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La petite musique interne du qin Qiulai enfin révélée : quand la science compose

Recherche Article publié le 25 novembre 2021 , mis à jour le 30 novembre 2021

Lors d’une visite au Musée de la musique (Paris), face à une ancienne cithare qin, il y a de fortes chances que nous parviennent en creux l’écho des sonorités passées de cet instrument rare de musique chinoise. Mais si l’on tend davantage l’oreille et que l’on observe au-delà, c’est tout le travail d’une équipe de chercheurs et de chercheuses, notamment du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE – Univ. Paris-Saclay, CEA, CNRS, UVSQ), sur les secrets de cet instrument à l’histoire mystérieuse qui se révèle. Quels composants contient-il, quel âge a-t-il ? Autant de questions qu’explorent leurs recherches, avec en toile de fond toujours la même problématique : garder la valeur culturelle de l’objet produisant cette mélodie que l’on entend. 

Le Musée de la musique propose depuis 2015 d’admirer un objet extrêmement rare : une ancienne cithare, un qin, un instrument de musique traditionnelle très ancré dans la culture chinoise. Objet d’art, cet instrument, nommé Qiulai, est un heptacorde, c’est-à-dire une table en bois qui tend sept cordes de soie. Ses origines sont toutefois très obscures : cet instrument est retrouvé en 2012 dans la collection acoustique du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) sans que l’on puisse en déterminer la provenance avec certitude, ce qui soulève la question de son authenticité. Dans une approche interdisciplinaire, Marie-Gabrielle Durier et Christine Hatté, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE – Univ. Paris-Saclay, CEA, CNRS, UVSQ), et leurs collègues de l’équipe de Conservation et de Recherche du Musée ont cherché à mettre en avant les composants de l’objet pour confirmer les connaissances disponibles sur les qin essentiellement issues des poèmes anciens et de la tradition orale ayant survécu à la Révolution culturelle chinoise. À l’aide d’une datation au carbone 14, l’équipe s’est également attachée à déterminer l’âge de l’instrument, remontant à la fin du XVIIe siècle, pour valider l’authenticité du qin retrouvé. 

 

Des recherches sous contraintes

Le Qin exposé au Musée de la musique. Crédit photo : Claude Germain 
https://collectionsdumusee.philharmoniedeparis.fr/doc/MUSEE/1105337/cit…

Instrument musical, historique mais aussi objet d’art en soi : plusieurs facteurs font du qin découvert un objet de valeur. Si son authenticité reste à assurer, un premier problème de taille se pose rapidement à l’équipe : les recherches d’authentification via la datation au carbone 14 nécessitent de récupérer un échantillon de matière de l’objet, or tout l’enjeu est de réussir à préserver l’intégrité visuelle et les qualités de jeu de l’instrument. « Au Musée de la musique, 5 % des instruments exposés sont remis en état de jeu et associés à une bande son. C’est donc bien l’instrument que l’on observe qu’entendent nos oreilles », clarifie Christine Hatté. C’est pour ces raisons que le Musée de la musique privilégie des techniques non invasives, c’est-à-dire qui n’impliquent pas de prélever une partie de l’objet, et non destructives, qui n’altèrent pas la matière étudiée. 

L’équipe oriente ses analyses en particulier sur le vernis présent à la surface de l’instrument. Mais si respecter l’intégrité matérielle du Qiulai est une chose, trouver une méthode de traitement du matériau cohérente avec la datation au carbone 14 (14C) en est une autre, et pas des moindres. La datation repose sur la mesure du 14C présent en infime proportion dans un échantillon organique. Cet isotope instable, seul isotope radioactif du carbone, se désintègre dans le temps à un rythme régulier pour donner des isotopes stables de l'azote. La proportion encore présente à un instant donné constitue un “chronomètre” idéal pour estimer l’âge de l’échantillon. Néanmoins, cette technique soulève des difficultés, surtout quand elle s’applique à de très petits échantillons : elle comporte le risque d’affecter ou de perdre une partie de la quantité totale du carbone d’origine de l’échantillon. Or, certaines méthodes de prélèvement risquent bien de le contaminer. C’est le cas des solvants fréquemment usités par les restaurateurs et remplis de carbone d’origine pétrolière, par exemple. L’astuce, plus rare, de collecter un échantillon poudreux par un scotch engendre le même type de problème. La solution trouvée par l’équipe de chercheurs réside dans l’utilisation d’un micro-scalpel, d’un microscope binoculaire et d’une lampe UV. Ces micro-scalpels aident à prélever, couche par couche, les laques de l’instrument et de passer chacune d’entre elles à la datation au 14C : une couche de laque noire sous-jacente et une couche de laque rouge de surface. 

 

Un dialogue interdisciplinaire

L’exercice de datation au 14C est bien différent d’un travail d’archéologie : ici pas d’intervalle unique de dates possibles, mais plutôt une fourchette de temps, « plusieurs plages de dates équiprobables », explique Marie-Gabrielle Durier. Pour réduire ces intervalles, les scientifiques s’appuient sur des connaissances acquises sur l’objet via d’autres disciplines. Dans le cas du qin, la caractérisation chimique des matériaux de l’instrument et l’analyse iconographique et de la littérature chinoise jouent partition commune. Alors que l’équipe retrouve de la malachite et du noir d’os dans la laque de l’instrument (laque noire), les poèmes renseignent sur les raisons de cette présence : le noir d’os correspond à l’utilisation de bois de cerf dans la fabrication du qin, et la malachite à des pierres concassées utilisées pour aboutir à des qualités acoustiques symboliquement idéales. La littérature ancienne explique également pourquoi le bois de l’instrument présente une datation beaucoup plus ancienne que celle d’un des composants de la laque (laque rouge) et des cordes de soie constituant les cordes de l’instrument. D’après les poèmes, la qualité du son viendrait de la spiritualité acquise par le bois avant son utilisation pour créer le qin, ceci expliquant le choix d’un bois plus ancien, probablement issu d’un temple.

 

Quelle histoire propose le qin ?

Les résultats obtenus par l’équipe laissent supposer que la fabrication du qin Qiulai remonte à une période située entre 1659 et 1699 de notre ère. Ils viennent valider la valeur historique et anthropologique de l’instrument tout en confirmant son authenticité. Sur cette base actuelle de la recherche, le Cnam peut en toute légitimité se targuer de posséder l’un des plus vieux qin d’Europe. Dans le même temps, si la piste se confirme, cela représente un véritable gain culturel pour la Chine où le qin est mythique. « C’est l’équivalent des violons de Stradivarius », commente Marie-Gabrielle Durier. 

Tout est-il pour autant dit sur cet instrument ? « Non ! », répondent en chœur les chercheuses du LSCE. Plusieurs mystères subsistent, dont certains dépassent les sciences expérimentales. Alors que de nombreux échanges culturels ont lieu entre la France et la Chine durant le siècle des Lumières, l’histoire raconte qu’un père jésuite et missionnaire à Pékin, Joseph-Marie Amiot, aurait envoyé en Europe des instruments de musique traditionnels chinois, dont un qin resté introuvable à ce jour. S’agirait-il de celui retrouvé au Cnam ? Pour l’heure, nul ne le sait. L’enquête n’est pas finie. 

 

Référence :