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Sandrine Lévêque-Fort : repousser les limites de la nanoscopie

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 01 avril 2021 , mis à jour le 01 avril 2021

Sandrine Lévêque-Fort est directrice de recherche à l'Institut des sciences moléculaires d'Orsay - ISMO (Université Paris-Saclay, CNRS). Elle est aussi directrice scientifique de la start-up Abbelight, qui développe des instruments de microscopie optique à fluorescence pour la recherche biologique. Ce qui lui vaut d’être récompensée par le prix Irène Joliot-Curie dans la catégorie "Femme, recherche et entreprise". 

 

Sandrine Lévêque-Fort se spécialise en méthodes d’imagerie optique lorsqu’elle réalise sa thèse en 1999 au laboratoire d’optique de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI Paris), dans le cadre de ses études à l’Université Pierre et Marie Curie. Elle poursuit en post-doctorat à l’Imperial College à Londres en 2000 pour étudier, ce qui est encore aujourd’hui son domaine de prédilection, le développement instrumental et de méthodes en microscopie de fluorescence destinés à l’observation des mécanismes cellulaires, en particulier grâce à des observations résolues en temps.

 

L’observation d’échantillons vivants

En 2001, Sandrine Lévêque-Fort obtient un poste de chargée de recherche au CNRS et rejoint l’Institut des sciences moléculaires d’Orsay - ISMO (Université Paris-Saclay, CNRS), au sein d’une équipe qui, à cette époque, étudie la réactivité de molécules principalement en solution. Elle y débute des expériences en cellules vivantes. La chercheuse apporte au laboratoire son savoir-faire pour développer des instruments résolus en temps adaptés à l’observation en milieu cellulaire. « Cette méthode est très utile pour sonder la proximité de deux molécules et comprendre leurs interactions au sein des cellules et au cours du temps. Grâce à elle, nous avons notamment mieux compris l’impact de deux protéines impliquées dans la formation des plaques séniles dans la maladie d’Alzheimer. » Elle développe ainsi des microscopes capables d’accélérer les temps d’acquisition et met en place de nouvelles stratégies pour observer spécifiquement les événements dans la membrane des cellules ou neurones vivants.
 

L’émission de fluorescence supercritique : du brevet …

En 2010, elle s’intéresse aux méthodes de microscopie super-résolue qui permettent de dépasser le problème de la diffraction et de disposer de microscopes avec une résolution spatiale améliorée de 10 à 20 fois. L’une de ces méthodes se base sur l’observation de molécules uniques, ce qui implique de forcer l’émission décalée dans le temps des molécules fluorescentes afin de les localiser dans l’échantillon biologique de façon plus précise.  « Les contraintes d’observation de cette nouvelle approche sont telles que l’on doit repenser de nombreuses étapes, depuis la préparation des échantillons jusqu’à l’obtention de l’image finale. » Ce qui l’amène à développer différentes méthodes dédiées à la super-résolution, comme celle de la localisation des molécules en deux dimensions. Et pour trouver leur hauteur et direction axiale, la chercheuse décide d’utiliser une méthode un peu oubliée jusque-là : l’émission de fluorescence supercritique (SAF, Supercritical angle fluorescence). Cette propriété de fluorescence intrinsèquement présente aide à reconstruire en 3D et de façon très précise les 500 premiers nanomètres d’un échantillon biologique. Ce développement instrumental, ainsi que le savoir-faire sur la préparation des échantillons, font l’objet de différents brevets. Ces techniques d’observation à une nouvelle échelle mettent à jour les mécanismes sous-jacents de la biologie cellulaire, jusque-là invisibles, et fournissent au domaine de la recherche en biologie et médecine l’opportunité de travailler sur de nouvelles pistes pour des cibles thérapeutiques en cancérologie ou en neurologie. « Le domaine de la microscopie super-résolue est aux interfaces de nombreux sujets, ce qui rend mon travail très exigeant, mais aussi varié et passionnant. Savoir que mes travaux servent à mes collègues biologistes et médecins pour progresser dans leurs recherches est très gratifiant et motivant pour moi. » 

