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Télescope spatial James Webb : quand les astrophysiciens voient (infra)rouge

Recherche Article publié le 16 décembre 2021 , mis à jour le 16 décembre 2021

(Cet article est extrait de L'Édition n°17)

Avec ses dimensions vertigineuses et ses quatre instruments scientifiques embarqués, le télescope spatial James Webb, en partance pour l’espace, promet des observations de l’Univers dans le domaine infrarouge des plus excitantes. 

De leur propre aveu, la quête des astrophysiciens tient en quelques mots : voir toujours mieux les rayonnements qui parviennent de l’Univers, et obtenir d’eux le plus d’informations possible. À cet effet, les télescopes spatiaux sont de précieux alliés : à l’opposé des observatoires au sol, ces télescopes placés dans l’espace s’affranchissent de la déformation et de l’absorption du rayonnement occasionnés par l’atmosphère terrestre, qui dégradent fortement les observations. 

Fruit d’un travail collaboratif démarré il y a 25 ans entre les agences spatiales américaine (NASA), européenne (ESA) et canadienne (ASC), le télescope spatial James Webb (JWST) est le dernier né d’entre eux. S’il est le successeur du télescope spatial Hubble (HST) lancé en 1990 en orbite autour de la Terre et toujours opérationnel, le JWST s’inscrit aussi dans la lignée du télescope Spitzer, lancé en 2003 et dont la mission est achevée, avec lequel il partage le même goût pour le rayonnement infrarouge. Alors que les images et les spectres enregistrés par le HST se situent dans les domaines UV, visible et infrarouge proche, le JWST travaillera dans l’infrarouge jusqu’à des longueurs d’onde de 28 microns (μm). Car c’est dans l’infrarouge que s’observent les premières étoiles et galaxies très lointaines, dont le rayonnement, du fait de l’expansion de l’Univers, subit un décalage vers le rouge. Ce domaine spectral révèle aussi les poussières et les gaz interstellaires à partir desquels se forment de nouvelles étoiles et systèmes planétaires. Il rend également plus facile l’observation d’exoplanètes, ces planètes situées en dehors du Système solaire et en orbite autour d’une étoile très brillante dans le visible. 

Maintes fois repoussé, le décollage du JWST est désormais prévu après le 24 décembre 2021 depuis le Centre spatial guyanais à Kourou. Son miroir primaire de 25 m2 replié dans la coiffe de la fusée Ariane 5, il s’élancera vers sa future position en orbite, le second point de Lagrange (L2) situé à 1,5 millions de kilomètres en arrière de la Terre par rapport au Soleil. Il le rejoindra au bout de quatre semaines. Dans l’intervalle, le JWST déploiera son immense bouclier thermique et son miroir primaire. Le bouclier, de la taille d’un terrain de tennis, protégera le télescope des rayonnements du Soleil, de la Terre et de la Lune et le maintiendra le plus froid possible – à -233 °C, soit 40 K - pour limiter le rayonnement parasite infrarouge qu’il émet. Formé de 18 panneaux hexagonaux recouverts d’une fine pellicule d’or, le miroir réfléchit et focalise le rayonnement vers les quatre instruments de mesure embarqués. 

 

À la recherche des premières lumières

Une fois au point de Lagrange L2 et après une phase de tests de plusieurs mois, le télescope et les équipes internationales de scientifiques entreront dans le vif du sujet : l’étude des premières étoiles et galaxies nées il y a plus de 13 milliards d’années, de l’évolution des galaxies, des étoiles et des systèmes planétaires, des disques protoplanétaires, des conditions d’apparition de la vie, etc. 

Sans commune mesure avec les précédents observatoires spatiaux, les dimensions du JWST et les performances de ses quatre instruments scientifiques promettent de multiples découvertes. Avec ses 6,5 mètres de diamètre, il possède une résolution angulaire environ dix fois supérieure au télescope Spitzer et une sensibilité cent fois plus élevée. Logés au coeur du télescope, dans le module intégré d’instruments scientifiques ISIM, ces quatre instruments se nomment NIRCam, NIRSpec, NIRISS et MIRI. Les trois premiers fonctionnent dans l’infrarouge proche (entre 0,6 et 5 μm) : NIRCam est une caméra et un imageur spectral, NIRSpec un spectromètre à intégrale de champ et multi-objets, et NIRISS un imageur et spectromètre sans fente. Quant à MIRI (Mid-InfraRed Instrument), il s’agit d’un spectro-imageur fonctionnant dans le domaine infrarouge moyen (entre 5 et 28 μm). 

