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Marie-Hélène Schune : où est passée l’antimatière ?

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 23 juillet 2019 , mis à jour le 07 mai 2021

Marie-Hélène Schune est directrice de recherche au Laboratoire de l'accélérateur linéaire (LAL – CNRS/Université Paris-Sud) en physique des particules. Elle vient de recevoir la médaille d’argent 2019 du CNRS. Elle se consacre à l'expérience LHCb (Large Hadron Collider beauty) du CERN à Genève, dont le but est de comprendre pourquoi l’antimatière, contrairement à ce que le modèle standard de la physique des particules prédit, est si peu présente dans notre univers.

Mis au point petit à petit dans la seconde moitié du XXe siècle, le modèle standard de la physique des particules, que la découverte du boson de Higgs en 2012 a complété, fonctionne bien mais n’explique pas tout. « Nous avons un problème de taille, constate Marie-Hélène Schune. La théorie nous dit que nous devrions trouver dans notre univers autant de matière que d’antimatière, puisqu’elles sont de même masse mais de charge quantique opposée. Lorsqu’elles se rencontrent, elles s’annihilent et libèrent de l’énergie, des photons. Or l’astrophysique nous dit qu’il n’y a pas d’antimatière dans le cosmos. Aucun télescope n’en a jamais observé. Certains envisagent même l’existence d’une autre galaxie d’antimatière au fond de l’univers. »

Une particule tout en beauté

Pour ses recherches, la chercheuse se rend deux à trois fois par an à Genève au LHCb, le grand collisionneur de hadrons du CERN. « C’est comme un trésor ! Chacun vient y chercher les données qui l’intéressent. Huit mois par an, les électrons interagissent 40 millions de fois par seconde, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C’est gigantesque. » Parmi le millier de chercheurs, ingénieurs et techniciens du monde entier qui participent à l’expérience, seule une poignée de personnes travaille sur le sujet de recherche de Marie-Hélène Schune, dont une quinzaine au sein du Laboratoire de l’accélérateur linéaire (LAL), qui comprend 330 personnes. « Je m’intéresse au quark le plus lourd, le quark b comme "beauté", qui se synchronise avec d’autres quarks pour former une particule. » Depuis cinq ans, ses travaux explorent « la violation de CP », c’est-à-dire les différences de comportement entre matière et antimatière.

La physique des saveurs

Alors que les expériences du LHC simulent le Big Bang, Marie-Hélène Schune crée de la matière et de l’antimatière en quantité égale, en produisant beaucoup d’énergie. « En choisissant et observant certains modèles de désintégration de particules contenant le quark b, comme les leptons, je tente de découvrir des signes d’une nouvelle physique au-delà du modèle standard, ce qu’on appelle la physique des saveurs. » 

Plus jeune, la chercheuse se rêvait archéologue. Mais ne souhaitant pas entrer en classe préparatoire, elle étudie les sciences à la faculté d’Orsay. Elle a alors un déclic en faveur de la physique des particules, qui lui semble être une discipline « facile » grâce notamment à « des professeurs extraordinaires », comme Xavier Busch, Christian Delsart et Albert Fert. En fin de maîtrise, en 1987, elle est sélectionnée pour un premier séjour d’été international au CERN. Elle soutient sa thèse trois ans plus tard et entre au CNRS dans la foulée, à 25 ans. « Aujourd’hui, il est très difficile pour les jeunes d’accéder à des postes permanents. Le système est devenu pénalisant, voire inégalitaire pour les femmes », regrette la chercheuse. Malgré tout, elle transmet à cette jeune génération le goût de la recherche dans une discipline qui compense sa rudesse par une terminologie poétique. « En 30 ans de carrière, je m’amuse encore ! C’est le plus l’important », conclut la physicienne.