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Frédéric Bournaud : Percer le mystère de la formation des grandes galaxies

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 02 novembre 2020 , mis à jour le 20 septembre 2022

Frédéric Bournaud dirige le Laboratoire de cosmologie et évolution des galaxies (LCEG – Université Pari-Saclay, CEA, CNRS). Pour percer les mystères de la formation des grandes structures de l’Univers sur une période de 15 milliards d’années, son laboratoire combine les données observées par les grands télescopes à des simulations numériques intensives réalisées sur des supercalculateurs.

L’équipe de Frédéric Bournaud simule le contenu général de l’Univers. « Nous y observons de grands filaments, aux croisements desquels se trouvent de grandes surdensités comportant des galaxies à l’intérieur. Les galaxies sont des disques d’hydrogène en rotation, très turbulents et très agités, dont les fragments les plus denses forment les étoiles. C’est toute cette hiérarchie dans la formation de ces structures que nous essayons de comprendre, en alliant l’observation à la théorie et à la modélisation sur ordinateur. »

Modéliser la formation des galaxies à différentes échelles

L’objectif est d’abord de comprendre de quoi est composée la matière noire de l’Univers : d’atomes d’hydrogène, de molécules, de poussière, de particules élémentaires inconnues ? Pour cela, le chercheur compare ses observations aux prédictions établies par tous les modèles de la physique. Ce qui explique l’extrême difficulté rencontrée dans la résolution de telles équations.  « Nous avons recours à des supercalculateurs. Nous y entrons les équations de la physique telles que nous les imaginons, en fonction des hypothèses à tester sur la matière noire. » L’instant initial de la simulation correspond alors à un instantané de l’Univers pris juste après le Big Bang. La simulation évolue ensuite dans l’ordinateur au gré de la formation successive des grands filaments, des grandes structures, des galaxies et enfin de leurs étoiles. « Nous comparons cette simulation à l’observation et déterminons les lois de la physique remises en cause dans le modèle. » 

Les modèles développés doivent cependant s’adapter aux différentes époques de l’Univers et à différentes échelles. Et si un modèle s’accorde bien à une observation, à une échelle donnée, il se révèle défaillant aux autres : il est par exemple impossible d’expliquer l’existence de trous noirs qui se sont formés très tôt au centre de certaines galaxies. « Nous les avons en effet observés dans l’Univers lointain, au cœur de galaxies alors très jeunes, et les modèles les plus réalistes n’arrivent pas à expliquer pourquoi ces trous noirs se sont formés si tôt », confie Frédéric Bournaud. 

DESI et Euclid

Les premières données de l’instrument DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument), un très grand spectrographe au sol installé dans le désert d’Arizona, viennent de parvenir aux chercheurs de l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu), avec lesquels Frédéric Bournaud collabore très étroitement. « Sans la simulation, nous ne saurions pas les interpréter, évoque le chercheur. Lorsqu’on observe le ciel très lointain, la matière extragalactique produit une absorption sur la ligne de visée, ce qui rend les galaxies visibles. En observant une galaxie depuis une autre, DESI permet de voir tout le gaz diffus entre ces deux galaxies, ce qui correspond à l’essentiel du volume de l’Univers. On sonde ainsi toutes les régions cosmiques qu’on ne voit pas briller la nuit parce qu’elles produisent de l’absorption devant les objets lointains. » 

Prévu pour un lancement en 2022, le satellite Euclid sondera différemment la distribution de matière dans l’Univers :  à l’aide d’une lentille gravitationnelle, il mesurera la déformation des images observées grâce à l’effet d’optique induit par la théorie de la relativité générale. Ladéviation de la lumière comme dans un effet de loupe. « Nous tenterons de savoir où est l’essentiel de la matière de l’Univers, puisque nous savons qu’elle ne se trouve pas dans les étoiles que nous observons », explique le chercheur. 

Sur ces deux grandes missions observationnelles, le travail de Frédéric Bournaud consiste, à nouveau, à produire des simulations en utilisant différents modèles de physique et à les comparer aux données observées. « C’est loin d’être simple, car l’image de l’observation ne ressemble pas forcément à celle de la simulation, à cause des différentes longueurs d’onde de la lumière ou des différentes échelles. Certains modèles physiques reproduisent mieux les galaxies, et d’autres les trous noirs. »

Projet Extrême Horizon et Exaflop

Parfois, les simulations produisent des résultats inattendus, comme pour les « galaxies dites compactes, dix fois plus petites que les autres mais de masse identique. Leur évolution est très particulière », raconte Frédéric Bournaud. Ces simulations viennent compléter le projet Extrême Horizon initié il y a quinze ans en Île-de-France, avec notamment le CEA, l’Institut d’astrophysique de Paris et l’Observatoire de Paris. Le projet tire son nom de l’horizon cosmologique, la limite de l’Univers observable, et pousse les limites des logiciels de simulation des supercalculateurs.

Cet hiver, le chercheur démarre un des projets européens financés par EuroHPC (European High Performance Computing). Ce projet, porté par le Laboratoire d’informatique haute performance pour le calcul et la simulation (LIHPC – Université Paris-Saclay, CEA), vise à obtenir, d’ici 2022-2023, au sein du Très grand centre de calcul (TGCC) du CEA à Bruyères le Chatel, le premier supercalculateur d’une puissance de calcul exaflopique (1018 flops), soit un milliard de milliards d'opérations par seconde. Il s’agit également d’améliorer les logiciels pour consommer moins d’énergie. « L’idée c’est d’adapter nos calculs et de chercher d’autres façons de résoudre mathématiquement nos équations de physique grâce à l’utilisation de ces futurs processeurs », détaille Frédéric Bournaud. 

Étoile montante

« Je ne me destinais pas forcément à faire de l’astrophysique », déclare Frédéric Bournaud. Pendant sa thèse à l’Observatoire de Paris, menée sous la direction de Françoise Combes et soutenue en 2006, il saisit l’opportunité de collaborer avec le LCEG, alors en demande de ses compétences. Après un bref post-doc, il est embauché en 2007. « On m’a donné toute latitude pour créer mon équipe, proposer un projet ERC, qui vient d’ailleurs de se terminer. C’était très motivant. » Frédéric Bournaud obtient le prix Jeune Chercheur de la Société française d’Astronomie et d’Astrophysique (SF2A) en 2016, « une reconnaissante des pairs qui montre que nos propres collègues trouvent nos recherches légitimes ».

Le chercheur fait aujourd’hui partie des Highly Cited Scientists, les scientifiques les plus cités au monde, avec quatre autres chercheurs du même laboratoire. « Nous essayons d’être à la pointe d’une recherche assez compétitive, comme d’ailleurs beaucoup d’autres chercheurs de l’Université Paris-Saclay. Il faut mettre à profit cette transversalité pour faire naître des nouvelles idées et apporter de nouveaux savoir-faire », conclut Frédéric Bournaud.