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À la recharge des batteries électrochimiques de demain - L'Edition #12

Recherche Article publié le 23 juin 2020

(Article issu de l'Edition n°12 - mars 2020)

 

Batteries lithium-ion, sodium-ion ou magnésium-ion, batteries tout solide, les chercheurs de l’Université Paris-Saclay réfléchissent à de nouveaux systèmes de stockage et de conversion d’énergie, pour gagner en autonomie et longévité.

 

En octobre dernier, l’Académie suédoise a attribué le prix Nobel de chimie 2019 aux inventeurs de la batterie lithium-ion (Li-ion) et distingué l’une des grandes avancées technologiques du XXe siècle. Des premières mises au point dans les années 70 aux applications actuelles, cette batterie rechargeable a bouleversé les modes de stockage et de production d’énergie, jusqu’à occuper aujourd’hui une place prépondérante sur les marchés de l’électronique nomade à l’automobile électrique.

Basé sur la circulation d’ions lithium entre deux électrodes solides au moyen de réactions chimiques, son principe de fonctionnement aboutit à la conversion d’énergie chimique en énergie électrique. Présents dans un électrolyte (un mélange de solvants organiques et de sels dissous), les ions lithium (Li+) circulent réversiblement d’une électrode à l’autre au gré des cycles de charge/décharge. L’électrode positive (cathode), actuellement en oxyde de cobalt lithié, et l’électrode négative (anode), souvent en graphite, échangent leurs ions lithium au cours d’un cycle complet.

« L’avantage majeur des batteries Li-ion est leur importante capacité énergétique par unité de masse et de volume », commente Sylvain Franger, de l’Institut de chimie moléculaire et des matériaux d’Orsay (ICMMO – Université Paris- Saclay, CNRS). Et tout l’enjeu des recherches actuelles – tant sur les matériaux d’électrodes que sur l’électrolyte –, est d’augmenter encore plus cette capacité de stockage, d’améliorer la tenue des batteries aux cycles de charge/ décharge, et leur sécurité. « Mais atteindre un optimum sur l’ensemble des critères reste très compliqué. »

 

Contrer le vieillissement des batteries

À l’ICMMO, Sylvain Franger s’attache à comprendre le fonctionnement intime des batteries Li-ion commerciales en cours d’usage et au repos. Avec son équipe, il teste et modélise leur vieillissement pour identifier les paramètres déterminants, comme la température, les régimes de charge/décharge, l’état de charge ou la profondeur de décharge de la batterie. Complexes, les processus de vieillissement revêtent plusieurs aspects. « Comme les êtres humains, les matériaux se fatiguent naturellement au cours de leur utilisation. Leur structure cristallographique se déforme et ils perdent leurs propriétés originelles. Le lithium se retrouve piégé dans certains sites et devient inaccessible. Or à chaque fois qu’on perd du lithium ou qu’on l’empêche de travailler, c’est de la capacité en moins pour le système », remarque Sylvain Franger. D’autres phénomènes impliquent une expansion volumique des matériaux au cours des cycles de charge/décharge. « Ces “respirations” ont des conséquences sur la cohésion de l’ensemble de l’électrode. »

Pour conserver les bonnes performances de la batterie, la stabilité des électrodes et de l’électrolyte est déterminante. « Au cours du vieillissement, les solvants de l’électrolyte se décomposent à l’interphase entre l’électrolyte (liquide) et la surface de l’électrode (solide) pour donner des produits de dégradation (parfois gazeux), potentiellement inflammables, corrosifs et toxiques. Les produits solides se déposent à la surface de l’électrode et forment, de façon non contrôlée, une couche dite “d’interphase entre le solide et l’électrolyte” (Solid Electrolyte Interphase ou SEI), signale Sylvain Franger. En consommant de la matière, la SEI change les propriétés cinétiques de la batterie et favorise des réactions parasites. Dans des cas extrêmes (recharge rapide, par exemple), on aboutit à un emballement thermique et la batterie peut s’enflammer. » Dilemme : cette couche est également nécessaire car elle protège le système en passivant les électrodes, et empêche la décomposition continue de l’électrolyte. L’enjeu est de réussir à l’optimiser.

 

Un modèle de vieillissement accéléré grâce à la radiolyse

Dans le Laboratoire interdisciplinaire sur l’organisation nanométrique et supramoléculaire (LIONS) de l’unité Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l’énergie (NIMBE – Université Paris-Saclay, CNRS, CEA), Sophie Le Caer utilise la chimie sous rayonnement (β- et γ), qui provoque un vieillissement accéléré de la matière, pour tester différents mélanges d’électrolytes et matériaux d’électrodes et mieux comprendre la SEI. La chercheuse observe la nature et la quantité de produits de dégradation obtenus en phase gazeuse et liquide. « La décomposition est très rapide, et en quelques minutes ou quelques heures, on obtient qualitativement les mêmes molécules – mais en proportions différentes – que lors des études de vieillissement par cyclage, plus longues. »

Ces résultats ouvrent la voie à des études par criblage. « En outre, grâce à la radiolyse pulsée – une technique résolue en temps –, on peut déterminer des constantes de vitesse associées à certaines réactions chimiques. » Récemment, en collaboration avec Sylvain Franger, elle a testé des nanoparticules de carbone mises en suspension dans un électrolyte et soumises à irradiation. « On a vu apparaître des patchs de produits de dégradation, analysés ensuite par spectrométrie photoélectronique X (XPS). Les oxalates et les carbonates de lithium identifiés sont typiquement les produits de dégradation observés dans les batteries Li-ion. » Des résultats qui montrent l’intérêt des propriétés des matériaux modifiés sous radiolyse pour l’étude des batteries.

