Rodolphe Fischmeister : un pionnier de l'électrophysiologie cellulaire cardiaque

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 19 septembre 2025 , mis à jour le 19 septembre 2025

Rodolphe Fischmeister est directeur de recherche émérite Inserm au laboratoire Signalisation et physiopathologie cardiovasculaire (CARPAT – Univ. Paris-Saclay/Inserm), rattaché à la faculté de pharmacie de l’Université Paris-Saclay. Spécialiste d'électrophysiologie cardiaque et pionnier de l'utilisation du patch-clamp pour l'étude de la fonction cardiaque au niveau cellulaire, il consacre ses recherches à l’étude des mécanismes de signalisation cellulaire et leur implication dans la physiopathologie cardiaque, notamment en étudiant les canaux ioniques et leur régulation par la voie des nucléotides cycliques.

Il est des trajectoires qui, à force de curiosité et d’audace, ouvrent des chemins inédits. Telle est celle de Rodolphe Fischmeister. Fils de réfugiés politiques tchécoslovaques, il grandit dans une culture familiale où l’intégration et la réussite par les études sont omniprésentes. Bon élève en mathématiques et en physique, il intègre en 1975 Supélec, au moment même où l’école s’installe sur le plateau de Saclay. « Je n’avais pas alors de véritable projet professionnel. Ce n’est qu’une fois devenu élève ingénieur que j’ai commencé à m’interroger sur mon avenir et qu’il m’est apparu clairement que l’ingénierie ne me suffirait pas », raconte le chercheur.

Un intérêt pour le médical le pousse alors à suivre, en parallèle de sa formation à Supélec, des cours de licence en physiologie à la faculté des sciences d’Orsay. Si ce pari audacieux le plonge dans une période qu’il qualifie lui-même de « schizophrénique », il lui permet de croiser la route d'Édouard Corabœuf, figure importante de la physiologie cardiaque. Diplômé de Supélec en 1978 et décidé à se tourner vers la recherche, il entreprend une thèse de docteur-ingénieur portant sur la modélisation mathématique de l'activité électrique cardiaque, dans le laboratoire du professeur Corabœuf, sous la houlette de Guy Vassort. L’occasion de mettre à profit ses compétences d’ingénieur au service d’une problématique biologique.

La découverte d'une technique clé aux États-Unis : le patch-clamp

Après l’obtention de sa thèse en 1980, son parcours se poursuit outre-Atlantique, avec un premier post-doctorat à l'Université Dalhousie d’Halifax au Canada, où il prolonge ses travaux de modélisation sur les canaux calciques, des acteurs cruciaux de la fonction cardiaque. Une seconde étape, à l'Université Emory d’Atlanta auprès de l'embryologiste cardiaque Robert DeHaan, marque pour Rodolphe Fischmeister un tournant décisif. « J’y ai découvert le patch-clamp, une technique révolutionnaire inventée en Europe permettant d’étudier l’activité électrique des cellules vivantes. Moi qui n’avais aucune expérience en biologique expérimentale, j’ai dû apprendre sur le tas », se souvient le chercheur. Il se lance alors avec détermination dans l’apprentissage et l’implémentation de cette méthode qui va transformer sa carrière et l'étude de l'électrophysiologie cellulaire.

Retour en France : le patch-clamp au service du cœur

Fort de cette expérience, Rodolphe Fischmeister est recruté à l'Inserm en avril 1983 en tant que chargé de recherche au sein du laboratoire où il a effectué sa thèse. Il y implante la technique du patch-clamp, contribue à son développement en France et poursuit ses recherches sur l'étude des canaux calciques et de leur rôle dans la fonction cardiaque. « J’ai eu la chance d’accueillir dans mon unité entre 1986 et 1987 un collègue américain, rencontré lors de mon séjour à Atlanta. Ensemble, nous avons exploré les interactions entre les nucléotides cycliques (AMPc et GMPc) dans la cellule cardiaque, ce qui nous a valu quelques publications majeures dans des revues prestigieuses. » Une collaboration fructueuse qui contribue à établir les fondements de sa recherche ultérieure.

