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Yves Balkanski : Des poussières du passé aux climats futurs

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 23 septembre 2020 , mis à jour le 24 septembre 2020

Yves Balkanski est chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE - Université Paris-Saclay, CEA, CNRS, UVSQ) et à l’Institut Pierre Simon Laplace (IPSL) depuis 30 ans. Il est spécialisé dans l’étude des aérosols atmosphériques, qui concourent à modéliser les climats passés autant qu’ils permettent d’anticiper ceux à venir.

« L’équipe dont je fais partie travaille sur un des deux modèles français de « système TERRE », l’autre étant celui du centre de recherches de Météo France. Ce modèle décline les composantes de la Terre utilisées pour décrire le climat : atmosphère, surfaces, océan. À partir d’équations simples du mouvement et de la conservation d’énergie, nous recréons les circulations atmosphérique et océanique. Cela nous aide à comprendre le climat actuel, mais aussi ceux du passé, en remontant parfois très loin, jusqu’à plusieurs millions d’années, explique Yves Balkanski. Notre graal consiste bien sûr à prédire le climat que nous aurons dans 30, 100 ou 300 ans ». L’équipe collabore pour cela avec d’autres laboratoires académiques pour y puiser ses « modèles ».

Aérosols atmosphériques

Au cœur de cette équipe pluridisciplinaire, la spécialité d’Yves Balkanski se trouve dans l’atmosphère. Ce sont les aérosols, ces particules solides et liquides de très petite taille, variant d’une dizaine de nanomètres jusqu’à la centaine de microns, qui impactent les températures et les profils d’humidité de l’atmosphère. « Nous examinons leurs effets sur la radiation. Comme ces particules ont des diamètres similaires à la longueur d’onde de la lumière, elles s’avèrent très efficaces pour l’intercepter. Mais elles captent aussi le rayonnement tellurique de la Terre et réchauffent l’atmosphère », complète le chercheur.

Poussières et précipitations au Sahel

Yves Balkanski s’intéresse particulièrement aux poussières désertiques, dont l’étude est liée aux phases de sécheresse intense, comme celle du Sahel à la fin des années quatre-vingt-dix. Comprendre leur cycle devrait aider à les anticiper. Le chercheur examine précisément l’influence des oxydes de fer contenus dans ces particules. Minoritaires - ils représentent entre 1 à 5 % de la masse des particules -, ces oxydes causent l’absorption du rayonnement solaire et réfléchi. En absorbant la radiation de la lumière, les poussières réchauffent des couches d’atmosphère et plusieurs chercheurs ont constaté qu’elles provoquaient également des précipitations. 

Un enjeu : la survie des populations

« Il s’avère primordial de sérier les causes de ces précipitations. Si nous savons prévoir les températures, anticiper les précipitations se révèle plus difficile, alors qu’il s’agit d’un enjeu considérable pour les populations qui vivent dans ces régions ». Historiquement, ces changements climatiques ont été attribués aux niveaux et aux variations des températures des océans. « Aujourd’hui, nous pensons qu’ils sont aussi influencés par deux autres facteurs : le phénomène d’absorption des aérosols et le rôle de la végétation lorsqu’elle évapore son humidité au moment de la mousson. Ces deux phénomènes s’influencent l’un l’autre dans une « rétroaction négative » : avoir de la végétation crée un obstacle. »

Remonter le temps

Grâce à l’observation des taux de déposition des poussières dans les carottes de glace et dans les sédiments marins, qui les ont conservés pendant 19 000 ans, les chercheurs savent qu’il existait à cette époque-là deux à trois fois plus de poussières dans l’atmosphère terrestre. « À partir des interactions poussières/température et végétation/poussières, nous en déduisons les différents climats d’une région, et des autres. Nous pensons que les calottes de glace jouaient un rôle de « râpe à fromage » : en avançant et en se retirant, elles libéraient des matériaux à leur surface, qui se disséminaient un peu partout... Quand on les retrouve, on remonte à leur origine », explique Yves Balkanski. 

Hautement cité

Yves Balkanski fait partie des chercheurs les plus cités au monde (HiCiSci - Highly Cited Scientists). C’est une surprise pour lui, heureux malgré tout de constater la confiance de ses « pairs ». Est-ce une preuve de qualité ? « La caractéristique du chercheur est d’associer toutes les branches de la science pour avancer vers la découverte. J’ai toujours eu envie d’être chercheur. C’est un des très rares métiers où nous vivons en état de transe quelques pourcentages de notre temps, lorsque nous comprenons que nous sommes en train de pousser les frontières de la connaissance. Peu de métiers peuvent en revendiquer autant ! »

Aux jeunes qui se destinent à la recherche, Yves Balkanski n’hésite pas à dire qu’ils doivent se fixer un objectif ambitieux dès leur thèse. « Le choix du sujet et la manière de le traiter sont très importants, car ils permettent d’entrer et de se distinguer au sein d’une communauté scientifique. Si la question posée au départ est facile, c’est qu’elle aura probablement déjà été traitée. » Selon le chercheur du LSCE, la qualité du chercheur ne rime pas forcément avec l’excellence académique. « C’est surtout le désir tenace d’expliquer un phénomène et sa capacité à échanger avec les autres qui comptent. » Pour lui, il est également essentiel de mettre la science à portée du grand public et de faire le lien plus facilement avec les industriels au travers du recrutement des docteurs. Ces trois raisons ont conduit Yves Balkanski à devenir directeur-adjoint de l’Institut Pascal, un objet 100 % Université Paris-Saclay au service de la recherche dans toutes les disciplines. « La visibilité apportée par Paris-Saclay est fondamentale. »