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Ribonexus : dépasser la résistance aux traitements contre le cancer

Innovation Article publié le 28 avril 2022 , mis à jour le 09 mai 2022

La possibilité de moduler la synthèse de certaines protéines en agissant sur l’initiation de la traduction de leurs ARN messager (ARNm) rend possible le développement de nouvelles thérapies capables de contrer les phénomènes de résistance aux traitements actuels du cancer. Née à l’Université Paris-Saclay, c’est l’objet de la start-up Ribonexus créée par l’Institut Curie et Gustave Roussy en novembre dernier. 

Aujourd’hui, il existe deux traitements du cancer qui augmentent grandement la durée de vie des patientes et patients : l’immunothérapie et la thérapie ciblée, toutes deux mises sur le marché en 2011 et améliorées en 2014. La première s’attaque indirectement aux cellules tumorales en aidant le système immunitaire à les reconnaître et à les détruire. La seconde bloque la croissance ou la propagation de la tumeur en agissant directement sur une voie de signalisation biologique, c’est-à-dire un système de communication et d’interactions régissant les processus fondamentaux des cellules. Ici, il s’agit de bloquer les deux protéines BRAF (B-Raf proto-oncogène) et MEK (une kinase) situées sur la voie de signalisation activée par une mutation de l’oncogène BRAF. Si ces thérapies sont performantes, leur efficacité reste très fréquemment limitée dans le temps. Au total, la majorité des patientes et patients rechute en raison de l’apparition de résistance aux traitements. Cependant, malgré les nombreux essais cliniques et recherches en cours sur le développement de nouvelles thérapies, à ce jour, aucun nouveau traitement n’apparaît significativement plus efficace que ces deux stratégies.

Agir en aval : sur le contrôle de l’acide ribonucléique messager

Caroline Robert, chercheuse en dermato-oncologie au laboratoire Prédicteurs moléculaires et nouvelles cibles en oncologie (PMNCO - Univ. Paris-Saclay, Institut Gustave Roussy, Inserm) ne se satisfait pas de cette limite. En 2011, avec Stephan Vagner, spécialisé en biologie des ARNm et de leurs mécanismes, et directeur du laboratoire Intégrité du génome, ARN et cancer (GIRC - Univ. Paris-Saclay, CNRS, Institut Curie, Inserm), ils décident de réunir une équipe de recherche translationnelle pour étudier les biomarqueurs et les résistances au sein d’échantillons tumoraux. Ensemble, ils émettent une hypothèse : le processus qui contrôle la fabrication des protéines à partir des ARNm pourrait avoir un rôle important dans les résistances aux thérapies anti-tumorales. « Ce paramètre biologique a peu été exploré dans le domaine thérapeutique, nous avons été les premiers à le faire », précise Caroline Robert. 

La découverte du complexe eIF4F

Les ARNm sont des copies de l’ADN, support de l’information génétique qui est présente dans le noyau des cellules. Une fois transcrits, les ARNm migrent dans le cytoplasme des cellules pour être traduits en protéines, des molécules essentielles au bon fonctionnement des cellules. L’initiation de la synthèse protéique est contrôlée par le complexe eIF4F (eukaryotic initiation factor 4F). Il est situé en aval de nombreuses voies de signalisation impliquées dans le cancer, notamment celle où interviennent les oncogènes BRAF et MEK. 

Une hypothèse confirmée

En 2014, le chercheur et la chercheuse démontrent que la résistance aux thérapies ciblées anti-BRAF est associée à une activation persistante du complexe eIF4F, et qu’elle peut être diminuée en réduisant l’activité de ce dernier. « Notre hypothèse s’est révélée exacte sur des modèles in vitro et murins dans lesquels nous avons aussi trouvé des biomarqueurs qui indiquent l’activation du complexe eIF4F. Nous avons donc publié une preuve de principe », indique Stephan Vagner. 

La création d’une start-up

Pour transférer ce principe à l’être humain et concrétiser plus de dix ans de recherche et de mise en commun des expertises des deux laboratoires, ils valorisent leurs travaux via la création, en juillet 2021, d’une start-up grâce à l’accompagnement et aux programmes d’incubation de l’Institut Curie et de Gustave Roussy transfert. Fruit de l’union de la recherche translationnelle et fondamentale, son lancement est rendu possible par une levée de fonds de 4 millions d’euros auprès d’AdBio partners, du Crédit Mutuel Innovation et de Pierre Fabre. Initialement nommée Aglaia Therapeutics, elle est rebaptisée Ribonexus en novembre 2021. En février 2022, elle perçoit une aide de 1,5 millions d’euros de la BPI. Caroline Robert, Stephan Vagner et Laurent Desaubry, chimiste à l’Université de Strasbourg en sont les co-fondateurs et conseillers scientifiques. L’objectif de Ribonexus est de développer de nouveaux traitements capables de contrer la résistance aux thérapies ciblées chez les patientes et patients atteints de cancer.

Tester de nouvelles molécules

Pour réaliser cet objectif, l’équipe de Ribonexus cherche le meilleur moyen d’inhiber le facteur d’initiation de la traduction eIF4F. Dans les expériences in vitro et in vivo initiales, elle teste une molécule naturelle issue de l’arbre malaysien Aglaia, le Silvestrol. Mais cette dernière, utilisée pour la preuve de concept, n’est pas utilisable en clinique, notamment parce qu’elle est soumise à un phénomène de résistance (elle est éjectée rapidement à l’extérieur des cellules). Les chercheurs et chercheuses recourent alors à une nouvelle série de molécules candidates ciblant le complexe eIF4F, fournies par le laboratoire Pierre Fabre à l’issue de la signature d’un accord de licence en novembre 2021 à des fins de co-développement. « Avec l’équipe de Ribonexus, nous espérons identifier une ou deux molécules candidates d’ici à deux ans, afin de démarrer un premier essai clinique de phase 1. Elles devront passer une série de tests cellulaires sur des souris : de toxicité, de pharmacocinétique et de pharmacodynamique », mentionne Stephan Vagner.

Développer de nouvelles thérapies

Une fois la molécule sélectionnée, un autre défi attend l’équipe, celui de trouver la dose, le mode et la fréquence optimale d’administration du traitement. Car peu d’informations sont disponibles pour comprendre la dynamique de prolifération des cellules cancéreuses et leur comportement en fonction des cellules de l’hôte. Pour Caroline Robert, « leur stratégie est élaborée car les ARNm ne sont pas tous contrôlés de la même façon par le complexe eIF4F ». Mais Stephan Vagner ajoute : « La traduction des ARNm les plus dépendants du complexe eIF4F seront ceux les plus inhibés par des molécules candidates médicament ciblant ce complexe. Ils sont à l’origine de la synthèse des protéines impliquées dans le processus tumoral et sont au cœur du mécanisme de résistance aux traitements ». Des recherches ambitieuses qui rendent possible pour Ribonexus d’envisager le développement d’une thérapie efficace avec une toxicité limitée.