Joël Ankri : un médecin chercheur sur le vieillissement et la maladie d’Alzheimer

Portrait de chercheur ou chercheuse Article published on 28 novembre 2025 , Updated on 28 novembre 2025

Joël Ankri consacre sa carrière à comprendre les mécanismes du vieillissement et les maladies cognitives qui l’accompagnent. Professeur émérite des universités, ex directeur du laboratoire Vieillissement et maladies chroniques (Vima - Univ. Paris-Saclay/UVSQ/Inserm), praticien hospitalier et spécialiste de la maladie d’Alzheimer à l’hôpital Sainte Périne de Paris, il préside depuis 2021 le conseil scientifique de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et est également conseiller médical auprès du directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France. En juillet 2025, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur.

Joël Ankri entreprend des études de médecine à l’université Pierre-et-Marie-Curie (aujourd’hui Sorbonne Université) en 1969, à une époque où la biologie moderne fait ses premiers pas. Il soutient en 1978 une thèse d’exercice en endocrinologie consacrée aux hyperplasies congénitales des surrénales - des maladies génétiques rares qui perturbent la production des hormones - récompensée par une médaille de la Faculté de médecine. Après un passage à l’Institution nationale des Invalides pour son service militaire, il s’oriente vers la gériatrie et la santé publique. Il obtient un diplôme d’études approfondies (DEA, l’équivalent d’un master 2 aujourd’hui) en réadaptation, rééducation et plasticité de la fonction motrice à l’université de Bourgogne, puis il soutient une thèse de sciences en santé publique et gériatrie, centrée sur la consommation médicamenteuse des personnes âgées.

La maladie d’Alzheimer, du « vieillissement normal » à la pathologie cérébrale

Décrite pour la première fois en 1906, la maladie d'Alzheimer demeure l'une des pathologies les plus complexes du vieillissement cérébral. Longtemps ignorée, cette maladie ne suscite qu’un intérêt marginal, jusqu’à ce que le vieillissement des populations amène la recherche à s’intensifier. 
Lorsque, dans les années 1980, Joël Ankri débute sa carrière hospitalo-universitaire à l’hôpital Sainte-Périne de Paris et au laboratoire Vieillissement et maladies chroniques (Vima - Univ. Paris-Saclay/UVSQ/Inserm), la gérontologie est encore un champ peu exploré. Les troubles cognitifs du grand âge sont souvent confondus avec la sénilité. « Puis, au fil du temps, on a compris que certaines altérations du cerveau ne relevaient pas du vieillissement normal, mais de véritables pathologies. » La maladie d’Alzheimer est désormais identifiée par la présence de deux protéines anormales, la bêta-amyloïde et la protéine Tau, qui s’accumulent dans certaines régions du cerveau, notamment l’hippocampe, et entraînent une dégénérescence progressive des fonctions cognitives. « Nous disposons désormais d’outils de diagnostic très précis, comme l’imagerie cérébrale ou les biomarqueurs biologiques. »

Aujourd’hui, la maladie d’Alzheimer touche plus d’un million de personnes en France et reste majoritairement présente dans les pays développés. Mais elle progresse aussi dans les pays émergents, notamment en Afrique, où les solidarités familiales traditionnelles montrent leurs limites, et en Chine, qui mobilise d’importants moyens pour la recherche et la prise en charge des personnes âgées.

