de recherche évolue en fonction des données disponibles, de la littérature et de l’importance de se concentrer sur une problématique peu ou pas encore étudiée. Ces évolutions font partie intégrante du travail de recherche et, par conséquent, de la thèse.

 

Trois axes de recherche

La recherche de Justine se structure autour de trois axes principaux d’analyse : 


  1. Caractéristiques des IMG et des avortantes : 
    À partir des données disponibles, Justine cherche à dresser un profil des femmes ayant recours à l’IMG. Elle observe que, en 2023, la France a comptabilisé 242 000 IVG pour seulement 8 400 IMG, ce qui explique l’attention limitée accordée à cette pratique.
  2. Les variations temporelles : 
    Le ratio entre le nombre d’avortements et de naissances reste relativement stable dans le temps, mais les dynamiques sont différentes. Le nombre d’IVG a augmenté (le ratio était historiquement de 1 IVG pour 4 naissances, il est aujourd’hui de 1 IVG pour 3 naissances), tandis que le ratio IMG/naissance est stable sur les années récentes (1 IMG pour 100 naissances). Cette évolution peut s’expliquer par le contexte socio-économique et politique plus incertain : les femmes et les couples reportent peut-être les projets familiaux à plus tard.
  3. Disparités géographiques : 
    Justine analyse les disparités territoriales dans l’accès à l’IMG. Elle souligne que les femmes ayant recours à l’IMG doivent parcourir de longues distances, car les centres de diagnostic prénatal (CPDPN) ne sont présents que dans 38 départements français, ce qui ajoute de la complexité à la demande d’IMG. 
     

L’interdisciplinarité essentielle à la recherche

En parallèle des analyses statistiques, il y a tout un travail de revue de la littérature, de réflexion autour des catégories, données et méthodes utilisées et ce qu’elles permettent de dire ou non. Un travail d’interrogation s’installe autour des angles morts ou non exploités. Tout cela permet, à terme, de composer des chapitres de thèse et d’éventuelles publications. 

L’interdisciplinarité joue un rôle important dans cette réflexion et permet de voir le problème faisant l’objet de la recherche sous un angle nouveau, complétant ainsi les propos. Chaque discipline a ses propres codes et usages. Justine explique alors qu’en démographie, on se concentre sur les mouvements des populations et l’évolution des comportements. L’apport des autres sciences sociales permet de prendre davantage en compte le contexte politique, économique et social. Enfin, en santé publique, l’aspect des recommandations ouvre d’autres perspectives dans la manière de penser les résultats. Les rencontres avec des chercheurs et chercheuses issus d’autres disciplines ont incité Justine à aborder sa recherche sous divers angles, ce qui lui permet d’enrichir ses méthodes pour mieux comprendre les contextes spécifiques qui influent sur le recours à l’IMG en France. 
 

Activités annexes : l’exemple de la participation à la rédaction d’un livre sur l’histoire de l’avortement

Justine a eu l’occasion de participer à la rédaction du livre De haute lutte. La révolution de l’avortement, sous la direction de Stéphanie Hennette-Vauchez et Laurie Marguet, paru en janvier 2025. Il lui a été d’explorer, à partir des données quantitatives, le recours à l’IVG et à l’IMG au cours de la grossesse et d’analyser les éventuels liens entre les deux méthodes d’avortement. 

Plusieurs constats ressortent :  

  • La quasi-totalité des avortements (IVG + IMG) sont faits avant la fin de la 16eme semaine d’aménorrhée, donc dans le délai légal de l’IVG. Cela s’explique par le fait que les femmes  « au plus tôt » à l’avortement.  
  • Il y a un pic de recours à l’IVG à 7 semaines d’aménorrhées (SA). La concentration des IVG à ce terme s’explique notamment par la généralisation de la méthode médicamenteuse (80% des IVG en 2023) utilisée plus précocement que la méthode chirurgicale.
  • On constate qu’au lieu d’avoir une courbe stable, comme toute procédure médicale, il y a des pics de recours à l’IMG :  au début du deuxième trimestre de grossesse (et donc juste après le délai légal de l’IVG), et juste après les échographies. Cela suggère que les problèmes médicaux sont principalement détectés lors des échographies. 
     

La thèse de Justine Chaput sur l’IMG s'inscrit dans une démarche ambitieuse visant à combler une lacune dans la recherche en France. Son approche interdisciplinaire et ses trois axes de recherche fournissent des apports essentiels pour mieux comprendre ces pratiques médicales et les réalités vécues par les femmes. Ce travail pourrait, à terme, permettre de proposer des réflexions novatrices sur la manière dont les politiques publiques peuvent mieux répondre aux besoins des femmes en matière de droits reproductifs.