 

MIRIm, un imageur à trois fonctions

MIRIm

Issu d’une collaboration entre les États-Unis et l’Europe, MIRI est un petit bijou technologique. Il se compose de deux éléments distincts : un spectromètre à intégrale de champ et moyenne résolution spectrale, MRS, et un imageur, MIRIm. Ces deux sous-instruments partagent trois détecteurs infrarouges du même type, de 1024x1024 pixels chacun. Le développement de MIRIm a été confié à un consortium européen dont la contribution française est pilotée par le CEA sous l’égide du CNES. 

La conception, la construction et l’assemblage de MIRIm ont été assurés par le laboratoire Astrophysique, instrumentation et modélisation de Paris-Saclay (AIM – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, Univ. de Paris), avec la participation des trois départements techniques de l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers (Irfu) et de trois autres laboratoires français – l’Institut d’astrophysique spatiale (IAS – Univ. Paris-Saclay, CNRS) d’Orsay, le Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (LESIA – Observatoire de Paris, CNRS, Sorbonne Univ., Univ. de Paris) de Meudon, et le laboratoire d’astrophysique de Marseille (LAM – CNRS, CNES, Aix-Marseille Univ.) –, et des partenaires européens. 

MIRIm assure trois modes d’observation : un mode imageur pour photographier l’espace à travers neuf filtres à bandes spectrales larges dans l’infrarouge moyen, un mode spectrographe à basse résolution spectrale pour décomposer la lumière en spectres et caractériser les éléments chimiques et les molécules observées, et un mode coronographe pour masquer la lumière d’une étoile et observer son environnement proche. 

 

Une conception innovante

L’implication de l’AIM et de l’IAS dans le projet remonte à ses prémisses. Les responsabilités importantes prises par ces laboratoires s’expliquent par leur expertise scientifique et technique acquise lors de leur participation aux précédentes missions spatiales à grandes longueurs d’onde (ISO, Herschel, Planck…). Mais en 1998, développer un instrument comme MIRI relève encore de l’exploit. Car un tel instrument, contrairement aux autres présents dans le JWST, doit être refroidi activement pour fonctionner de façon optimale. « MIRI doit descendre en-dessous de 20 K et ses détecteurs infrarouges doivent même être à une température de 7 K (-266 °C), sinon un courant d’obscurité limite les observations. Un refroidissement réalisé à l’aide d’un réservoir d’hélium liquide, comme c’était le cas pour les précédents instruments spatiaux infrarouges, aurait limité le temps de vie de MIRI à quelques années », commente Pierre-Olivier Lagage, chercheur au laboratoire AIM et principal investigateur (PI) de MIRIm. Le refroidissement actif mis au point pour MIRI, basé sur des machines fonctionnant à cycle fermé, est en cela une vraie prouesse technique. 

« On a démarré la conception optique de MIRIm dès 1998, mais ça nous a pris environ cinq ans pour construire le design de l’instrument car la contrainte était de taille : il devait être compact et ne comporter qu’un seul mécanisme. Nous avons mis du temps à trouver la solution, basée sur une roue à filtres unique, compatible avec les trois modes d’observation de MIRIm », continue Pierre-Olivier Lagage. Cette roue comporte neuf filtres spectraux. Ces différents filtres laissent passer le rayonnement dans un intervalle donné de longueurs d’onde. « En faisant tourner la roue séquentiellement pour que chaque filtre soit positionné devant le détecteur, on obtient un ensemble d’images multispectrales », explique Alain Abergel de l’IAS. 

L’IAS a eu la responsabilité de concevoir et de développer le simulateur de télescope utilisé pour les tests optiques de MIRIm, réalisés au laboratoire AIM : « Une fois l’instrument assemblé, il a fallu s’assurer avant de le livrer que ses propriétés optiques correspondent bien aux spécifications », relate Alain Abergel. Au laboratoire AIM, l’équipe a construit le banc de tests comportant une enceinte sous vide munie d’un cryostat et un simulateur du JWST. « Cela a été une étape importante du projet. On n’a pas le droit à l’erreur, car une fois au point de Lagrange L2, personne ne viendra réparer le télescope en cas de dysfonctionnement ! », souligne Pierre-Olivier Lagage. 

