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Lou Barreau : Observer l'interaction lumière-matière aux échelles de temps extrêmement brèves

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 10 mars 2022 , mis à jour le 10 mars 2022

Lou Barreau est chimiste, enseignante à l’Université Paris-Saclay et chercheuse à l’Institut des sciences moléculaires d’Orsay (ISMO - Université Paris-Saclay, CNRS). Au sein de l’équipe de l’équipe Dynamiques et interactions : rayonnement, atomes, molécules (DIRAM), elle mène des recherches autour de la dynamique des électrons dans les molécules en phase gazeuse, grâce au rayonnement de lasers ultrabrefs.

Pour Lou Barreau, ce n’est pas tant la fin qui compte que les moyens. Si ses travaux ne se limitent pas à une famille de molécules en particulier, c’est que cette jeune chercheuse est une inconditionnelle de la méthode spectroscopique. « L'avantage de cette méthode est qu'elle est très versatile, elle peut s'appliquer à énormément de systèmes et potentiellement n'importe quelles molécules en phase gazeuse. »

C’est donc pour étudier une grande diversité de processus à l’échelle moléculaire que Lou Barreau combine des méthodes d’optique non-linéaire, des lasers femtosecondes ou encore de la détection de particules chargées (électrons ou ions), à l’interface entre physique et chimie, entre lumière et matière.

 

Une chercheuse made in Saclay

Le plateau de Saclay, Lou Barreau le connait très bien pour y avoir suivi l'essentiel de son parcours académique. Avec quelques années d’avance, elle intègre le département chimie de l'ENS Cachan (aujourd’hui ENS Paris-Saclay) et développe pendant son parcours de licence-master un intérêt pour l'interaction lumière-matière. « C’est précisément le cours d’Anne Lafosse, que j'avais en tant que professeure de spectroscopie en licence et qui est désormais ma collègue à l’ISMO, qui m'a vraiment donné envie de me diriger dans cette voie. »

La jeune étudiante réalise un premier stage de recherche de spectroscopie dans le domaine des micro-ondes aux États-Unis, avant de s’intéresser aux échelles de temps extrêmement brèves au cours d’une thèse effectuée de 2014 à 2017 au sein du Laboratoire interactions, dynamiques et lasers (LIDYL – Université Paris-Saclay, CEA, CNRS).

 

« Filmer » les molécules

La technologie des lasers femtosecondes a été développée à la fin des années 80, notamment grâce à la technique de l'amplification à dérive de fréquence développée par le Français Gérard Mourou et la canadienne Donna Strickland, récompensés par le prix Nobel de physique 2018. Les lasers femtosecondes, aussi désignés par « ultrabrefs », produisent des impulsions extrêmement courtes, de l’ordre de la femtoseconde (10-15 s), qui peuvent être réduites en laboratoire à l'attoseconde (10-18 s).

Ces échelles de temps sont les plus courtes que l'on puisse considérer quand on regarde ce qui se passe dans la matière. Elles correspondent aux dynamiques des noyaux des molécules et des électrons, mille fois plus légers que les premiers et donc d’autant plus rapides. À cette échelle, il est possible de voir de manière extrêmement précise comment les liaisons chimiques se rompent et de quelle façon les électrons se réarrangent. « L'attoseconde, c'est l'échelle de temps ultime des processus qui sont mis en jeu dans les molécules ! s’enthousiasme Lou Barreau. C’est ce qui m’a intéressée en tant que chimiste. » 

Concrètement, les impulsions laser produites sont utilisées comme des flashs. Un premier flash excite la molécule, générant un état intéressant à étudier, puis un second flash, libéré à un intervalle de temps contrôlé, sonde les processus déclenchés par l’excitation. Comme les impulsions sont plus brèves que les processus, l’évolution de la molécule est suivie de manière stroboscopique, comme un film. « Quand vous prenez une photo d’une personne qui court, si le temps d'exposition est long vous allez voir le mouvement comme flou. Alors que quand le temps d'exposition est très court, vous pouvez prendre plusieurs photos nettes et décomposer le mouvement. C'est exactement le même principe. »

 

Observer la photo-ionisation

Lors de sa thèse au LIDYL, Lou Barreau produit des impulsions de lumière attosecondes afin d’observer le processus de photo-ionisation. Le principe de ce phénomène, théorisé par Einstein en 1905, est qu’un photon envoyé sur un atome, une molécule ou un solide avec une certaine longueur d’onde peut arracher un électron à la matière. Lou Barreau s’attache à constater « en temps réel » les dynamiques électroniques en jeu :  Combien de « temps » met un électron pour être ionisé dans un atome ? Comment ce « temps » varie d'un atome à l'autre, ou d'une couche électronique à une autre, dans le même atome ?

Pour ce faire, la chercheuse envoie dans une enceinte sous vide deux lasers ultrabrefs, dont le chemin optique est contrôlé à la dizaine de nanomètres près, perpendiculairement à un jet de gaz. Un détecteur d'électrons dans la troisième dimension collecte les électrons émis lors de l'interaction entre le laser et les molécules par photo-ionisation, et fournit des spectres de photoélectrons sur lesquels la jeune femme mène ensuite ses recherches.

 

De retour à Saclay, entre recherche et enseignement

Après deux ans et demi de post-doctorat à l'Université de Berkeley en Californie où elle travaille à produire et utiliser des impulsions attosecondes dans les rayons X mous, Lou Barreau retrouve le plateau de Saclay pour exercer à l’ISMO. Fin 2021, elle reçoit le prix Louis Armand de l’Académie des sciences, qui récompense l’ensemble de ses recherches en thèse et post-doctorat.

Maîtresse de conférences depuis novembre 2020, elle partage désormais son temps entre la poursuite de ses travaux en spectroscopie et l’enseignement de la chimie en cursus licence-master à l’Université Paris-Saclay. « À l'ENS, j'ai passé l'agrégation car je savais déjà que j'avais envie d'enseigner, se souvient la jeune femme. Je suis vraiment contente d’avoir eu cette opportunité et très enthousiaste à l'idée d’encadrer des étudiants et étudiantes au laboratoire. » Lou Barreau nourrit justement pour ce dernier un projet d’équipement pour approfondir ses recherches.

 

Vers des échelles de temps encore plus courtes

Contrairement à la technologie du laser femtoseconde qui est aujourd’hui très développée, la production d’impulsions attosecondes demeure limitée à quelques laboratoires de recherche. Pour le moment, l'ISMO dispose d’un laser qui émet des impulsions femtosecondes dans le visible mais ne possède pas de dispositif pour réaliser des impulsions attosecondes. « On doit mettre en place nous-mêmes le système de miroirs pour convertir les impulsions du laser femtoseconde commercial en impulsions attosecondes », détaille la chercheuse.

Le laser femtoseconde émet dans le visible (400 à 780 nm), tandis que les impulsions attosecondes se situent soit dans le domaine UV (10 à 400 nm), soit dans les rayons X (0,03 à 10 nm) à différents niveaux d’énergie. « Dans les rayons X, on est capables de séparer les électrons qui proviennent d'atomes différents dans la molécule et de regarder localement la dynamique d'un atome. En plus de l'information temporelle, on obtient ainsi une information "spatiale". » À moyen terme, Lou Barreau aimerait développer au sein de l’ISMO une source d'impulsions de rayons X attosecondes, afin de gagner encore en précision temporelle et d’en apprendre encore davantage sur les processus qui ont lieu dans les molécules après interaction avec la lumière.

 

Lou Barreau (c)UPSaclay