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Troubles pédopsychiatriques : infléchir les trajectoires dès le plus jeune âge

Recherche Article publié le 02 juin 2023 , mis à jour le 02 juin 2023

Cet article est issu de L'Édition n°21.

 

Nombreux sont les troubles psychiatriques se manifestant dès l’enfance et l’adolescence. La recherche en pédopsychiatrie consiste à identifier ces signes au plus tôt et à suivre les jeunes patientes et patients afin d'éviter que de graves conséquences ne voient le jour.

Par définition, la pédopsychiatrie est la discipline médicale abordant les maladies mentales chez les enfants, adolescentes et adolescents. On peut retracer ses origines jusqu’au début du XIXe siècle et aux travaux de Jean- Marc Itard concernant Victor de l’Aveyron, l’enfant sauvage découvert dans la nature en 1797, et plus tard diagnostiqué comme atteint de troubles du spectre autistique. Cependant, il faut attendre 1973 pour que le premier diplôme universitaire français de pédopsychiatrie soit créé. Il existe pourtant des différences fondamentales entre l’étude psychiatrique d’adultes et d’enfants, d’après Bruno Falissard, pédopsychiatre et directeur du Centre de recherches en épidémiologie et santé des populations (CESP – Univ. Paris- Saclay, UVSQ, Inserm). « Pour commencer, le développement psychiatrique d’un enfant n’est pas le même selon son âge : un enfant change en permanence. Et de ce fait, par exemple, la dépression est différente chez un nouveau-né, chez un jeune enfant et chez un adolescent. La question centrale à la pédopsychiatrie, c’est le développement. Les études chez les enfants sont donc dimensionnées selon ce principe, détaille le chercheur. Ensuite, lorsque l’on parle des enfants, on parle également des parents. On étudie l’enfant de manière systémique (nous sommes obligés de considérer l’enfant à l’école, avec sa famille, etc.), tandis que l’adulte sera étudié de manière plus isolée (peut-être à tort). La recherche pédopsychiatrique est plus complexe que celle concernant la psychiatrie, et donc plus rare. »

Pédopsychiatre et membre du CESP, Alexandra Rouquette insiste elle sur l’avantage particulier à étudier des troubles mentaux chez des jeunes patientes et patients : « Les différents troubles qu’on peut diagnostiquer à des jeunes âges, sur lesquels on ne met pas forcément des étiquettes immédiatement, ne sont pas stables. L’intérêt de la pédopsychiatrie sur les enfants, adolescentes et adolescents, c’est cette possibilité que nous avons d’infléchir les trajectoires de certains troubles commençant à apparaître », détaille la chercheuse. Souvent, les observations des pédopsychiatres chez les enfants se résument à des symptômes intermédiaires, qui mènent ou non vers des troubles psychiatriques avérés (schizophrénie, dépression, etc.). « Finalement, nous observons plutôt des facteurs de risques de dépression que la dépression ellemême, chez les jeunes patientes et patients. Et tous ne deviennent pas dépressifs. Ce qui est intéressant, c’est donc d’identifier les facteurs et cibles sur lesquels nous pourrions agir pour éviter des évolutions défavorables », complète Alexandra Rouquette.

 

L’intelligence artificielle au service de la pédopsychiatrie

L’identification la plus précoce et large possible des facteurs de risques de troubles mentaux est donc au coeur des recherches en pédopsychiatrie. Au sein de leur équipe de recherche, Éric Artiges et Jean-Luc Martinot, respectivement psychiatre et pédopsychiatre à l’Inserm, se sont emparés des troubles anxieux et des prédicteurs de leur apparition à l’adolescence. À l’aide de méthodes d’intelligence artificielle comme le machine learning, les deux chercheurs de l’équipe Trajectoires développementales & psychiatrie, du Centre Borelli (Univ. Paris-Saclay, CNRS, ENS Paris- Saclay, Univ. Paris Cité, SSA), ont suivi la santé mentale de plus de 500 adolescentes et adolescents, dans le but d’identifier et de classifier des signes avant-coureurs de l’apparition de troubles anxieux. « Cette méthodologie d’intelligence artificielle est utilisée pour tenter de repérer les signes avant-coureurs qui pourraient caractériser le risque de développer un trouble, développe Jean-Luc Martinot. Notre étude montre qu’un symptôme unique ne peut expliquer le risque d’une maladie mentale en particulier. Mais c’est l’ensemble de ces nouveaux signes, lorsqu’ils sont présents, qui annonce un risque individuel élevé. »

Ces travaux ont été rendus possibles grâce à l’étude de cohorte européenne IMAGEN, lancée en 2008 et consistant au suivi de plus de 2 000 adolescentes et adolescents par mesures psychométriques, neuropsychologiques et par neuroimagerie. « C’est la première cohorte mondiale à étudier l’ensemble des changements se produisant au cours de l’adolescence », abonde Jean-Luc Martinot. « Un des résultats saillants de l’étude est la mise en évidence d’un développement du cerveau tout à fait caractéristique des adolescentes et adolescents, avec notamment des différenciations en fonction des genres et de l’environnement », développe le pédopsychiatre.

