
La glace sur la lune Europe : un phare atomique !
Europe, l’une des lunes de Jupiter, intéresse particulièrement les scientifiques notamment pour son océan sous-glaciaire qui pourrait abriter la vie. Deux missions spatiales ont été lancées afin d’approfondir notre connaissance de ce satellite. L’une en 2023 par l’Agence spatiale européenne et l’autre en 2024 par la NASA . Mais quelles sont les conditions d’atterrissage sur son sol ? Une équipe de chercheurs du laboratoire Géosciences Paris-Saclay (GEOPS – Univ. Paris-Saclay/CNRS), vient de publier des résultats inédits pour répondre à cette question. Leur analyse de la glace d’Europe à l'échelle atomique révèle une oscillation saisonnière de sa structure, comparable à un phare atomique !
Europe est l’un des quatre satellites de Jupiter découverts en 1610 par Galilée avec Ganymède, Callisto et Io. La surface d’Europe est entièrement recouverte d’une épaisse croûte de glace d'eau sous laquelle se trouve un océan global d'eau liquide. Cette lune intéresse particulièrement les scientifiques depuis que les données de la sonde Galileo, à la fin des années 1990, ont révélé des conditions propices à l'émergence de la vie dans cet océan sous-glaciaire. Europe est donc au cœur de deux des plus grandes missions spatiales de la décennie : Jupiter Icy Moons Explorer (JUICE) de l'Agence spatiale européenne (ESA), lancée le 14 avril 2023, qui placera une sonde spatiale en orbite autour de Jupiter en juillet 2031 pour étudier trois des quatre satellites galiléens, dont Europe ; et Europa Clipper de la NASA, lancée le 14 octobre 2024, focalisée sur l'étude d'Europe.
Différentes formes de glace
Sur Terre, la glace d'eau dans son environnement naturel se présente sous une seule forme : une structure cristalline, communément appelée « glace hexagonale ». Cependant, dans l’espace, comme sur Europe, la glace peut adopter des formes plus exotiques avec différentes propriétés. La forme de glace la plus répandue dans l’Univers est la glace dite « amorphe », dont l’arrangement des molécules d'eau ne présentent aucun ordre à grande échelle, contrairement à la glace « cristalline », ou « hexagonale », qui, elle, possède des motifs répétitifs (voir Figure 1).

Les glaces d’Europe : un mélange de formes amorphes et cristallines
À la surface des lunes glacées de Jupiter, où la température est extrêmement basse (-170°C), la structure cristalline de la glace a tendance à se briser partiellement sous l'effet des bombardements de particules en une forme amorphe. Les observations spatiales des glaces d'Europe ont montré que ces dernières sont composées d'un mélange de formes amorphes et cristallines. Alors qu’aucun modèle n'expliquait jusqu'à présent comment l'environnement influençait cette structure moléculaire, des scientifiques ont, pour la première fois, quantifié la compétition entre la cristallisation, due à la température pendant les heures les plus chaudes de la journée, et l'amorphisation, induite par le bombardement de particules solaires déviées par la magnétosphère de Jupiter.
Cartographier les glaces à la surface d’Europe
Leur étude a montré que la cristallinité de l’eau sur Europe est stratifiée : une très fine couche en surface est amorphe, tandis qu’en profondeur la glace est cristalline. Ces résultats de modélisation ont été publiés (Mergny et al., 2025) simultanément avec une autre étude indépendante, menée par la NASA, utilisant le puissant télescope spatial James Webb (Cartwright et al., 2025). Bien que les deux approches utilisent des méthodes totalement différentes, elles aboutissent à deux cartes de cristallinité d'Europe présentant de grandes similitudes (voir Figure 2). Cela renforce ainsi la robustesse de ces résultats qui permet aux scientifiques de mieux comprendre la structure de la glace à l'échelle atomique sur Europe.

Europe scintille au fil des saisons
Plus remarquable encore, les simulations réalisées ont révélé que la cristallinité de la glace pourrait varier selon les saisons. En été sur Europe, il fait plus chaud, ce qui rend la glace dans certaines régions jusqu'à 35 % plus cristalline qu'en hiver. Si l'on observait Europe au fil des saisons à travers un spectroscope, cela donnerait l'impression que la surface « scintille » comme un phare.
Ces nouvelles connaissances seront utiles pour, un jour, envisager de poser une sonde sur Europe, mais aussi pour mieux comprendre les processus géologiques qui façonnent sa surface. Dans les prochaines années, il est possible d’espérer que l’oscillation du « phare atomique » pourrait être réellement observée, notamment par la sonde Europa Clipper de la NASA ainsi par que la mission JUICE de l’ESA.
Animation : Variations de cristallinité à la surface d'Europe au cours de son orbite annuelle d'environ 12 ans. Observée à travers le spectroscope des sondes Europa Clipper et JUICE, la surface semblerait scintiller au fil des années.
Références :
Mergny, C.; Schmidt, F. & Keil, F. The blinking crystallinity of Europa: A competition between irra-diation and thermal alteration Icarus, Elsevier BV, 2025, 441, 116700, http://dx.doi.org/10.1016/j.icarus.2025.116700
Cartwright, R. J.; Hibbitts, C. A.; Holler, B. J.; Raut, U.; Nordheim, T. A.; Neveu, M.; Protopapa, S.; Glein, C. R.; Leonard, E. J.; Roth, L.; Beddingfield, C. B. & Villanueva, G. L. JWST Reveals Spec-tral Tracers of Recent Surface Modification on Europa The Planetary Science Journal, American Astronomical Society, 2025, 6, 125, http://dx.doi.org/10.3847/psj/adcab9