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Des diamants pour les technologies quantiques : e-DIAMANT lauréat EquipEx+

Innovation Article publié le 21 avril 2021 , mis à jour le 22 avril 2021

Bien connu comme pierre précieuse, le diamant est aussi un matériau au potentiel technologique remarquable. Ses défauts lui confèrent des propriétés originales, en particulier comme capteurs à l’échelle de l’atome. Le projet e-DIAMANT, porté par Jean-François Roch du laboratoire Lumière, matière et interfaces (LUMIN - Université Paris-Saclay, ENS Paris-Saclay, CNRS, CentraleSupelec) et coordonnant un réseau national de partenaires, propose de créer toute la chaîne nécessaire à la fabrication ces défauts et à leur exploitation. Lauréat de la sélection de l’appel à manifestations d’intérêt EquipEx+ du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, e-DIAMANT s’intègre dans la stratégie quantique française.

Le diamant est un matériau bien connu du grand public. Convoité comme gemme, il est aujourd’hui possible de synthétiser des cristaux quasi parfaits. Mais il est également possible d’introduire dans ce cristal, à l’échelle atomique, des défauts qui confèrent de nouvelles fonctionnalités au diamant. Depuis plusieurs années, Jean-François Roch et son équipe du laboratoire Lumière, matières, interfaces (LUMIN - Université Paris-Saclay, ENS Paris-Saclay, CNRS, CentraleSupelec), ainsi que toute une communauté scientifique française, s’intéressent au centre NV, constitué par un atome d’azote couplé à une lacune au sein de la maille cristalline. Ce centre NV, très sensible aux champs magnétiques, fait des diamants des matériaux au potentiel formidable pour le magnétisme à l’échelle nanométrique et pour la spintronique : il s’agit de détecter les propriétés magnétiques et supraconductrices de matériaux sous haute pression dans des cellules à enclumes de diamant, et d’élucider les structures chimiques par résonance magnétique nucléaire (RMN).

Lauréat – comme plusieurs autres projets liés à l’Université Paris-Saclay - de l’appel à manifestations d’intérêt EquipEx+ du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, qui finance des équipements structurants pour la recherche, le projet e-DIAMANT a pour objectif de développer et d’exploiter ces technologies.

 

Des diamants aux défauts contrôlés

Le projet porte sur toute la chaîne de production, depuis l’introduction des défauts dans les cristaux de diamant jusqu’au développement de magnétomètres pour les applications ciblées. Ces diamants sont, dans un premier temps, fabriqués par une technique appelée dépôt chimique en phase vapeur (CVD). Elle consiste à dissocier du méthane et de l’hydrogène dans un plasma pour déposer des couches successives de carbone, dont les atomes s’assemblent pour créer la structure cristalline du diamant. 

« L’idée directrice est de partir de diamant monocristallin, d’exploiter ses propriétés uniques en termes de transparence ou de dureté, et de le fonctionnaliser à l’échelle atomique par des défauts qui se comportent comme des atomes artificiels », explique Jean-François Roch. Le centre NV, qui servira de capteur, est soit fabriqué durant la synthèse du cristal, soit créé à partir d’atomes d’azote implantés à l’aide de faisceaux d’ions. Le champ magnétique environnant affecte les niveaux d’énergie du centre NV, autrement dit son état de spin. La combinaison des propriétés optiques et de spin de ces centres donne lieu à une lecture optique de l’amplitude et de l’orientation du champ magnétique à l’échelle de quelques nanomètres. Une résolution spatiale 1 000 fois supérieure à celle des magnétomètres classiques. Grâce à une pointe de diamant intégrant ce défaut à son extrémité, on peut ainsi cartographier le champ magnétique produit par l’aimantation d’un échantillon.

 

Un capteur polyvalent

Cellule à enclumes de diamant, dont celle du haut intègre des centres NV. Le champ magnétique appliqué est expulsé de la bille lorsqu’elle devient supraconductrice et est détecté optiquement par les centres NV excités par le laser.