 

La psychométrie pour questionner les pratiques ancestrales

Au coeur de la grande majorité des études psychiatriques, qu’elles concernent les enfants ou non, un objet indispensable : le questionnaire, source potentielle de nombreux biais. Au sein de l’équipe Psychiatrie du développement et trajectoires du CESP, Alexandra Rouquette est spécialiste de psychométrie. « C’est l’étude de la mesure de tout phénomène, de nature psychologique ou non, perçu par les sujets. La méthodologie est centrale à mes recherches », explique la chercheuse.

Un des axes principaux d’étude de la chercheuse consiste à déterminer à quel point les caractéristiques de la personne qui remplit le questionnaire à la place de patientes ou patients (un parent lors des études pédopsychiatriques, ou un proche d’une personne en soins palliatifs, par exemple) influencent les éléments mesurés chez la patiente ou le patient. « Aujourd’hui je me demande si finalement, un parent déprimé ne remplirait pas un questionnaire concernant son enfant de manière différente s’il n’était pas déprimé ? » Aussi, Alexandra Rouquette interroge les pratiques limitantes aux origines de ces questionnaires. « Par exemple, lorsque l’on mesure la dépression à l’aide d’un questionnaire à dix questions, on s’attend à ce que les résultats de ce questionnaire reflètent la présence ou non d’une variable linéaire “dépression”. C’est assez grossier. Il est nécessaire de questionner les liens entre ces dix questions, ces symptômes (le surmenage, la fatigue, etc.) relevés ou non, dont l’apparition entraîne un cercle vicieux et favorise une dépression caractérisée. Cette méthodologie courante en sociologie, l’analyse des réseaux, est une alternative à la psychométrie traditionnelle et ouvre une voie innovante pour la compréhension du développement des troubles psychiatriques », précise la chercheuse.

 

La recherche pédopsychiatrique, une discipline en manque criant de moyens

Les récentes avancées en recherche pédopsychiatrique montrent dorénavant qu’à l’adolescence, le cerveau est en plein développement. « Cette tranche d’âge comporte plusieurs stades de vulnérabilité physiologique, mais aussi d’opportunités pour des interventions préventives adaptées en amont des soins », confirment Jean-Luc Martinot et Éric Artiges. Pour autant, faute de crédits suffisants, les études traitant du sujet se font rares : en France, il n’existe qu’une seule équipe Inserm centrée sur les questions de psychiatrie clinique et épidémiologique du développement. « Nous sommes la seule équipe de grande envergure », confirme Bruno Falissard. « Il manque des recherches interdisciplinaires chez les enfants, adolescentes et adolescents, alors que c’est précisément par la multidisciplinarité (les neurosciences, la physiologie, les mathématiques, l’épidémiologie, etc.) que l’on aide à décloisonner la recherche », constate Jean-Luc Martinot.

De manière corrélée à cette crise de la recherche disciplinaire, la pédopsychiatrie souffre également d’un manque de moyens. Dans un rapport rendu public en mars 2023, la Cour des comptes estime qu’environ 1,6 millions d’enfants, adolescentes et adolescents souffrent d’un trouble psychique, alors que la moitié seulement bénéficie de soins. Le rapport précise également que le nombre de pédopsychiatres en France, en baisse de 34 % entre 2010 et 2022, n’atteint pas 2 000 aujourd’hui. « Il y a un problème de reconnaissance sociétale, estime Bruno Falissard. Beaucoup d’à priori gravitent autour des troubles chez les enfants : on se dit qu’être jeune, c’est génial, qu’on ne rencontre jamais de problèmes à ces âges-là. Il existe une forme de cécité. Et donc quelque part, les pédopsychiatres seraient des personnes étranges voulant donner des médicaments aux enfants. Alors que non, il existe aujourd’hui des enfants qui tentent de se suicider », alerte le directeur du CESP.

 

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