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Un an après : où en est le chantier scientifique de Notre-Dame ?

Recherche Article publié le 15 avril 2020 , mis à jour le 15 avril 2020

Le 15 avril 2019, la cathédrale Notre-Dame de Paris est ravagée par un incendie. Une immense émotion saisit le monde entier, dont la communauté scientifique qui propose immédiatement ses services. Pour les chercheurs, il s’agit d’abord d’apporter leurs expertises dans le cadre de sa restauration et de sa préservation à l’avenir. Ces travaux de recherche, dont certains se déroulent à Saclay, ont commencé à dévoiler de nouvelles connaissances sur le monument.

Dès le mois de mai 2019, Martine Regert, directrice adjointe scientifique à l’Institut écologie et environnement du CNRS, et Philippe Dillmann, responsable du Laboratoire archéomatériaux et prévision de l’altération (LAPA - Université Paris-Saclay, CNRS, CEA), ont été désignés pour piloter le chantier scientifique Notre-Dame CNRS/Ministère de la Culture, en lien étroit avec l’établissement public administratif créé, de son côté, pour la restauration du monument. Ils coordonnent avec leurs homologues du ministère de la Culture, 175 chercheurs dans une cinquantaine de laboratoires et différentes institutions de recherche dans l’Hexagone. La majorité de ces chercheurs font partie de l’Association des scientifiques pour la restauration de Notre-Dame, fondée juste après l’incendie.

Des groupes interdisciplinaires aux horizons variés

Huit groupes d’étude ont été constitués. Quatre concernent les matériaux : le bois, les pierres, les métaux, le verre. Ils rassemblent aussi bien des chimistes et des chercheurs des matériaux anciens que des archéologues et des historiens. Deux autres groupes concernent le génie civil (calcul de structure) et l’acoustique. Un autre touche à l’ingénierie numérique : il modélise l’ensemble des données obtenues. Le dernier groupe, 100 % sciences humaines, étudie « l’émotion patrimoniale » suscitée par l’événement, la comparant à d’autres faits similaires dans le monde. Tous ces chercheurs d’horizons différents travaillent ensemble depuis un an, prenant garde de ne pas gêner le chantier de restauration, chaque domaine scientifique ayant ses objectifs et son calendrier. « Les recherches vont s’étaler sur les cinq prochaines années », raconte Philippe Dillmann. « Après la phase de mise en sécurité (l’échafaudage central est en train d’être démonté), celle du diagnostic de l’état des matériaux et du monument va se dérouler jusqu’à l’automne 2020 ».

Modéliser Notre-Dame

Pour étudier ces matériaux, il a fallu d’abord les trier, les évacuer puis les stocker dans les meilleures conditions. Les personnels du Laboratoire de recherches des monuments historiques (Ministère de la Culture) et de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) ont été les premiers à intervenir sur le site pour trier et inventorier les vestiges à étudier. « Faire des analyses sur une pierre n’a aucun intérêt si on ne sait pas d’où elle vient. Avant de les évacuer à l’aide de robots, nous avons dû repérer l’endroit d’où chacune d’entre elles était tombée. Nous avons déployé des techniques de photogrammétrie : des drones et des appareils photos placés à différents endroits ont photographié les objets sous différents angles afin de les « trianguler ». Ainsi, nous connaissons la provenance exacte de chaque objet retrouvé, qui est ensuite indexé dans la base numérique développée à cet effet », complète Philippe Dillmann. Des relevés laser du monument ont aussi été réalisés. À terme, c’est l’ensemble de toutes les données analytiques collectées qui seront stockées dans cet écosystème numérique.

