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Et si on généralisait l’affichage environnemental ?

Recherche Article publié le 23 novembre 2019 , mis à jour le 23 novembre 2019

Benoit Gabrielle, professeur en bioclimatologie à AgroParisTech, et Catherine Gomy, enseignante en management environnemental et économie circulaire à AgroParisTech, interrogent les effets d’une généralisation de l’affichage environnemental, étendu à tous les produits et services qu’achètent les consommateurs.

L’enfer climatique vers lequel nous semblons nous diriger est pavé de bonnes intentions, et l’actualité fourmille d’exemples illustrant la difficulté de nos concitoyens désemparés à prendre le problème à bras le corps au vu des propositions et injonctions parfois contradictoires qui leur sont faites.

D’un côté, les gouvernements échouent à fixer des engagements communs pour le climat. De l’autre, la société civile et économique multiplie les initiatives et les modes d’action. On ignore dans quel sens s’enclenchera le mouvement que des pans entiers de la société civile appellent de leurs vœux. Du haut (des gouvernants et dirigeants) vers le bas (vous et nous), via des politiques d’incitation au verdissement des services et produits que nous consommons, ou l’inverse ?

Quel que soit le mode de décision retenu – les deux approches n’étant pas exclusives – il est nécessaire de connaître les impacts des options qui s’offrent à nous. L’affichage environnemental, qui consiste à fournir aux consommateurs une indication des impacts de produits et de services sur de grands enjeux écologiques comme le changement climatique, la biodiversité ou la ressource en eau, en constitue une illustration inspirante.

Un affichage toujours en construction

La France a été pionnière sur ce sujet en lançant une expérimentation il y a déjà plus de 10 ans, étendue par la suite à l’échelle européenne. Avec l’aide des services de l’État, un consortium de plus d’une centaine d’entreprises, de distributeurs et de fédérations professionnelles ont mis en place pour certaines catégories de produits des solutions innovantes, tant sur les modes d’évaluation que de communication vers le grand public, afin de tester la faisabilité d’un tel affichage.

À l’issue de ce projet pilote, il a été décidé que les méthodes d’analyse d’impact environnemental soient sécurisées et partagées, avant de généraliser l’affichage. Ce travail a été confié à l’ADEME. Certains secteurs professionnels se sont par ailleurs volontairement engagés à mettre en œuvre l’affichage pour l’ensemble de leurs produits ou services, dans des domaines aussi divers que l’ameublement, l’habillement et l’hôtellerie, et des entreprises pilotes testent le dispositif sur les produits alimentaires et les équipements électroniques.

La Commission européenne s’est également engagée dans cette démarche en 2013. La phase pilote du programme « Environmental Footprint » s’est achevée en 2018, mais le développement des référentiels et des outils techniques continue. Un changement d’échelle est donc désormais possible, si les décisions politiques ad hoc sont prises et qu’une gouvernance impliquant toutes les parties prenantes est mise en place. Le Conseil économique, social et environnemental a rendu public en mars dernier un avis en ce sens, invitant le gouvernement à « impulser une nouvelle dynamique sur ce sujet et prendre des décisions politiques volontaristes dès 2019 à l’occasion de la mise en œuvre de la feuille de route sur l’économie circulaire ».

 

Généraliser la démarche

En premier lieu, l’affichage environnemental induit le parti pris qu’en informant les consommateurs sur les impacts des produits et services qu’ils achètent, ceux-ci seront à même de faire évoluer l’offre dans les secteurs concernés. En résumé, c’est la demande qui va tirer l’offre. Mais cette dernière pourra-t-elle évoluer aussi rapidement que la première, si celle-ci est effectivement le bon levier ?

Autrement dit, si tous les consommateurs voulaient au même moment le même produit, la production serait-elle capable de suivre ? Prenons l’exemple de la voiture électrique, qui fait partie des sujets d’actualité. L’adoption de celle-ci à grande échelle (moyennant des coûts accessibles) pourrait se heurter aux limites suivantes : disposons-nous en quantité suffisante et « durable » des matières premières nécessaires à la fabrication des batteries pour ces voitures ? Qui prendra en charge les infrastructures nécessaires au rechargement des batteries ? La dynamique enclenchée par l’affichage environnemental pourrait être ainsi freinée, si l’offre en alternatives vertueuses s’avérait inexistante ou trop peu disponible.