Un professeur au service du système de santé

À l’hôpital Sainte-Périne, Joël Ankri met en place l’une des premières consultations mémoire pluridisciplinaires, une structure spécialisée destinée à évaluer, diagnostiquer et suivre les troubles cognitifs. En parallèle, il mène des travaux d’épidémiologie sur les personnes âgées et s’intéresse à la consommation médicamenteuse, à la coordination des soins et à la qualité de vie. « Nous avons constaté à quel point notre système de santé était fragmenté, car les acteurs du financement, du soin et de l’évaluation travaillent encore trop souvent en silos. » Avec des collègues du Québec et du Danemark, le chercheur compare les modèles de prise en charge et plaide pour une approche intégrée mêlant médical et social.
Ses recherches s’élargissent ensuite à la fragilité, la qualité de vie et la santé des aidantes et aidants familiaux, ainsi que sur l’évaluation des politiques de soins aux personnes âgées, à travers plusieurs cohortes et projets nationaux et européens. Dans ce cadre, il participe notamment au projet international RAI (Resident Assessment Instrument), coordonné par des chercheurs nord-américains, qui vise à harmoniser les outils d’évaluation du vieillissement et de la dépendance dans différents pays, en standardisant les pratiques des établissements médico-sociaux (EHPAD, soins de longue durée, etc.) et en améliorant la comparabilité internationale des données sur la dépendance et les politiques de santé publique.
Enfin, ses travaux sur la consommation de psychotropes chez les seniors révèlent une importante problématique de santé publique, qui consiste en une surprescription fréquente et un risque iatrogène élevé (c’est-à-dire un effet inattendu et indésirable d’un médicament), liés à une sensibilité accrue de l’organisme au vieillissement. « Un médicament qui provoque une simple somnolence chez un quadragénaire peut, chez un octogénaire, provoquer une chute, une fracture et de lourdes conséquences. »

Des responsabilités nationales et internationales

En 2012, Joël Ankri évalue le plan national Alzheimer lancé en 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, avant de participer à la conception du plan Maladies neurodégénératives de 2014. Nommé par les ministères de la Santé, des Personnes âgées et de l'Enseignement supérieur, il évalue la mise en œuvre de ces programmes et contribue à définir leurs priorités, à savoir structurer les consultations mémoire, renforcer la recherche et améliorer la prise en charge des patientes et patients et de leurs proches. « Pour la première fois, l'État reconnaissait l'ampleur de ces pathologies et en faisait un véritable enjeu de santé publique, avec un investissement de 1,6 milliard d'euros sur cinq ans. D'ailleurs, la communauté internationale a salué la France, premier pays à affirmer qu'il s'agissait d'un enjeu national de santé publique. »

Parallèlement, en 2010, Joël Ankri prend la tête du laboratoire universitaire Santé, environnement, vieillissement, qu'il transforme en 2015 en unité mixte de recherche, le laboratoire Vima. L'unité, classée excellente par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), explore les dimensions épidémiologiques du vieillissement, de la fragilité et des maladies chroniques. La même année, le professeur crée le master de méthodologie des interventions en santé publique à l’Université Paris-Saclay et occupe des fonctions de vice-directeur de l’école doctorale Santé publique de l’université.

Expert reconnu du médicament et de la pharmacovigilance, Joël Ankri siège également au sein de plusieurs instances françaises et européennes, dont la Commission nationale de pharmacovigilance (2000-2009), la Commission d'autorisation de mise sur le marché (2004-2009) et le groupe gériatrique de l'Agence européenne du médicament (2009-2015).

À la retraite depuis 2019, Joël Ankri reste engagé au cœur des politiques publiques en tant que conseiller scientifique à la Caisse nationale d'assurance maladie, à l'ARS d'Île-de-France, et président du conseil scientifique de l'ANSM depuis 2021. Chevalier des Palmes académiques depuis 2021 et de la Légion d'honneur depuis 2025, il voit dans ces distinctions la reconnaissance d'un engagement de près d'un demi-siècle au service du soin, de la recherche et de l'enseignement.

Des avancées prometteuses mais encore incomplètes

Face aux avancées récentes dans le traitement de la maladie d'Alzheimer, Joël Ankri fait preuve d'un optimisme mesuré. Les anticorps monoclonaux autorisés aux États-Unis, au Japon et en Europe représentent une étape mais pas une vraie solution. Ces médicaments, qui éliminent les plaques de bêta-amyloïde du cerveau, montrent des résultats spectaculaires en imagerie mais sans amélioration clinique majeure. « Cela montre que nous n’avons pas encore une vision complète de cette maladie. » Pour accélérer les découvertes, Joël Ankri plaide pour une recherche transversale, mêlant biologie, clinique et sciences humaines, et insiste sur la nécessité d'attirer des chercheurs et chercheuses de haut niveau. « Un pays qui n’investit pas dans sa recherche compromet son avenir, et le plus beau métier du monde, c'est la recherche et l'enseignement. »