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Franck Courchamp : comprendre l’impact des activités humaines sur la biodiversité

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 29 juillet 2022 , mis à jour le 01 septembre 2022

Franck Courchamp est directeur de recherche au CNRS et chercheur au laboratoire Écologie, systématique et évolution (ESE – Université Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech). Spécialiste de la dynamique des populations animales et de la biologie de la conservation, il est l’un des scientifiques les plus cités dans son domaine, en plus d’être un vulgarisateur hors pair. Se définissant volontiers comme un touche-à-tout hyperactif, il confesse avoir la curiosité pour principal moteur.  

Quand on demande à Franck Courchamp de retracer son parcours, sa première réponse sonne comme une évidence : « Je suis un pur produit de l’université ! ». Après une maîtrise de biologie obtenue à l’université Paris-Sud, c’est en effet au sein de l’université Lyon 1 qu’il obtient son DEA et réalise une thèse sur l’épidémiologie du sida du chat. « C’est à cette époque que j’ai découvert ma passion pour la recherche et que j’ai décidé d’en faire mon métier », se souvient le chercheur. Sa thèse en poche, Franck Courchamp s’envole pour les États-Unis où il réalise un premier post-doctorat consacré aux invasions biologiques à l’université de San Diego, en Californie. Il rejoint ensuite l’université de Cambridge pour réaliser un second post-doctorat sur la dynamique des populations rares. En 2000, il est recruté comme chargé de recherche au CNRS au sein du laboratoire Écologie, systématique et évolution, à Orsay. Il commence à y étudier l’impact du changement climatique sur la biodiversité. « Moi qui, avec l’étude de la dynamique des populations, venais plutôt de l’écologie fondamentale, j’ai alors progressivement basculé vers une démarche plus appliquée en me consacrant à la biologie de la conservation », explique Franck Courchamp.

 

Comprendre la valeur des espèces rares

Peu après son arrivée, il consacre une partie de ses travaux de recherche à la question de la valeur des espèces rares. « Dans le cadre de la surexploitation des espèces sauvages, j’avais démontré que contrairement aux théories en vigueur en économie, le fait de déclarer "rare" une espèce pouvait faire croître sa valeur et ainsi, paradoxalement, accélérer son extinction. Avec mon équipe, nous avons donc lancé une série d’études sur les comportements humains pour démontrer l’intérêt pour la rareté », explique le chercheur. Dans le cadre d’une série d’expériences menées sur le public de la ménagerie du Jardin des plantes de Paris, Franck Courchamp et ses collègues conçoivent des dispositifs demandant au public soit un effort supplémentaire (gravir un escalier), soit un risque à prendre (passer sous un arroseur), soit un coût financier (payer un supplément), pour voir une espèce étiquetée « rare » ou « commune », mais en réalité toujours la même. Dans une autre expérience, ils font goûter à un public « VIP » test deux caviars – en réalité le même produit – l’un présenté comme « rare », l’autre comme « commun ». « Au travers de ces expériences et de nombreuses autres, nous avons démontré que, pour la rareté, le public était prêt à payer, à faire plus d’effort, à supporter l’inconfort et à prendre plus de risques. » Des travaux qui, en plus de permettre à Franck Courchamp de développer des approches interdisciplinaires prenant en compte l’économie, la socio-psychologie ou les sciences de la conservation, lui valent de recevoir la prestigieuse médaille d’argent du CNRS en 2011.

 

Observer les espèces de fourmis envahissantes

Autre thématique de recherche très importante pour son équipe : celle des invasions biologiques menaçant la biodiversité. « À partir de 2008, nous nous sommes notamment penchés sur la problématique de l’invasion de certaines espèces de fourmis. Nous voulions comprendre pourquoi les espèces de fourmis envahissantes étaient plus efficaces que les fourmis locales. Pour ce faire, nous avons réalisé, en laboratoire et sur le terrain et avec des colonies de fourmis issus de différentes espèces, de nombreuses expériences de type courses dans des labyrinthes ou épreuves de compétition entre fourmis. Des expériences qui, parce qu’elles étaient particulièrement divertissantes, ont trouvé un large écho médiatique », explique le chercheur. Face à tant d’engouement, Franck Courchamp s’interroge sur la meilleure manière de partager les travaux de son laboratoire au-delà du monde scientifique. C’est ainsi que naît l’idée de créer La Guerre des fourmis, une bande dessinée didactique à destination du grand public illustrant les recherches menées sur ces fourmis envahissantes. Une création qui rencontre immédiatement son public. Depuis sa mise en ligne gratuite, cette BD a été consultée par plus de 400 000 internautes. 

 

Transmettre la science au plus grand nombre : une priorité

Ce goût pour la vulgarisation, Franck Courchamp l’a toujours eu. Alors que thésard, on lui dit que les bons vulgarisateurs sont malheureusement trop souvent vus comme de mauvais scientifiques, le jeune docteur de l’époque n’hésite pas à consacrer du temps à l’écriture d’articles pour des revues comme La Recherche ou à la réalisation d’un documentaire pour CNRS Images. « J’ai toujours ressenti le besoin de partager ma passion pour la science. Je suis d’ailleurs de plus en plus convaincu que l’on sous-estime grandement l’appétence du public pour la science, ses concepts et ses expériences. » Outre La Guerre des fourmis, d’autres réalisations de Franck Courchamp rencontrent au fil des ans le succès auprès du grand public : l’ouvrage L’écologie pour les nuls, paru en 2009, est aujourd’hui devenu une référence en la matière ; le film d’animation 3D en dix épisodes Insignificant : une espèce à part, réalisé avec Clément Morin et qui interroge la place de l’être humain dans l’Univers et a été vu plus de quinze millions de fois ; ou encore Legacy, le dernier film de Yann Arthus-Bertrand, avec et pour qui il écrit et offre une magnifique vision de l’humanité. « Bien que chacune de ces aventures ait été unique, toutes ont eu pour ambition commune de toucher les spectateurs et spectatrices. J’ai à cœur de produire une vulgarisation qui ne soit ni catastrophiste, ni dans l’angoisse ou la culpabilité. Pour porter un message et atteindre le plus grand nombre, je préfère m’appuyer sur le ressort de l’humour comme dans L’écologie pour les nuls ou La Guerre des fourmis, ou sur celui de l’émerveillement comme dans Une espèce à part ou Legacy », indique le chercheur.

 

S’engager pour faire bouger les lignes

Franck Courchamp fait partie de ces chercheurs et chercheuses que l’on appelle « engagés ». Engagé, il l’est au service des étudiantes et des étudiants qu’il accompagne et dont il a à cœur, comme il aime à le répéter, « d’en faire de meilleurs chercheurs et chercheuses que lui-même ». « Que ce soit avec mes doctorantes et mes doctorants ou avec les étudiantes et les étudiants que j’encadre à divers niveaux, j’ai toujours considéré ma mission davantage comme un mentorat que comme une supervision. Je m’y implique donc énormément », précise-t-il. Engagé, Franck Courchamp l’est aussi au service de la société lorsqu’il s’implique dans la rédaction des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ou de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). « S’il y a là une opportunité de faire bouger les lignes, alors nous devons la saisir », conclut-il.

 

Franck Courchamp - Crédits Christophe Peus