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Philippe Dillmann : Le physico-chimiste archéologue

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 29 avril 2020 , mis à jour le 22 septembre 2020

Philippe Dillmann est directeur de recherche CNRS, dont il vient de recevoir la médaille d’argent. Il est responsable du Laboratoire archéomatériaux et prévision de l’altération (LAPA - Université Paris-Saclay, CNRS, CEA). Sa spécialité est l’archéométrie : il marie des techniques d’analyse des matériaux très pointues utilisées sur les artefacts issus de l’archéologie, une des raisons pour laquelle est aussi aujourd’hui l’un des coordinateurs du Chantier CNRS Notre-Dame.

Au Laboratoire archéomatériaux et prévision de l’altération (LAPA - Université Paris-Saclay, CNRS, CEA)1, chimistes, chercheurs en sciences des matériaux et archéologues forment une équipe pluridisciplinaire unique en France. Ils s’intéressent à la naissance, à la vie et à la mort des métaux à différentes échelles du temps, pour obtenir des informations à la fois historiques et à des fins de restauration, de conservation et de prédiction.

Origine et datation

Pour remonter à l’origine des matériaux, Philippe Dillmann utilise des méthodes issues de la chimie et de la science des matériaux. « Nous parvenons à restituer les traitements thermiques qu’ont subi les métaux, mais également leur provenance, en comparant leur composition chimique et isototopique avec d’autres objets du même type ou des déchets (scories) trouvés sur des sites de production. Ils contiennent en effet des éléments en très petites quantités, autant de traces dont les rapports respectifs forment une signature. C’est comme une empreinte digitale : si deux objets trouvés à des endroits différents ont la même signature, il y a de fortes chances qu’ils aient été produits au même endroit ».

L’équipe collabore avec le Laboratoire de mesure du carbone 14 (LMC - Université Paris-Saclay, CEA, CNRS, MCC) pour réaliser les datations radiocarbone. Une prouesse, car il faut réussir à extraire le carbone du matériau ferreux, présent uniquement dans certaines zones microscopiques. « Grâce aux méthodes radiocarbone, on peut dater le carbone du charbon de bois retrouvé dans le métal, qu’on utilisait au XIXe siècle pour transformer le minerai en fer. »

Conservation et prédiction

Un autre objectif est de comprendre comment stopper le processus de corrosion des matériaux historiques, pour les protéger, mais aussi pour anticiper le futur comportement des matériaux contemporains, tels ceux qui stockent des déchets nucléaires. « Nous utilisons de vieux clous pour comprendre comment se forment et évoluent les couches de corrosion, ou étudier leurs interactions avec les produits de protection ». Le chercheur et son équipe sont ainsi les seuls au monde à avoir pu comprendre les mécanismes et déterminer la vitesse de corrosion d’objets, grâce aux expériences réalisées à l’échelle nanométrique au synchrotron SOLEIL.

L’archéométrie

Philippe Dillmann et son équipe sont leaders dans l’archéométrie. La discipline date des années 50, mais un cap a été franchi dans le degré d’intégration des sciences humaines. « Nous sommes les seuls à réellement co-construire avec les archéologues, qui font partie de l’équipe. C’est très important pour bien exploiter la bonne information chimique. Le lien avec eux nous permet d’utiliser à bon escient les techniques de pointe de la science des matériaux, du synchrotron, en passant par les spectromètres de masse, justement parce que les problématiques interdisciplinaires ont bien été posées. » Le chercheur, tout en étant basé au CEA Saclay, relève d’ailleurs de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS et anime CAI-RN, un réseau national en compétences archéométriques interdisciplinaires.

Des épées celtes au synchrotron

Philippe Dillmann obtient son diplôme d’ingénieur à l’Université technologique de Compiègne en 1995. Sa voie est choisie quand il étudie comment ont été fabriquées des épées celtes retrouvées sur un important site archéologique. « La science des matériaux pouvait apporter des réponses historiques ». En 1998, il soutient sa thèse sur les procédés sidérurgiques du Moyen-Âge pendant laquelle nombre de ses travaux ont lieu au Laboratoire pour l'utilisation du rayonnement électromagnétique (LURE) à Orsay, où il utilise un synchrotron pour la première fois. Il enchaîne avec un post-doc au CEA à Saclay en 1999. Il y est recruté un an après comme ingénieur-chercheur. À cette époque, il contribue à la création d’une équipe dédiée à la problématique de la prédiction du comportement des matériaux à très long terme. « Cette équipe existe maintenant depuis 20 ans. » En 2003, Philippe Dillmann devient chargé de recherches au CNRS.

Après la Mention au Grand prix de la Société française d’énergie nucléaire reçue en 2007, ainsi que le prix UGINE - René Castro de la Société française de métallurgie la même année, Philippe Dillmann vient d’obtenir la médaille d'argent 2020 du CNRS. « J’avoue être très touché. D’une part, parce qu’elle est attribuée par mes pairs pour l’ensemble de mes travaux ; d’autre part parce qu’elle récompense l’aspect réellement interdisciplinaire de mes recherches et de mon équipe ». Le mariage des sciences humaines avec la physico-chimie attire aussi les étudiants. « C’est une voie difficile », prévient le chercheur. « Il faut marcher à la passion, tout en conservant la rigueur scientifique » conclut-il.

 

1 Le LAPA regroupe des personnels et des équipements de l’unité Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l'énergie (NIMBE - Université Paris-Saclay, CEA, CNRS) et de l’Institut de recherches sur les archéomatériaux (IRAMAT – CNRS, Université technique de Belfort-Montbéliard, Université d’Orléans, Université de Bordeaux Montaigne).