 

Améliorer les données brutes

En plus des développements de MIRIm, les chercheurs mettent au point des méthodes algorithmiques originales pour améliorer les données produites. Car tout instrument « dégrade » les objets observés, que ce soit spatialement ou spectralement, ou en ajoutant du bruit. « Dans l’idéal, l’observation d’une étoile lointaine devrait donner un point. Or dans la pratique, on obtient plutôt une tâche élargie. Il s’agit de la fonction d’étalement du point », explique Pierre-Olivier Lagage. Fondamentale en astrophysique, cette fonction découle directement du phénomène physique inhérent à tout appareil photographique : la diffraction du rayon lumineux incident à l’entrée de l’objectif. « Plus le télescope est grand et plus la tâche devient petite », commente Pierre-Olivier Lagage. Malgré ses 6,5 m de diamètre et sa résolution spatiale bien supérieure à ses prédécesseurs, la capacité du JWST à séparer des points très proches dans le ciel rencontre tout de même une limite. « L’image obtenue n’est jamais parfaite. L’information spatiale est dégradée et cela est vrai pour n’importe quel instrument optique », complète Alain Abergel. Il faut alors « déflouter » les données. 

MIRI

Corriger les pixels « fous » des détecteurs infrarouges a été un autre élément à prendre en considération. Parmi les pixels de chaque détecteur, il est statistiquement avéré qu’un très petit nombre d’entre eux ne fonctionnera pas nominalement. Comme les pixels morts, qui restent noirs dans l’image. Ou ceux touchés par les rayons cosmiques, qui produisent des valeurs aberrantes. Pour corriger cela, la technique de dithering (tremblement) utilisée consiste à obtenir plusieurs images d’une même région légèrement décalées les unes par rapport aux autres. « On s’assure que plusieurs pixels différents, dont au moins un qui n’est pas “ fou ”, observent la même région », explique Alain Abergel. En décalant très légèrement les images entre chaque prise, on réalise également de la super-résolution, ce qui améliore l’information spatiale contenue : l’image devient plus nette. 

 

Les exoplanètes dans le viseur

S’il est un axe de recherche qui a pris de l’ampleur au fil des années, c’est bien celui lié aux exoplanètes. Avec la découverte et l’observation de la première d’entre elles en 1995, puis toutes celles qui ont suivi – on en recense aujourd’hui plus de 4 700 et leur nombre ne cesse de croître –, utiliser le JWST pour mieux les caractériser est vite devenu une évidence. Le consortium européen, qui en tant que constructeur de MIRIm est assuré de bénéficier de 450 heures d’observation, consacrera 110 heures à l’étude des exoplanètes. Les autres programmes concerneront les disques de poussières protoplanétaires, les observations extragalactiques, la supernova 1997A et les régions de photodissociation. 

Le JWST s’attachera à écrire un nouveau chapitre dédié à la caractérisation de l’atmosphère des exoplanètes. La détection de ces planètes peut se faire de façon indirecte grâce à la faible variation de luminosité de l’étoile qu’elles occasionnent en passant devant elle. Mais ces variations sont parfois si faibles qu’un grand nombre d’autres effets dominent et que le bruit est supérieur au signal à détecter. Le coronographe à masque de phase de MIRIm, dont la technologie a été mise au point à l’Observatoire de Meudon, permet, lui, la détection directe d’objets au voisinage de l’étoile en « éteignant » cette dernière. 

Les scientifiques cherchent à voir le spectre d’émission de ces planètes pour analyser la composition de leur atmosphère. « Quand la planète passe devant son étoile sur la ligne de visée du télescope, si elle possède une atmosphère et que des molécules y sont présentes, celles-ci arrêtent la lumière émise par l’étoile selon des bandes spectrales caractéristiques et deviennent identifiables par le spectrographe », détaille Pierre-Olivier Lagage. Ces molécules, telles que l’eau, le méthane, le monoxyde ou le dioxyde de carbone, la phosphine..., possèdent toutes des signatures dans l’infrarouge. 

