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Tsunamis générés par effondrements de terrain : du modèle au réel

Recherche Article publié le 16 décembre 2021 , mis à jour le 16 décembre 2021

La morphologie instable de nombreux reliefs terrestres les prédispose à des effondrements massifs. Si ces effondrements ont lieu sur les côtes des lacs ou des océans, - des conditions trouvées notamment au niveau des îles volcaniques, comme La Palma aux Canaries qui subit actuellement l’éruption du Cumbre Vieja - ils déclenchent potentiellement des tsunamis. Afin d’estimer l’amplitude des vagues et les risques encourus par les populations des côtes voisines, une équipe de chercheurs et chercheuses du laboratoire Fluides, automatique et systèmes thermiques (FAST – Univ. Paris-Saclay, CNRS), en collaboration avec le laboratoire Géosciences Paris-Saclay (GEOPS – Univ. Paris-Saclay, CNRS) et l’Université de Californie (Santa Barbara), a monté un dispositif expérimental de modélisation de ces phénomènes. Elle a établi une loi d’échelle entre la hauteur de vague et le volume de matériau impliqué, et l’a éprouvée avec succès grâce à une revue de cas historiques de tsunamis générés par des effondrements naturels.

Les tsunamis sont généralement déclenchés par des tremblements de terre, mais aussi par des glissements ou des effondrements de terrain, entrainant le déversement brutal d’un grand volume de matière, comme des roches ou de la terre, dans l’eau. Cela a été le cas en 2018, lorsqu’un pan du volcan indonésien en activité Anak Krakatau s’est effondré dans la mer. L’important volume de roches a provoqué une vague qui a fait plus de 400 morts et plusieurs milliers de blessés. Prédire les caractéristiques des tsunamis produits par effondrement constitue donc un enjeu majeur pour la sécurité des populations locales. 

Philippe Gondret et Yann Bertho travaillent au laboratoire FAST, au sein de l’équipe Granulaires et suspensions spécialisée dans l’étude des écoulements de grains secs ou immergés et les problématiques d’érosion. Les chercheurs tentent d’y modéliser à petite échelle ces phénomènes. « Tout a commencé avec notre collègue Alban Sauret, qui venait de travailler sur la problématique de l’effondrement potentiellement dangereux des falaises du Cap Canaille proche de Marseille, raconte Philippe Gondret. Il avait envie de continuer à explorer le sujet des tsunamis d’effondrement. C’est ainsi que notre collaboration a démarré, à l‘interface entre la physique mécanique et les sciences de la Terre. »

 

Un dispositif de simulation flexible

L’équipe du FAST développe un dispositif expérimental reproduisant la génération d’une vague par un effondrement granulaire dans une couche de fluide. « Grâce à l’expertise d’Alban Sauret et à sa connaissance de la bibliographie, on a assez vite eu des idées de nouvelles expériences à mener », relate Philippe Gondret. 

Le dispositif se compose d’une cuve d’eau, à l’extrémité de laquelle se trouve une colonne rectangulaire remplie de grains, initialement retenus par une porte. En ouvrant rapidement la porte, les grains tombent par gravité dans l’eau et déclenchent une vague dont les propriétés sont mesurées par traitement d’image, à l’aide d’une caméra. Une autre configuration, dans laquelle les grains s’écoulent le long d’un plan incliné, a également été testée.


Schéma montrant les deux dispositifs d’expérimentation permettant (a) une chute des grains abrupte, verticale (b) une chute le long d’un plan incliné, dans une cuve remplie d’une couche d’eau de quelques centimètres de profondeur (Crédits : M. Robbe-Saule, et al., doi:10.1038/s41598-021-96369-6).

