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Yves Gaudin : Comprendre et modifier les usines virales

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 19 mai 2022 , mis à jour le 25 mai 2022

Yves Gaudin est virologue, directeur de recherches à l’Institut de biologie intégrative de la cellule (I2BC – Université Paris-Saclay, CEA, CNRS) et directeur-adjoint recherche de la Graduate School Life, Sciences and Health de l’Université Paris-Saclay. Il fait aussi partie du groupe de travail Maladies infectieuses émergentes (MIE) de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) chargé de définir la liste des nouveaux pathogènes émergents sur lesquels l’effort de recherche doit se porter. Si le chercheur a récemment été exposé aux feux médiatiques au sujet des coronavirus, il a surtout consacré plus de trente ans de recherches aux rhabdovirus, à leurs mécanismes d’entrée dans la cellule ainsi qu’à leur usine virale. Des recherches dont la valorisation biotechnologique est source d’innovations thérapeutiques prometteuses.

Au sein du département de virologie de l’I2BC, Yves Gaudin dirige une dizaine de personnes qui étudient les rhabdovirus,. Le membre le plus connu de cette famille de virus est celui de la rage, qui appartient au genre des lyssavirus. La rage est une maladie infectieuse au taux de létalité le plus élevé : une rage déclarée est systématiquement mortelle. « Elle tue encore 60 000 personnes par an à travers le monde, essentiellement dans les pays en voie de développement, en Afrique, sur le sous-continent indien, en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud, affirme Yves Gaudin. Heureusement, étant donné son mode de transmission, nous ne risquons pas d’avoir d’épidémie comme avec d’autres virus. » Un vaccin contre cette maladie existe mais son efficacité ne couvre pas toutes les souches qui circulent dans le monde.

D’autres rhabdovirus, comme le virus Chandipura, un virus indien, provoquent des encéphalites mortelles chez les enfants, avec un taux de létalité de 50 %. « Bien que nous ne constations pas d’épidémie majeure à ce jour, nous n’avons aucune connaissance de son mode de transmission », signale le virologue.

 

Les usines virales

Les rhabdovirus ont la particularité d’avoir un génome constitué d’un ARN (acide ribonucléique) : à l’instar des coronavirus, ils possèdent une enveloppe et une protéine spike qu’on appelle la glycoprotéine G et qui leur permet d’entrer dans la cellule. C’est entre autres sujets sur ce mécanisme d’entrée du virus que travaille le chercheur.

Durant l’infection de la cellule, les virus induisent la formation de compartiments appelés « usines virales » et qui abritent une ou plusieurs étapes du cycle viral. « Nous étudions la façon dont le virus de la rage installe son usine virale au sein de la cellule, explique Yves Gaudin. En particulier nous cherchons à comprendre comment cette usine interagit avec l’immunité innée cellulaire (les défenses de la cellule) et comment le virus lui-même met en place ses propres contre-défenses pour échapper à celles de la cellule. »

 

Une première mondiale

L’équipe du chercheur a été la première au monde à démontrer que l’usine virale possède des propriétés très particulières : lorsqu’elle s’installe dans la cellule infectée, elle se forme par séparation de phases liquides, « comme de l’huile qui ne se mélange pas à l’eau ». L’article, publié en 2017 dans Nature Communications, lui vaut de recevoir le prix Bettencourt « Coups d’élan » en 2019. « Aujourd’hui, nous continuons à étudier les bases moléculaires qui permettent ces assemblages, précise le chercheur. Nous cherchons à savoir comment l’immunité innée perçoit ces structures et interagit avec elles, c’est-à-dire nous tentons d’identifier les protéines cellulaires capables de percevoir l’infection et celles exprimées par la cellule infectée pour contrer l’infection en modifiant les propriétés de l’usine virale. » 

 

Des applications biotechnologiques

Yves Gaudin s’intéresse aussi aux vésiculovirus, un autre genre de la famille des rhabdovirus. Le plus étudié est celui de la stomatite vésiculaire (VSV). « La glycoprotéine G, impliquée dans l’entrée de ce virus, est très utilisée en biotechnologie », déclare le virologue. Une fois modifiée, cette protéine s’utilise en thérapie génique. « Nous avons identifié des mutations qui abolissent la reconnaissance par la protéine de son récepteur naturel. Nous lui greffons ensuite un élément qui lui donne une nouvelle spécificité, tout en conservant ses propriétés. Ainsi, la glycoprotéine admet l’entrée uniquement dans les cellules qui sont à soigner. Nous espérons l’utiliser pour traiter des cancers en ciblant spécifiquement les cellules tumorales par un VSV modifié qui n’entrerait que dans ces cellules-là et les tuerait. » Cela éviterait tout risque de disséminer le virus aux cellules saines chez des personnes dont le système immunitaire est déjà fragilisé par la maladie et la chimiothérapie.

Le développement de la glycoprotéine se fait à l’I2BC et l’équipe collabore avec de nombreuses autres équipes de recherche en France, notamment à l’Institut Curie. Le projet a bénéficié de plusieurs soutiens et financements : programme de prématuration du CNRS, Association pour la recherche sur le cancer (ARC), Banque publique d’investissement (BPI) et start-up américaine. Depuis 2018, l’équipe a déposé deux brevets portant sur l’application de reciblage spécifique de la glycoprotéine du VSV, dont l’un vient de déboucher sur un contrat de licence par une entreprise américaine.

 

Coup de foudre pour la biologie moléculaire

Yves Gaudin a toujours voulu faire de la science. Après des classes préparatoires à Nantes, il prend la direction de Palaiseau et de l’École polytechnique. Il hésite alors entre les mathématiques et la physique. Mais nous sommes dans les années 80, en pleine épidémie du Sida, et le jeune Yves Gaudin veut comprendre pourquoi on meurt encore d’un virus au XXe siècle. Il se passionne pour le cours de biologie de Sylvain Blanquet et réalise son stage d’application au Laboratoire de génétique des virus à Gif-sur-Yvette, dirigé par Anne Flamand. Il s’engage dans un DEA puis une thèse sur la caractérisation de la structure de la glycoprotéine du virus de la rage. Après sa soutenance en 1992, il part une année en post-doctorat financé par la Fondation pour la recherche médicale. Un an plus tard, le CNRS le recrute en tant que chargé de recherche. Le succès arrive avec la publication de deux articles dans la revue Science en 2006 et 2007, qui relatent la détermination de la structure de deux conformations différentes de la glycoprotéine du VSV.

Pendant douze ans, Yves Gaudin enseigne à l’École polytechnique et ailleurs. Il préside également la section 20 du CNRS (Biologie moléculaire et structurale, biochimie) entre 2016 et 2021, avant d’être nommé directeur-adjoint chargé de la recherche de la Graduate School Life, Sciences and Health (LSH) de l’Université Paris-Saclay en mai 2020. « Cette Graduate School représente plus de 1 300 chercheurs et couvre un champ de recherches très large allant de la recherche fondamentale à la recherche translationnelle et la médecine clinique. Ma principale mission est de construire un continuum entre ces deux mondes qui s’ignorent trop souvent. » Son prochain défi consiste à rassembler tous les chercheurs et chercheuses de l’Université Paris-Saclay qui travaillent sur les cellules souches. L’objectif est de faire éclore des consortiums plus compétitifs pour répondre aux appels à projets et plus attractifs pour les industriels. « Si je n’y croyais pas, je ne le tenterais pas », conclut Yves Gaudin en souriant.