Le plomb, une double problématique

Intégrée au « groupe métal », Sophie Ayrault, chercheuse au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE - Université Paris-Saclay, CNRS, CEA, UVSQ), tente de répondre à deux questions, celle de la contamination de la ville par le plomb de Notre Dame, pour des raisons sanitaires, et celle de son origine, pour des aspects historiques. Cette spécialiste du transfert de métaux dans l’environnement participe par ailleurs, avec 300 autres chercheurs, au projet PIREN-SEINE. Depuis longtemps, elle étudie la contamination des environnements urbains, parisiens en particulier, par le plomb, un phénomène que l’on retrouve dans d’autres villes anciennes du monde, telles que Chicago.  « Le plomb a la particularité de présenter une signature isotopique qui se conserve, de la mine dont il a été extrait, jusqu’à son état de polluant. L’analyse de sa signature suite à l’incendie (la couverture en contenait plusieurs tonnes partiellement vaporisées), va nous permettre de savoir si les plombémies positives détectées chez des habitants des environs immédiats, dans les mois suivant l’incendie, en découlent, ou si elles proviennent d’une source antérieure. » Réponse probable dans quelques mois : la signature isotopique de l’incendie ayant été déterminée, il n’y a plus qu’à la comparer avec celles des traces de plomb retrouvées dans Paris, celui Haussmannien en contenant déjà beaucoup.

Retour au Moyen-Âge

L’autre question concerne l’origine du plomb utilisé lors de la construction même de Notre-Dame. « C’est comme une enquête policière », confie Sophie Ayrault, qui travaille avec des historiens et des archéologues, dont Maxime L'Héritier, le responsable du « groupe métal ». Le plomb est partout (artefacts, vitraux), y compris dès l’origine de la construction de la cathédrale, dans la toiture et dans ses colonnes, où de petits coussins de métal ont été placés pour absorber les variations du sol. Certaines plaques n’ont pas complètement fondu. « Comment et où au Moyen-Âge a-t-on pu s’en procurer autant ?, se demande la chercheuse. Si on ne connait pas les routes commerciales de cette époque, des spécialistes comparent alors sa signature avec celle retrouvée dans les autres monuments qui en ont utilisé à la même époque, mais dans des lieux différents. » Les chercheurs en archéométrie savent en effet depuis longtemps que « l’utilisation du métal avec du bois faisait partie de la pensée constructive médiévale ». Delphine Neff, spécialiste de la corrosion des métaux anciens au CEA et chercheuse au LAPA, va de son côté tenter de déterminer la température de l’incendie en étudiant la modification des produits de corrosion des agrafes en fer. D’autres chercheurs du « groupe bois » tentent de repérer dans celui de la charpente, même carbonisé, les traces de carbone pour tracer leur origine et leur âge, utilisant les méthodes de pointe du Laboratoire de mesure du carbone 14 (Université Paris-Saclay, CEA, CNRS, MCC). Valérie Daux, du LSCE, collabore quant à elle au projet pour remonter le temps et étudier le climat du Moyen-Âge…


Un chaînage d’agrafes inconnu

« Jamais personne n’a vu une voûte médiévale en coupe », affirme Philippe Dillmann. C’est pourtant ce que le sommet écorché de Notre-Dame offre en taille réelle aujourd’hui. Beaucoup d’informations peuvent être exploitées et les chercheurs n’ont pas tardé à faire une découverte. « Il existe au moins trois chaînages d’agrafes qui ceinturent Notre-Dame, peut-être même depuis son origine. L’un d’eux, situé dans une des corniches, avait déjà été mis à jour par Viollet-le-Duc lors de sa restauration, mais un autre, situé au sommet des parois tout autour du cœur de la cathédrale, au niveau des tribunes, a été révélé pour la première fois en 800 ans ! », annonce Philippe Dillmann. Un monument qui, même meurtri, continue de dévoiler ses mystères et de passionner chercheurs et restaurateurs, fidèles et grand public.

 

Quels financements ?

Le milliard annoncé est injecté uniquement dans la restauration immédiate de Notre Dame. Le CNRS a débloqué une première somme et finance cette année cinq thèses par l’intermédiaire de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires. Les chercheurs répondent également aux appels d’offre (ANR, ERC, EUROPE…), dont certains ont créé une ligne spécifique pour Notre-Dame (Domaines d’intérêts majeurs de la région Île-de-France, Fondation des sciences du patrimoine). Par ailleurs, les organismes (comme le CEA) mettent à disposition locaux et équipements. Les recherches en acoustique sont par exemple financées par un programme européen [JPI He].