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Nathalie Frascaria-Lacoste : de la génétique évolutive des espèces forestières à une écologie plus impliquée

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 04 juin 2021 , mis à jour le 11 juin 2021

Nathalie Frascaria-Lacoste est professeure d'écologie évolutive - ingénierie écologique à AgroParisTech et adjointe à la direction du laboratoire Écologie, systématique, évolution (ESE – Université Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech). Après avoir étudié et enseigné la génétique évolutive des arbres, elle se tourne vers l’écologie qu’elle approche en tant que système transverse et transdisciplinaire. 

Nathalie Frascaria-Lacoste s’intéresse très tôt au domaine du vivant. Elle étudie la biologie des organismes et des populations à l’Université Paris-Sud (fusionnée avec l’Université Paris-Saclay en janvier 2020), et durant sa licence en 1987, elle se passionne pour le sujet de l’écologie. Elle s’oriente alors vers une maîtrise, puis un DEA en écologie scientifique, au cours desquels elle effectue un stage au sein du laboratoire d’écologie de l’Université Paris-Sud. À cette époque, le châtaigner est une bioénergie qui intéresse fortement le secteur de la sylviculture en France. Elle choisit de se concentrer sur cette essence et plus spécifiquement sur sa génétique. Elle soutient ensuite sa thèse en 1991 dans le domaine de l’écologie, sur le sujet de la génétique évolutive des châtaigniers. « En étudiant le même objet sous différents angles, j’ai identifié les mécanismes à l’origine de l’appauvrissement génétique, et donc qualitatif du bois du châtaignier. » Puis, elle réalise un post-doc à l’Université Laval au Québec, où elle se forme à la manipulation de marqueurs moléculaires et aux techniques de séquençage de l’ADN. Elle s’intéresse notamment à Betula alleghaniensis (le bouleau jaune), une espèce très répandue en Amérique du Nord. De retour en France en 1992, la chercheuse rejoint L'École nationale du génie rural, des eaux et des forêts (ENGREF) à Nancy, en tant qu’enseignante-chercheuse en génétique forestière. « J’ai axé mes recherches sur les structures génétiques et biogéographiques du frêne, espèce au cœur d’une filière très active, car c’est un matériau très prisé pour la fabrication de meubles. » 

 

La crise des plants de frênes en Irlande

En 2000, Nathalie Frascaria-Lacoste rejoint l’ESE, avec lequel l’ENGREF formalise un partenariat. Dans un contexte de crise commerciale sur le sujet du frêne, elle réoriente ses travaux de recherche. En effet, en 1995, l’Irlande achète à la France des milliers de plants de frênes à des fins de transformation et d’utilisation commerciale. Mais il s’avère rapidement que ces plants sont de mauvaise qualité et inexploitables. L’Irlande exige de la France des explications et compensations. Le département forestier du ministère de l’Agriculture charge Nathalie Frascaria-Lacoste d’investiguer. La chercheuse identifie l’origine du problème : deux espèces de frênes co-existent en France, le Fraxinus angustifolia, qui évolue depuis la vallée de la Loire jusqu’aux pays méditerranéens ; et le Fraxinus excelsior, qui pousse au-dessus de cette région et jusqu’aux pays nordiques. Dans la zone de chevauchement, ces deux espèces s’inter-croisent et l’espèce hybride qui en résulte est celle que la France fournit, sans le savoir, à l’Irlande. Si elle est bien adaptée aux régions de la Loire et de la Saône, elle l’est beaucoup moins au territoire irlandais. 

 

Un nouveau regard académique : transdisciplinaire

À partir de ce litige commercial, Nathalie Frascaria-Lacoste découvre une nouvelle manière de mener ses recherches. « Cette période fut déterminante pour moi et constitue un grand tournant dans ma manière de travailler, mais aussi de penser. J’ai réalisé que l’approche scientifique est une parmi les autres possibles pour résoudre des problèmes aussi complexes. » Car, pour une même problématique, celle d’identifier l’origine et l’évolution génétique des frênes, elle rencontre une multitude d’acteurs dont les enjeux sont très variés et parfois en concurrence. Il s’agit de tous les opérateurs de la filière forestière, à savoir les grands organismes publics, comme l’Office national des forêts (ONF), ou privés, comme les centres de la propriété forestière, les propriétaires privés, les pépiniéristes forestiers, ou encore les agents du ministère de l’Agriculture. 