Améliorer sa lisibilité

L’étiquette-énergie mise en place à l’échelle européenne. WikipediaCC BY-NC-SA

Un autre des défis que pose l’affichage environnemental est de le rendre lisible et utile pour le consommateur au moment de son acte d’achat, afin de permettre d’entraîner des changements significatifs de l’offre, et ainsi une modification efficace et durable de nos modes de consommation, voire de vie. Tel a été le cas pour l’étiquette énergie, déployée au niveau européen sur les appareils électro-ménagers.

Avec ses notations allant de « G » (pour un appareil énergivore) à « A » (pour les appareils les plus performants), cette étiquette est facile à interpréter, et le bénéfice très clair en termes financiers pour le consommateur a permis de faire évoluer l’offre.

L’affichage environnemental porte lui sur une gamme d’enjeux environnementaux plus large (de la biodiversité à la pollution atmosphérique), pour lesquels il est plus difficile d’appréhender son intérêt individuel. Par ailleurs, de nombreuses initiatives privées et collectives sont mises en place pour valoriser les démarches écologiques, et le grand public peine à s’y retrouver. Si on prend même l’exemple simple du label Agriculture biologique, label officiel et garanti, les interprétations individuelles divergent quant à son bénéfice (santé, qualité nutritionnelle et sensorielle, mode de production respectueux de l’environnement et du bien-être animal…).

En lien avec la démarche d’affichage environnemental, le projet de loi Économie circulaire, actuellement en cours d’examen, intègre la mise en place d’un « indice de réparabilité » visant à inciter à l’allongement de la durée de vie des produits. La construction de ce dernier a été confiée à un groupe de travail, dont le mandat est de concevoir un affichage pour les équipements électriques et électroniques fournissant une information simple sur leur réparabilité. Celui-ci devrait en particulier inclure des critères relatifs aux modalités de montage-démontage, à la disponibilité des pièces détachées, et au prix des réparations.

Au-delà de ces approches centrées sur la consommation individuelle, le fait de privilégier les utilisations partagées (comme celle d’une voiture) plutôt que des achats personnels est particulièrement pertinent. Une étude publiée par l’ADEME en 2016 sur les consommations collaboratives a ainsi montré que les pratiques de partage de mobilité et de partage ou de réemploi d’objets (électroménager, meubles, livres…) sont celles qui génèrent le plus de bénéfices environnementaux.

Construire et partager les bases de données

La création de bases de données robustes et accessibles est un enjeu clé pour le succès de l’affichage environnemental. La matière grise et les investissements qui concourent actuellement à ce que nous consommions toujours plus pourraient être mis au service des enjeux environnementaux. En particulier, les géants du numérique sont susceptibles de jouer un rôle important car ils disposent d’ores et déjà de données exhaustives sur nos modes de vie (consommation de produits, alimentation, santé…).

Yuka est une application qui attribue aux produits présents dans les rayons des supermarché une note en fonction de critères de santé et environnementaux, et propose des alternatives. Yuka, CC BY-NC-SA

Par ailleurs, de jeunes entreprises comme Yuka (dans le domaine de la santé par l’alimentation) mettent en œuvre des dispositifs innovants pour permettre un changement d’échelle sur la constitution de ces bases de données. Cela permet également d’élargir la gamme d’informations mises à disposition des consommateurs. Les modèles économiques de ces sociétés, de même que leurs modes de gouvernance restent néanmoins à préciser et à conforter dans la durée. Il nous paraît essentiel que les bases de données et outils de traitement sur lesquels s’appuient ces démarches puissent être transparents et faire l’objet de revues critiques par des experts indépendants.

In fine, il nous paraît possible d’accélérer le mouvement à condition de créer des modes d’actions partenaires, par exemple en s’inspirant de la dynamique qui avait porté l’expérimentation initiale de l’affichage environnemental en France. Les outils d’évaluation et d’aide à la décision en résultant devraient être considérés comme des « biens communs ». Muni de ceux-ci, tout un chacun pourra ainsi procéder à des choix éclairés et faire valoir ses convictions dans ses différentes sphères d’action et d’engagement – et œuvrer ainsi aux transitions indispensables qui nous attendent.The Conversation

Benoit Gabrielle, Professeur en Bioclimatologie, Agro ParisTech – Université Paris-Saclay et Catherine Gomy, Consultante en stratégie de développement durable, spécialisée en modes de production et de consommation responsable - Enseignante vacataire, management environnemental et économie circulaire, Agro ParisTech – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.