Bénéficier d’un capteur intégré dans le diamant est une opportunité pour la physique des hautes pressions. C’est l’objet de la collaboration développée entre le LUMIN et le Laboratoire Matière sous conditions extrêmes (LMCE - Université Paris-Saclay, CEA). Deux enclumes en diamant sont alors usinées en pointe. En appliquant une pression sur les faces extérieures des enclumes et du fait de la résistance du diamant et de la différence de surface entre la face extérieure et la pointe, la pression appliquée sur l’échantillon piégé entre les deux enclumes peut atteindre plusieurs centaines de gigapascals (GPa), soit plus d’un million de fois la pression atmosphérique. « À ces pressions, la structure des matériaux est complètement modifiée. Si on prend un semiconducteur, à une pression suffisamment grande, il devient métallique et même supraconducteur. »

Le projet e-DIAMANT permettra d’intégrer les centres NV dans les enclumes de diamant de manière à les utiliser comme détecteurs in situ. En collaboration avec le synchrotron SOLEIL, le projet couplera les mesures par centres NV à la diffraction de rayons X pour résoudre de façon complémentaire la structure de la matière sous pression. 

Grâce à la participation du Centre européen de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (CEREGE - Université Aix-Marseille, CNRS, IRD, Collège de France, INRAE), le projet e-DIAMANT prévoit des applications en géologie, un domaine dans lequel déterminer les propriétés magnétiques est essentiel. Plus on sonde à une petite échelle, plus on remonte dans l’âge de la pierre. Les mesures par centres NV exploreront des questions encore ouvertes sur l’effet d’une très haute pression exercée sur les roches.

 

Un projet à l’échelle nationale

C’est aussi dans les procédés d’usinage des cristaux de diamant que le réseau de partenaires d’e-DIAMANT va progresser. Le financement EquipEx+ favorisera l’acquisition et le développement de nouveaux dispositifs pour adapter au mieux le diamant à l’application envisagée. Le calendrier du projet comprend deux ans consacrés à l’installation et au développement des nouveaux équipements, puis quatre autres à leur exploitation scientifique. Au total, dix laboratoires académiques sont impliqués, la plupart liés à l’Université Paris-Saclay : outre le LUMIN, le projet intègre le Laboratoire d'intégration de systèmes et de technologies (LIST – Université Paris-Saclay, CEA) pour l’étude de l’effet de la surface sur les centres NV, le Centre de nanosciences et de nanotechnologies  (C2N – Université Paris-Saclay, CNRS) pour la micro et nanostructuration du diamant, l’Unité mixte de physique CNRS/Thales (UMPhy - Université Paris-Saclay, CNRS, Thales) pour l’application à la spintronique, le Groupe d'études de la matière condensée (GEMAC – Université Paris-Saclay, UVSQ, CNRS) pour l’étude des défauts par des techniques optiques. 

e-DIAMANT couplera les travaux académiques à des enjeux industriels. En plus de Thales, partenaire industriel du projet et pionnier dans le développement des technologies de capteurs quantiques à base de diamant, des sociétés comme DiamConcept accompagneront également le consortium. 

La compétitivité dans le domaine est très forte au niveau international. L’Allemagne, les États-Unis, la Chine ou encore l’Australie figurent parmi les acteurs importants. « Mais nous avons le potentiel de faire de la France un fournisseur mondial de premier plan de diamants adaptés aux capteurs quantiques », défend Jean-François Roch. Le projet EquipEx+ e-DIAMANT s’inscrit ainsi dans le Plan quantique annoncé par le Président Emmanuel Macron le 21 janvier dernier au Centre de nanosciences et de nanotechnologies. L’expertise et le savoir-faire développé, ou en cours de développement, par les partenaires d’e-DIAMANT sont à la disposition d’outils de pointe pour les technologies quantiques.