L’identification de frênes hybrides en France entraine une réflexion locale en vallée de la Loire, qui associe divers acteurs, forestiers et non forestiers (dont les conservatoires botaniques), et à laquelle la chercheuse participe. Cette vision est ensuite partagée à l’échelle nationale et conduit à la création de la marque « végétal local » soutenue par le ministère de la Transition écologique et solidaire et l’Office français de la biodiversité (OFB). Nathalie Frascaria-Lacoste et ses collègues participent à son comité scientifique depuis sa création en 2011, et, dans ce cadre, mènent des études sur les meilleures pratiques à adopter pour préserver la biodiversité, comme par exemple les manières de récolter ou de limiter la consanguinité. 

 

Une approche originale de l’enseignement

L’évènement influence aussi sa manière de concevoir l’enseignement. Nathalie Frascaria-Lacoste place à nouveau l’interdisciplinarité et le lien aux acteurs au cœur de son approche. En 2004, elle co-crée deux nouveaux parcours au sein du master Biodiversité, écologie et évolution : un qui oriente les étudiants vers la recherche, et un autre vers la professionnalisation. Il s’agit d’enseigner comment restaurer des milieux dégradés par l’humain grâce à l’utilisation des compétences des organismes vivants. Par exemple, sur un territoire donné, au lieu de construire une station d’épuration, on fait pousser une forêt qui fournit un ensemble de services, dont l'épuration de l'eau. « C’est une vision très différente de l’écologie, beaucoup plus orientée « philosophie de l’action » que l’approche technique habituelle. C’était un pari fou à l’époque. » Et il a fonctionné, car de nouvelles filières émergent sur ce modèle. 

 

Nouvelle école, nouvelles filières 

En 2007, la fusion des trois Grandes écoles d'agronomie que sont l’ENGREF, l’INAPG (Institut national agronomique Paris-Grignon) et l’ENSIA (École Nationale Supérieure des Industries Agricoles et Alimentaires) en une seule, AgroParisTech, est une occasion de créer de nouvelles filières de ce type. Avec des collègues de l’école, Nathalie Frascaria-Lacoste co-porte la formation interdisciplinaire intitulée Science politique, écologie et stratégie (SPES). « L’idée est de former les ingénieurs d’AgroParisTech à une vision complexe du monde, donc transverse, afin qu’ils puissent être des acteurs de premier plan de la transition écologique. » 

Aujourd’hui, pour légitimer encore plus cette philosophie de l’action basée sur une approche transdisciplinaire, l’enseignante-chercheuse est associée à une réflexion sur la possibilité de créer un nouveau titre, celui d’« ingénieur écologue ». « Il vise à légitimer, sur le marché du travail, un profil dont les compétences incluent une compréhension systémique de la crise écologique. »

 

Penser l'écologie en tant que socio-système

Aujourd’hui, Nathalie Frascaria-Lacoste ne fait plus de génétique. Elle travaille sur les domaines de l'écologie en tant que socio-système, ce qui fait d’elle une écologue. C’est-à-dire qu’elle dialogue avec tous les acteurs de la chaîne forestière afin de les impliquer et de les mobiliser pour trouver, ensemble, des solutions à leurs problématiques. En 2014, en tant qu’adjointe à la direction de l’ESE et avec un collègue, Juan Fernandez, elle propose la création d’une nouvelle équipe intitulée Trajectoires écologiques et société (TESS). Cette équipe pratique une approche transversale et interdisciplinaire des recherches menées en son sein. Un anthropologue et deux économistes l’ont déjà rejointe, ainsi que des collègues de l’Université Paris-Saclay et d’AgroParisTech, et peut être bientôt un philosophe. « C’est en réfléchissant collectivement que l’on trouve les meilleures idées. »

Mais les humains ne font pas tout. Cette ingénierie écologique implique aussi de construire une relation plus forte avec le monde vivant non humain, afin de prendre en compte ses propres enjeux. « Je pense que la résolution de la crise écologique, particulièrement celle qui concerne l'érosion de la biodiversité, passera par là. Nous devons réfléchir et agir de la manière la plus concertée possible. »