Aller au contenu principal

Lire au cœur des arbres pour mieux prédire le réchauffement climatique

Recherche Article publié le 19 mai 2022 , mis à jour le 19 mai 2022

Comment évaluer la capacité future des forêts à capturer le gaz carbonique ? Pour rendre plus performantes les simulations des modèles déjà existants, Jonathan Barichivich du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, UVSQ) souhaite prendre en considération les mesures de cernes des arbres et l’abondance d’informations que celles-ci recèlent. À ce titre, il a reçu une bourse Starting Grant de l’European Research Council (ERC) en janvier 2022.

Près d’un tiers de la surface terrestre de la planète est recouverte par des forêts. Les arbres et la multitude de végétaux qui peuplent ces écosystèmes ont la capacité de capter du dioxyde de carbone (CO2) au cours de la photosynthèse, actrice principale dans la vie de ces mêmes espèces. En agissant comme des « puits de carbone », ce sont environ huit milliards de tonnes net d’équivalent CO2 que les écosystèmes forestiers empêchent de rester dans l’atmosphère terrestre et de participer au réchauffement climatique. Pour chiffrer la capacité de stockage de ces puits, leur évolution au cours du temps et les facteurs impliqués (le dérèglement climatique, la déforestation, etc.), les scientifiques créent des modèles du fonctionnement des écosystèmes terrestres. Mais un problème persiste : avec les méthodes actuelles, les estimations de ces simulateurs géants demeurent très incertaines et ne permettent pas de prédire avec certitude les quantités de carbone que stockeront les forêts du futur.

C’est dans ce contexte que Jonathan Barichivich présente son projet Long-term consequences of altered tree growth and physiology in the Earth system (CATES). Lauréat d’une bourse de l’ERC d’une valeur de 1,5 millions d’euros, ce projet établira sur cinq ans une nouvelle banque de données à partir de milliers de relevés de cernes d’arbres. Le but de cette base sera ensuite d’alimenter les modèles du système terre afin d’obtenir des prévisions plus précises des interactions entre le climat et les écosystèmes forestiers de la planète.

 

Les cernes d’arbres, clés de voute du projet

Pour révolutionner les modèles du système terre, Jonathan Barichivich mise en partie sur les cernes d’arbres. Ces anneaux apparaissant à l’intérieur des troncs sont, de notoriété publique, le signe de la croissance de l’arbre. Mais d’après Jonathan Barichivich, les cernes cachent également d’autres informations, notamment sur la physiologie des arbres ou leur capacité à emmagasiner du carbone. Informations desquelles la communauté scientifique fait trop souvent abstraction, selon le chercheur du LSCE. La donnée la plus courante concernant les cernes d’arbres est leur largeur : la dendrochronologie est d’ailleurs une discipline se basant sur l’étude de ces largeurs afin de déterminer l’âge d’un spécimen. Les différences de taille des cernes d’arbres indiquent également des perturbations durant la croissance de l’individu ; au cours du XVIe siècle, Léonard de Vinci avait déjà formulé un rapport entre largeur d’un cerne d’arbre et variations climatiques. 

« Avec ce projet, la tâche qui m’incombe est celle de rassembler le plus d’observations sur les cernes d’arbres que je peux en obtenir de la Terre entière, et également de mesurer moi-même certaines valeurs, notamment la composition chimique du bois. Dans un second temps, il faudra utiliser les données collectées pour effectuer des simulations avec le modèle du système terre », explique Jonathan Barichivich. « En temps normal, les chercheurs et chercheuses ne mesurent que la largeur des cernes d’arbres qu’ils et elles collectent. Ce n’est qu’une dimension de "l’archive" que peuvent représenter ces cernes. Ainsi, l’épaisseur des cernes est la donnée la plus abondante dans le monde. Mais je n’étudie pas uniquement les cernes d’arbres : il faut aussi s’intéresser à la composition chimique et l’étude isotopique des prélèvements, qui apportent des informations sur la physiologie des arbres, ou à la croissance cellulaire saison après saison de ces cernes. Un bon modèle du système terrestre devrait reproduire l’histoire physiologique des arbres », précise le climatologue. Aujourd’hui, ce dernier estime qu’il y a environ 5 000 sites de relevés concernant les cernes d’arbres, contre seulement 700 pour les données isotopiques.

 

Rendre les simulations plus fiables

Il existe déjà des modèles qui prédisent les effets du réchauffement climatique sur les écosystèmes forestiers. Chaque modèle du système terre est séparé en différentes composantes : atmosphérique, océanique, terrestre et cryosphérique. Au cours d’une simulation climatique, toutes ces composantes interagissent entre elles : les évolutions du modèle terrestre, telles que la prise en compte avec exactitude des capacités des puits de carbone forestiers, influent par exemple sur la composante atmosphérique. Le modèle du système terrestre ORCHIDEE, développé par l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL – Univ. Paris-Saclay, UVSQ, CNRS, CEA, ENS Ulm, CNES, Univ. Paris-Cité, Sorbonne Univ., IRD, Ecole Polytechnique, UPEC), rend déjà possible le suivi des potentielles évolutions des forêts mais présente des projections limitées. 

En effet, les outils utilisés aujourd’hui (observations par satellites ou depuis des appareils terrestres) fournissent des informations sur quelques décennies seulement. Avec la prise en compte des cernes d’arbres, Jonathan Barichivich estime que les modèles comme ORCHIDEE obtiendront des résultats et prédictions sur des périodes séculaires. De quoi aider les climatologues à mieux imaginer les impacts futurs du réchauffement climatique. Car aujourd’hui, les prévisions fournies par ces modèles sont tellement incertaines qu’elles se contredisent parfois entre elles. Cela a des implications sur la magnitude du changement climatique simulé. « Aujourd’hui, nous avons des données offrant des prédictions fiables mais sur de très courtes durées : cinq, dix ou 30 ans maximum. Cependant, nous voudrions voir jusqu’à 100 ans dans le futur, témoigne Jonathan Barichivich. J’apporte l’argument que l’information passée contenue dans les cernes des arbres est la clé pour de meilleures prédictions séculaires. Ces cernes d’arbres, nous les appelons des "points de référence centenaires". Mais la plupart des relevés les concernant ont été effectués uniquement pour des reconstitutions climatiques, et non pour la reconstitution des réponses écologiques des forêts aux changement globaux. En d’autres termes, les modèles de système terre actuels ne prennent pas en compte l’information des cernes des arbres. »

 

« Si les cernes d’arbres étaient un livre… »

Avec le projet CATES, Jonathan Barichivich entend faire gagner les modèles du système terrestre en crédibilité, afin de mieux déterminer le rôle de puits de carbone que jouent les écosystèmes forestiers de la planète. Mais ses ambitions ne s’arrêtent pas là. « Avec ORCHIDEE, nous avançons vers une simulation incluant les données des cernes d’arbres dans leur totalité. Si les cernes d’arbres étaient un livre, tout le monde jusqu’ici en aurait simplement regardé la couverture. Grâce à cette bourse, je veux ouvrir ce livre, en lire des chapitres entiers : la chimie des cernes, leur composition cellulaire, les racines des arbres (qui présentent également des cernes !), détaille le chercheur. Je veux déterminer où les plantes stockent le carbone : va-t-il vers les tiges ou les racines ? » 

La lecture de ce livre a tout juste débuté pour Jonathan Barichivich. Jusqu’où va-t-elle le mener ?

 

Référence :