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L’effet laser en régime continu démontré à partir d’un alliage de germanium-étain

Recherche Article publié le 23 mars 2020 , mis à jour le 25 mai 2021

Des chercheurs du Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N - Université Paris-Saclay, CNRS) ont mis au point une nouvelle méthode d’ingénierie du matériau pour fabriquer un microdisque laser en alliage de germanium-étain (GeSn), en collaboration avec des chercheurs du Centre de recherche de Jülich en Allemagne, et de la société franco-italienne STMicroelectronics. Cette méthode permet pour la première fois d’observer un effet laser continu avec des composés semi-conducteurs du groupe IV et dont la puissance nécessaire pour son fonctionnement est très inférieure à celles utilisées jusqu’à présent.

Pointeurs laser, lecteurs CD ou DVD, imprimantes laser, fibres optiques et télécommunications… Les lasers semi-conducteurs sont assurément le type de laser le plus vendu à l’échelle industrielle et la technologie se retrouve dans maintes applications du quotidien. Ces lasers fonctionnent majoritairement avec des composés binaires dits III – V, en référence à la colonne qu’occupent ces éléments dans le tableau périodique de Mendeleïev. La microélectronique industrielle dans laquelle ils s’intègrent utilise, elle, des éléments de la colonne IV du tableau, tels que le silicium. Une différence notable, non exempte de quelques difficultés pour une application de la technologie à plus grande échelle.

Des travaux récents de chercheurs du Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N – Université Paris-Saclay, CNRS) et du Centre de recherche de Jülich en Allemagne, réalisés en collaboration avec la société STMicroelectronics, viennent ouvrir de nouvelles perspectives dans une technologie laser basée uniquement sur des éléments semi-conducteurs IV. En associant un alliage particulier de germanium et d’étain (GeSn) à une couche de nitrure de silicium, ils ont obtenu avec le microdisque fabriqué, un effet laser fonctionnant en continu. Cet effet laser possède des seuils de densité de puissance de pompage, c’est-à-dire un niveau de puissance apporté à partir duquel il est fonctionnel, très nettement réduits - divisés d’un facteur 100 - par rapport à ceux des lasers en GeSn actuels.

Les limites du procédé actuel

Pour obtenir un alliage de GeSn, la technique usuellement employée consiste à introduire un maximum d’étain dans le germanium, à hauteur d’au moins 7 %. « Il s’agit de diluer des atomes d'étain (Sn) dans un cristal de germanium (Ge). Pour créer l’alliage, il faut enlever aléatoirement des atomes à certains endroits du cristal pur de Ge et mettre à la place des atomes de Sn », explique Moustafa El Kurdi, chercheur au C2N. Le composé obtenu comporte alors une structure de bande à alignement direct, ce qui rend possible l’émission de lumière laser.

Pourtant, ce procédé de fabrication n’a rien de simple. L’alliage croit sur un substrat de germanium, qui, comme tout cristal, possède une distance interatomique spécifique, appelée "paramètre de maille". Pour que les deux cristaux s’allient sans créer de défaut à l’interface, il faut que le cristal que l’on fait croître adapte son paramètre de maille à celui du substrat. Lorsque les paramètres de maille sont différents, en cas de désaccord de maille, le matériau déposé se déforme.  Parfois, ces déformations sont si importantes qu’elles entraînent des dislocations. Le cristal craque et le résultat est alors de moins bonne qualité. Dans le cas d’un alliage de GeSn croissant sur un substrat de germanium, le désaccord de maille est tel qu’un réseau de dislocation très dense se forme au niveau de l’interface. Il faut alors une densité de puissance de pompage considérable pour obtenir l’effet laser.

Clichés en microscopie électronique du microdisque composé de couches de GeSn et SiNx déposé sur une couche d'aluminium. A droite, la structure en microdisque après un dernier dépôt de SiN. Crédits : C2N / M. El Kurdi & al.

À la recherche de l’accord de maille

« Nous avons postulé qu’en augmentant la part d’étain dans l’alliage, on augmentait le désaccord de maille. Nous avons donc décidé de travailler avec un matériau comportant moins d'étain que dans la littérature pour avoir peu de défauts à rattraper », signale Moustafa El Kurdi.

Le procédé mis au point par les chercheurs utilise un faible pourcentage d’étain dans l’alliage GeSn, 5,4 % au lieu des 10 % à 16 % observés dans la littérature. En temps normal, cet alliage pauvre en étain constitue un très mauvais émetteur, car il présente une bande interdite indirecte, une configuration rendant l’émission laser impossible. Pour lui permettre de développer un effet laser, les chercheurs ont récupéré le cristal de GeSn après sa croissance sur le substrat de germanium et l’ont retourné pour l’usiner et retirer la partie contenant les dislocations. Ils l’ont ensuite mis en contact avec une couche de nitrure de silicium (SiNx). Le résultat présente une couche de GeSn privée de ses défauts, reposant sur la couche de SiNx qui repose elle-même sur un pied d'aluminium.

« Le SiNx est déposé par couches successives et la dernière couche déposée vient recouvrir le dessus et les côtés uniquement. On obtient ainsi un effet glaçage total. Les couches de SiNx qui sont en-dessous et au-dessus  sont très contraintes, c’est-à-dire qu’elles se situent dans le même état qu’un ressort très comprimé. En se détendant, elles entraînent le GeSn et lui appliquent une déformation en tension. Le GeSn est alors tiré de tous les côtés. C’est le "all around stressor", un système qu'on a breveté avec STMicroelectronics », explique le chercheur.

Ce système en trois étapes comprend d’abord le traitement des défauts de la couche de GeSn. S’appliquent ensuite des déformations en tensions très fortes sur le GeSn pour obtenir une structure de bande à alignement direct, indispensable à un effet laser. Enfin l'aluminium dissipe la chaleur due à l’échauffement du dispositif lors de son utilisation. Avec lui, l’alliage GeSn démontre un effet laser en régime continu, avec un seuil d’émission (densité de puissance de pompage nécessaire pour fonctionner) de deux ordres de grandeur inférieur à ceux rapportés dans la littérature.

Ces résultats ouvrent une nouvelle voie pour la fabrication de sources laser à base de composés du groupe IV, bien plus adaptés à une utilisation industrielle à grande échelle.