 

Des technologies émergentes et prometteuses

Même si la technologie Li-ion a encore de beaux jours devant elle, d’autres pistes de batteries électrochimiques rechargeables commencent aujourd’hui à s’affirmer. « La localisation mondiale des réserves de lithium et des autres métaux souvent utilisés, comme le cobalt, créent des problèmes d’approvisionnement et d’exploitation, commente Sylvain Franger. Il est important de contrôler, voire réduire, leur utilisation et de rendre les systèmes éco-compatibles sur l’ensemble de la chaîne de fabrication, de l’extraction du minerai jusqu’au recyclage. »

Au sein du Laboratoire d’étude des éléments légers (LEEL) du NIMBE, Magali Gauthier s’intéresse à une technologie encore très émergente : les batteries magnésium-ion (Mg-ion). Le magnésium, très abondant sur Terre, présente également un coût peu élevé. « Un des grands avantages de l’ion magnésium (Mg2+) est sa capacité à échanger deux électrons, commente la chercheuse. En théorie, la capacité énergétique des batteries Mg-ion pourrait être le double de celle des batteries Li-ion. Mais comme l’atome de magnésium interagit plus fortement avec son environnement, cela modifie sa mobilité et la réactivité des matériaux. Des électrolytes analogues à ceux utilisés dans les batteries Li-ion ne fonctionnent pas ici et la couche de passivation ne laisse pas passer les ions. »

Pour améliorer ce système, la chercheuse étudie différents alliages d’anode et leur compatibilité avec les électrolytes, comme récemment l’alliage micrométrique d’indium et d’antimoine obtenu par broyage. « La capacité théorique de l’antimoine est très importante, mais pris séparément, ce métal piège irréversiblement les ions magnésium dans sa structure : la batterie n’est alors pas rechargeable. En le combinant à l’indium sous la forme d’un alliage, on débloque partiellement la réaction et une quarantaine de cycles de charge/décharge devient possible. » La chercheuse constate également la transformation, au cours de la réaction, de certaines phases de l’alliage, cristallines, en solide amorphe. « Actuellement, nous tentons de mieux comprendre ce phénomène et la réactivité de l’alliage, et d’évaluer les performances obtenues. »

 

Une première batterie tout solide au sodium

De son côté, Sylvain Franger lorgne vers les batteries tout solide, abritant un électrolyte solide en lieu et place du liquide. Un de ses avantages est d’éviter, en théorie, le développement des dendrites apparaissant lors des recharges rapides. Ces dépôts croissants et non uniformes de métal à la surface de l’électrode créent des courts-circuits lorsqu’ils atteignent l’autre électrode. « Toutefois, les électrolytes solides étant polycristallins, il s’avère que la dendrite trouve tout de même un passage à travers les joints de grains, plus mous, et les porosités de la céramique. »

Drastiquement compactée, la batterie tout solide promet également une capacité énergétique par unité de volume atteignant des sommets. « Sans compter son aspect sécuritaire : elle ne renferme pas d’éléments inflammables et étant dépourvu de solvants, elle ne fuit pas. Son recyclage s’annonce également plus aisé », remarque Sylvain Franger.

Depuis deux ans, son équipe, en partenariat avec la société Greenfish, s’est fixé un double challenge : mettre au point une batterie tout solide au sodium, pour cumuler les avantages des deux systèmes. Comme le magnésium, le sodium est très abondant sur Terre et réparti de façon ubiquitaire. « Mais l’atome de sodium est plus gros et lourd que celui du lithium, sa mobilité est différente. Cela implique de revenir sur la chimie et les matériaux », signale Sylvain Franger.

Pionnière dans le domaine, son équipe s’attache à contourner les différents verrous technologiques des systèmes. Elle s’intéresse aux électrolytes solides de type verre ou céramiques, de la famille des oxydes, et cherche à améliorer les propriétés mécaniques et à augmenter la conduction ionique en changeant la chimie du composé. « Nous avons depuis apporté la preuve de concept avec nos matériaux. » La batterie (du futur ?) est en charge ...

 

Publications

Sylvain Franger et al., Combining a Fatigue Model and an Incremental Capacity Analysis on a Commercial NMC/Graphite Cell under Constant Current Cycling with and without Calendar Aging. Batteries 2019, 5, 36.

Magali Gauthier et al., Unexpected Behavior of the InSb Alloy in Mg-Ion Batteries: Unlocking the Reversibility of Sb. J. Phys. Chem. C 2019, 123, 1120−1126.

Sophie Le Caer et al., Ex situ solid electrolyte interphase synthesis via radiolysis of Li-ion battery anode–electrolyte system for improved coulombic efficiency. Sustainable Energy Fuels 2 (2018) 2100.