La création de son propre laboratoire : une vision interdisciplinaire

Au début des années 1990, le chercheur décide de relever un nouveau défi : créer sa propre unité de recherche Inserm qu’il choisit d'installer à la faculté de pharmacie de l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay), à Châtenay-Malabry. Entouré d’une équipe en partie issue de son précédent laboratoire, il met en place cette nouvelle structure et déploie une énergie considérable pour animer l'activité scientifique sur le site, inviter des chercheurs et chercheuses de renom, et créer une dynamique de collaboration.

Porté par une forte ouverture interdisciplinaire, il multiplie les échanges avec les autres communautés scientifiques, notamment celle des chimistes thérapeutiques. « De discussions en discussions, nous en sommes venus à établir des collaborations interdisciplinaires grâce auxquelles nous avons donné naissance à des projets novateurs, comme l'étude de molécules agissant sur les récepteurs à la sérotonine au niveau cardiaque, et à ouvrir de nouveaux champs de recherche pour notre laboratoire », raconte le chercheur. Il établit également des collaborations avec les hôpitaux locaux pour accéder à du tissu cardiaque humain et initie le recrutement de profils complémentaires, notamment en biologie moléculaire.

Son laboratoire, qu’il dirige jusqu’en 2015, devient ainsi progressivement un lieu d'innovation et de collaborations fructueuses, au sein duquel Rodolphe Fischmeister oriente ses recherches vers la signalisation cellulaire, et notamment le rôle des différentes phosphodiestérases dans la dégradation des nucléotides cycliques et leur compartimentation intracellulaire.

Fédérer pour innover : la construction d'un écosystème de recherche

Son esprit fédérateur le conduit par la suite à jouer un rôle majeur dans la structuration de la recherche au sein de la Faculté de pharmacie. Il initie la création d'un Institut fédératif de recherche (IFR), axé sur l'innovation thérapeutique, et parvient, malgré des résistances initiales, à fédérer les laboratoires de biologie et de chimie et à mettre en place des plateformes technologiques mutualisées. « Pour assurer la pérennité de cette structure, que j’ai eu la chance de diriger au cours de trois mandats entre 2000 et 2020, nous avons mis en place un système de financement participatif. Il a permis à cet IFR de se développer, de devenir une unité mixte de service (l’UMS IPSIT) et de compter aujourd’hui onze plateformes technologiques. » Un engagement et une implication qui valent à Rodolphe Fischmeister d’être nommé en 2015 vice-doyen recherche de la Faculté de pharmacie.

L'aventure Paris-Saclay : un acteur de la première heure

Son rôle de bâtisseur prend une dimension encore plus large avec la genèse de l'université Paris-Saclay. Acteur clé dans la conception et la direction du Laboratoire d'excellence en recherche sur le médicament et l'innovation thérapeutique (LabEx LERMIT), labelisé en 2011 dans le cadre du programme investissements d'avenir (PIA), il contribue à fédérer une quinzaine de laboratoires aux expertises complémentaires. « Notre objectif était de stimuler la recherche sur le médicament et l'innovation thérapeutique sur le plateau de Saclay. » Avec les directeurs des autres LabEx du territoire, il s’investit dans la création de la future université. Porté par la volonté de créer des ponts, il participe également activement aux réflexions visant à y structurer les sciences de la vie. Il occupe ainsi les postes de directeur du département sciences de la vie pendant quatre ans, puis, lors de la création effective de l'Université en 2020, de vice-président Recherche adjoint pour les sciences de la vie.

Une retraite engagée : au service de la communauté scientifique

Bien qu'ayant fait valoir ses droits à la retraite en 2022, sa passion pour la science et son engagement envers la communauté scientifique de l’Université Paris-Saclay restent intacts. « Dans le cadre d’une charge de mission auprès de la vice-présidence Recherche de l'université, je poursuis avec enthousiasme l’animation de la newsletter hebdomadaire dédiée aux sciences de la vie, initiée au sein du département sciences de la vie. Et sur le plan scientifique, ayant obtenu un nouveau financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR), je continue de m'investir dans un projet de recherche sur la compartimentation cellulaire cardiaque », explique le chercheur, qui est également référent scientifique pour l'Inserm sur le territoire de l’Université.