Avec une cuve de deux mètres de long et une quinzaine de centimètres de large, le dispositif du FAST est d’une relative petite échelle comparé à certaines expériences menées dans des canaux mesurant jusqu’à dix mètres de long. « Nous sommes dans une approche d'hydrodynamiciens plutôt que d’hydrauliciens, explique Philippe Gondret. L'avantage d’un dispositif de taille plus modeste réside dans son agilité. On parvient plus facilement à faire varier les paramètres et à multiplier les expériences qu’avec un dispositif expérimental plus gros et lourd à manier. »

 

L’établissement d’une loi d’échelle

Grâce aux travaux des doctorants Manon Robbe-Saule et Wladimir Sarlin, l’équipe réalise de nombreux essais à partir de ce dispositif afin de déterminer ce qui caractérise au mieux la hauteur de la vague. « Nous avons mené des expériences avec des billes de verre qui rendent assez bien compte de la densité du sol, des sables ou des graviers, développe Philippe Gondret. Mais on a aussi utilisé des billes plus lourdes en acier ou plus légères en plastique, proches de la densité de la neige ou de la glace. »

L’équipe met en évidence une loi d’échelle reliant l’amplitude de la vague au volume de grains tombés dans l’eau et à la profondeur d’eau dans le bassin. L’approche des chercheurs, initialement physique et théorique, fournit des bases de compréhension et de modélisation pour des recherches plus appliquées par la suite : proposer une comparaison directe avec des événements de terrain.

Image montrant la vague générée par la chute dans l’eau de billes de verre initialement retenues en colonne verticale (Crédits : M. Robbe-Saule, et al., doi:10.1038/s41598-021-96369-6).

 

À la recherche des tsunamis passés : entre bibliographie et recherches de terrain

Mais appliquer cette loi d’échelle aux faits réels est loin d’être chose aisée. Documenter des événements géophysiques représente un important travail de bibliographie et de collecte de publications, parfois anciennes, et d’informations, souvent incomplètes. Comme l’explique Yann Bertho : « L’une des grosses difficultés concernant les événements réels est qu'il n'y a jamais de caméras ou de dispositifs de mesure qui captent ce qu'il se passe au moment de l’effondrement. Les événements surviennent souvent à des moments difficiles à anticiper et, pour estimer les hauteurs de vague par exemple, il faut faire un travail complexe de reconstitution à partir de relevés de terrain et de témoignages… quand il y en a ! »

La caractérisation de ces événements historiques passe aussi par la mesure a posteriori des quantités de matière qui se sont effondrées dans la mer ou les lacs. Pour mesurer et observer des traces de tsunamis anciens, les chercheurs démarrent une collaboration avec l’équipe d’Anthony Hildenbrand du laboratoire GEOPS, spécialisée dans les grands effondrements naturels. Au travers de campagnes dans différentes îles volcaniques, ils analysent des données bathymétriques - des relevés de reliefs sous-marins - afin d’identifier les dépôts d’effondrements et les mettre en lien avec les observations morphologiques et géologiques à terre. « Les mesures ne sont pas évidentes à faire, car les géologues doivent essayer d'estimer la quantité de matière qui s'est effondrée à partir des débris laissés sous l'eau », précise Yann Bertho.

 

Un modèle qui fait ses preuves

Finalement, les chercheurs du FAST et de GEOPS documentent et confrontent dix événements historiques au modèle établi par simulation. Une comparaison qui se montre satisfaisante, avec un bon niveau de prédiction malgré la différence de taille et de géométrie entre les deux.

L’équipe du FAST n’est cependant pas arrivée au terme de ses recherches, comme le relève Philippe Gondret : « Jusqu'à présent, pour des raisons de simplicité, nous avons réalisé nos expériences dans un canal étroit. Nous envisageons maintenant un dispositif avec un bassin moins confiné et une colonne cylindrique, afin d’observer les effets tridimensionnels qui pourraient être importants ». Un tel dispositif permettrait de s’approcher encore un peu plus des situations réelles et d’affiner la prévision de ces événements à risque. 

 

Références

  • M. Robbe-Saule, C. Morize, Y. Bertho, A. Sauret, A. Hildenbrand & P. Gondret, From laboratory experiments to geophysical tsunamis generated by subaerial landslides, Scientific Reports 11, 18437 (2021), doi:10.1038/s41598-021-96369-6
  • M. Robbe-Saule, C. Morize, R. Henaff, Y. Bertho, A. Sauret & P. Gondret, Experimental investigation of tsunami waves generated by granular collapse into water, Journal of Fluid Mechanics 907, A11 (2021), doi:10.1017/jfm.2020.807
  • W. Sarlin, C. Morize, A. Sauret & P. Gondret, Nonlinear regimes of tsunami waves generated by a granular collapse, Journal of Fluid Mechanics 919, R6 (2021), doi:10.1017/jfm.2021.400