« Le problème, c’est que le télescope James Webb a initialement été pensé pour voir loin. Or là, comme les étoiles observées sont proches, leur rayonnement sature les images. On a donc ajouté à MIRI un mode de spectroscopie sans fente qui ne lit qu’une partie du détecteur, commente Pierre-Olivier Lagage. Au final, on a mis à profit le retard pris par le lancement du JWST pour obtenir les meilleures méthodes d’analyse des données et définir les meilleures cibles à étudier. » 

JWST

Le JWST tournera notamment ses instruments vers la planète TRAPPIST-1 b, en orbite autour de son étoile TRAPPIST-1. Cette étoile, située dans la constellation du Verseau à environ 40,5 années-lumière de la Terre (près de 4.1014 km), possède un système planétaire d’au moins sept exoplanètes rocheuses. Plusieurs d’entre elles sont dans la zone habitable autour de l’étoile, c’est-à-dire où l’eau peut être à l’état liquide. « TRAPPIST-1 b est la planète la plus proche de l’étoile, elle possède une température de 400 K », rapporte Pierre-Olivier Lagage. Pour autant, réussira-t-on à détecter des biosignatures, les fameuses marques de l’existence de la vie, sur une exoplanète ? « Les biosignatures peuvent être des choses très différentes de ce à quoi on pense actuellement, remarque Pierre-Olivier Lagage. Ce qui est sûr c’est qu’on sera prêts si on observe quelque chose d’anormal. La diversité des découvertes faites ces dernières années sur les exoplanètes est telle qu’on a beau avoir des modèles, on s’attend forcément à des surprises. » 

 

Un centre d’expertise au service de la communauté

Soutenu par le CNES, le centre d’expertise MICE créé par l’AIM, l’IAS, le LESIA et le LAM vise à mettre à la disposition de la communauté scientifique les connaissances acquises par ces équipes au sujet de MIRI. « Au gré d’un projet comme le JWST, les équipes qui travaillent dessus développent une réelle expertise de l’instrument. Il faut éviter qu’elle ne se perde une fois celui-ci livré mais serve à d’autres », rapporte Alain Abergel. « Le centre mettra également au point des méthodes élaborées pour améliorer l’analyse des données », complète Pierre-Olivier Lagage. « On délivrera aux astrophysiciens les meilleures images multispectrales fournies par MIRIm », renchérit Alain Abergel. 

Le laboratoire commun INCLASS mis en place entre l’IAS et la PME ACRI-ST, basée à Sophie Antipolis et spécialisée dans l’observation de la Terre depuis l’espace et le développement de segments sol, apportera au centre d’expertise des compétences complémentaires. « Les observations spatiales de la Terre rencontrent des problèmes de traitement des données comparables à celles du JWST », explique Alain Abergel. Créé début mai 2021 avec un financement de l’ANR pour quatre ans, ce LabCom a pour objectif de développer des méthodes algorithmiques originales pour fusionner des données d’imagerie et de spectroscopie. « On souhaite en particulier extrapoler l’information spectroscopique obtenue sur une petite région du ciel par le spectromètre MRS aux images grand champ de l’imageur de MIRIm », commente Alain Abergel. 

Pour l’heure, les scientifiques attendent avec impatience la « recette en vol sur le ciel », les premiers tests en conditions réelles, puis les premières observations astrophysiques, qui devraient démarrer en juin 2022. Prévu pour fonctionner cinq ans – mais tous espèrent le double – le JWST sera LE grand observatoire spatial accessible aux astrophysiciens du monde entier. « Le but des observations astronomiques est de progresser dans la compréhension physique de l’Univers, et avec le JWST, on va entrer dans un monde nouveau. Ça ne va pas être un peu mieux, mais cent fois mieux ! Les images et les spectres fournis auront une qualité et une richesse sans précédent. Leur interprétation nécessitera la mise en place de modèles physiques extrêmement détaillés. Cela prendra des années », prédit Alain Abergel. 
 

Publications

  • M. A. Hadj-Youcef et al., Fast Joint Multiband Reconstruction From Wideband Images Based on Low-Rank Approximation, IEEE Transactions on Computational Imaging, vol. 6, pp. 922-933, 2020. 
  • O. Venot et al., Global Chemistry and Thermal Structure Models for the Hot Jupiter WASP-43b and Predictions for JWST. The Astrophysical Journal, vol. 890, 176, 2020. 
  • P. Bouchet et al., The Mid-Infrared Instrument for the James Webb Space Telescope, III: MIRIM, The MIRI Imager. Publications of the Astronomical Society of the Pacific, vol. 127, 953, 2015 
  • https://jwst.nasa.gov/content/webbLaunch/index. html