 

… à la start-up 

En 2015, Sandrine Lévêque-Fort évalue la meilleure possibilité de valoriser et de transférer ces brevets dans le monde industriel. Nicolas Bourg, doctorant qu’elle supervise et qui développe l’association de l’imagerie SAF pour l’observation des molécules uniques, hésite à se lancer dans la création d’une start-up. Elle lui conseille alors de suivre la formation sur la valorisation et la création de start-up organisée par CNano IDF, le Centre de compétences en nanosciences d’Île-de-France. Il y rencontre Jean-Baptiste Marie, doctorant en physique à l’Université Paris Diderot et entrepreneur dans l’âme. Grâce à l’obtention d’un projet de maturation de la SATT Paris Saclay, ils se lancent dans la création de la start-up Abbelight. Jean-Baptiste Marie en est aujourd’hui le CEO, Nicolas Bourg le CTO et Sandrine la CSO (conseillère scientifique). « Je trouve fantastique l’énergie et la réactivité de cette start-up, elle ne finit pas de m’étonner. Elle avance à une vitesse folle ! »

 

De nouvelles méthodes, brevets et même un laboratoire commun

En 2016, toujours poussée par sa passion pour le domaine de l’optique et par toutes les opportunités de découvertes qu’il recèle, Sandrine Lévêque-Fort dépose, en collaboration avec l’Institut Langevin, un nouveau brevet pour la technique ModLoc (Modulation Localization). Cette technique va encore plus en profondeur dans l’étude d’échantillons, jusqu’à 50 microns, avec une résolution uniforme. Ce projet reçoit le soutien du programme de prématuration IdEx (Initiatives d’excellence) de l’Université Paris Saclay et du LabEx PALM (Laboratoire d’excellence Physique : atomes, lumière, matière). Ce nouveau développement, tout juste publié dans la revue Nature Photonics, pourrait être transféré dans un futur proche à la start-up. Tout comme la méthode alternative NanoImaBio, dédiée à l’identification de plusieurs types de molécules, que la chercheuse développe actuellement grâce à nouveau au LabEx PALM.

Aujourd’hui, pour faciliter leurs nombreuses coopérations à venir, Sandrine Levêque-Fort et la start-up envisagent de créer Nanolife, un nouveau laboratoire commun. « Grâce au rapprochement de nos expertises complémentaires en informatique et en optique, nous pourrons développer de nouveaux instruments inédits dédiés à l’analyse d’échantillons vivants. » 

 

Le prix Irène Joliot-Curie : une récompense prestigieuse

Pour récompenser son bouillonnement d’idées et d’ambitions, Sandrine Lévêque-Fort reçoit en 2020 le prix Irène Joliot-Curie qui promeut les femmes œuvrant dans l'univers des sciences et de la technologie, dans la catégorie "Femme, recherche et entreprise". Le monde de l’optique étant à 80 % masculin, de nombreux pairs, hommes et femmes, l’encouragent à candidater à ce prix, afin de promouvoir l’importance de la mixité dans tous les domaines de la recherche. Et la suite leur donne raison : le prix, ainsi qu’une dotation de 15 000 euros, lui sont décernés pour son parcours et ses travaux de recherche dans le domaine de la microscopie optique, ainsi que pour sa participation à la création d’Abbelight. « J’ai eu l’excellente surprise d’être sélectionnée et de recevoir de nombreux messages de félicitations. Grâce à ce prix, mes collègues femmes se sentent mieux représentées et peut-être que cela pourra susciter des vocations. La recherche en microscopie est un travail interdisciplinaire très collaboratif et je considère que cette récompense est aussi adressée aux étudiants, étudiantes et collègues qui ont contribué à ce travail. Elle met en lumière toutes les équipes travaillant dans le domaine, qui ont d’ailleurs beaucoup apprécié cette reconnaissance et mise en valeur. »