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Wendy Mackay : Humain et ordinateur, un plaisir partagé

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 07 avril 2020 , mis à jour le 18 novembre 2020

Wendy Mackay est directrice de recherche au sein du centre Inria Saclay - Île-de-France. Elle dirige le groupe de recherche en interaction humain-machine (IHM) Ex-Situ, commun avec le Laboratoire de recherche en informatique (LRI - Université Paris-Saclay, CNRS). Reconnue internationalement dans cette discipline, qu’elle a fortement contribué à développer en France, la chercheuse est membre de l'ACM SIGCHI Academy (Association for Computing Machinery - Special Interest Group on Computer-Human Interaction), docteur Honoris Causa de l’université d’Aarhus au Danemark, et a été nommée ACM Fellow en janvier 2020, une distinction réservée à une poignée de chercheurs. Début novembre 2020, elle a également reçu le Suffrage Science Award du MRC London Institute of Medical Sciences qui récompense les réalisations des femmes dans le domaine des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STEM).

Le parcours peu banal de Wendy Mackay éclaire l’originalité d’une recherche aujourd’hui en pleine effervescence. Au temps, pas si ancien, où l’on commençait tout juste à parler d’ordinateur personnel, la jeune femme d’origine canadienne étudie la psychologie expérimentale à l’université de Californie à San Diego (UCSD), puis à Northeastern University. Les faibles débouchés dans ce domaine la mènent à la Digital Equipment Corporation (DEC) où, pendant cinq ans, elle crée une trentaine d’interfaces informatiques, dont le premier produit commercial de vidéo interactive sur ordinateur. L’envie de faire de la recherche est la plus forte : Wendy Mackay soutient une thèse en management de l'innovation technologique au Massachusetts Institute of Technology (MIT) en 1990, puis rejoint le prestigieux centre de recherche Xerox Parc à Cambridge. Peu après, elle rencontre le chercheur Michel Beaudouin-Lafon du Laboratoire de recherche en informatique (LRI - Université Paris-Saclay, CNRS) et se marie. Après deux ans à l’Université d’Aarhus, elle rejoint la France et entre à Inria en 2000, et elle crée au LRI le groupe de recherche In-Situ, dédié à l’IHM.

L’homme et l’ordinateur, partenaires

Wendy Mackay prévient d’emblée : « je ne fais pas uniquement de l’informatique. Je m’intéresse à l’être humain en train d’interagir avec la machine. Nous ne parlons pas d’interface mais bien d’interaction ». L’homme et la machine sont différents et complémentaires. Le vrai défi consiste à comprendre comment ils s’entraident : « le but des machines est d’aider l’être humain à faire mieux et plus ». La chercheuse appelle cela un « partenariat humain-machine ». « Nous partons du principe qu’un algorithme destiné à aider l’être humain a tendance à diminuer ses capacités (skills en anglais) », explique Wendy Mackay. Elle étudie alors comment réaliser des interactions qui, au contraire, aident les utilisateurs à augmenter leurs capacités lorsqu’ils utilisent un système intelligent. « L’être humain sait faire des choses que l’ordinateur ne peut pas faire, et inversement. Nous pouvons par exemple être impressionnés par un ordinateur qui joue aux échecs. En revanche, faire de l’humour demeure très compliqué pour lui. »

Enrichir la machine pour développer les capacités humaines

« L’intelligence artificielle est encore très loin des capacités du cerveau », constate Wendy Mackay, qui fait appel à sa compétence de psychologue pour examiner comment l’homme interagit avec le monde physique puis avec la machine. « Dans le monde réel, je peux par exemple écrire avec un stylo, mais aussi l’utiliser comme une règle pour tracer un trait. Dans le monde informatique, l’outil n’a pas d’autre utilisation possible que le dessin », analyse la chercheuse. Ainsi, elle travaille avec son mari sur la théorie de l’interaction instrumentale, qui vise à repenser fondamentalement la manière de créer des outils interactifs plus puissants et plus simples à utiliser. « On passe beaucoup de temps à taper sur l’écran de son téléphone portable. Or il s’agit du même geste que lorsqu’on joue du piano, sauf qu’on ne développe pas l’expressivité et la virtuosité, car l’appareil n’est pas prévu pour cela. »

Booster la créativité

C’est une des raisons pour laquelle Wendy Mackay et son équipe travaillent avec des artistes de tous horizons : musiciens, chorégraphes, graphistes et autres designers. « Les créatifs sont toujours en train d’inventer et de s’approprier les nouvelles technologies. Avec eux, nous explorons des technologies interactives innovantes, à l’aide de méthodes issues de plusieurs disciplines, de manière à combiner puissance et simplicité », explique la chercheuse, lauréate à ce titre d’une bourse ERC en 2013 pour un projet portant sur la création d’outils informatiques capables d’augmenter la créativité sans l’entraver. « La plupart des outils numériques sont conçus pour aider l’utilisateur à faire quelque chose, à condition qu’il sache à l’avance ce qu’il souhaite faire. Mais s’il n’en est pas tout à fait sûr, il doit disposer d’outils pour être créatif. »

Théoriser le design

L’IHM est très interdisciplinaire : elle fait appel à l’informatique, la psychologie, la sociologie et aussi à la méthodologie, via le design. « Je suis en train de rédiger un livre : « The Design Of Interactive Things » (ou Do It !). Il rassemble une collection de méthodes originales qui permettent d’appliquer ce que j’appelle des théories génératives. Elles sont le fruit de cette pluridisciplinarité et de mon expérience dans la recherche et dans l’industrie ». Le laboratoire de Wendy Mackay a acquis une réputation mondiale, les jeunes chercheurs et les projets y affluent. « Contrairement aux USA ou à l’Asie, l’Europe considère que les aspects humains du déploiement des systèmes d’intelligence artificielle sont très importants », se félicite la chercheuse, en concurrence avec les meilleurs laboratoires de la planète. De ce point de vue, grâce à la masse critique qu’elle permet d’atteindre, l’Université Paris-Saclay représente une « opportunité que tous les chercheurs doivent saisir ».

 

Crédits photo : © Inria / Photo H.Raguet