Emmanuel Hirsch : un engagement au cœur de l’éthique médicale

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 17 juillet 2025 , mis à jour le 17 juillet 2025

Professeur émérite d’éthique médicale à l’Université Paris-Saclay, Emmanuel Hirsch a consacré sa carrière à penser les enjeux humains du soin, de la recherche biomédicale et des politiques de santé. Philosophe engagé dans la cité, il défend une éthique à la fois appliquée et impliquée, fondée sur la responsabilité, la concertation et la dignité.

Emmanuel Hirsch s’engage dans l’éthique médicale sous l’influence déterminante de Claude Bruaire, philosophe qui initie une réflexion novatrice sur l’éthique de la médecine et de la recherche biomédicale. Jusqu’à sa disparition en 1986, Claude Bruaire accompagne à l’Université Paris-Sorbonne les recherches doctorales qu’Emmanuel Hirsch consacre au thème Morale, éthique : la figure médicale. Celui-ci soutient sa thèse en 1988 et la publie en 1990 sous le titre Médecine et éthique. Le devoir d’humanité.
 

Domaine de recherche et d’action

Le professeur concentre son action sur des situations dites « limites », confrontant la médecine et la société à des dilemmes décisifs. Fins de vie, maladies neuro-évolutives, souffrance, états d’éveil sans conscience, crises sanitaires. « Autant de problématiques qui requièrent des arbitrages fondés sur la faculté de discernement, la justice, la solidarité et la dignité. »

Dès les années 1980, il s’investit dans la lutte contre le syndrome de l'immunodéficience acquise (sida), participe à l’émergence des soins palliatifs et contribue à la réflexion aboutissant à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Son livre Aides. Solidaires (1991, réédité en 2024) retrace la création de l’association Aides et témoigne de son regard sociopolitique sur cette épidémie. Par la suite, il dirige ou coordonne diverses publications sur la lutte contre le sida, notamment en tant que président d’Arcat-Sida (1995-1998) et rédacteur d’un magazine dédié sur France 3. Dans la même dynamique, il signe avec Michel Kazatchkine la Charte éthique de la recherche dans les pays en développement, fruit de consultations dans plusieurs pays africains, insistant alors sur la nécessité d’une démarche collective, adaptée aux réalités de terrain et respectueuse des droits fondamentaux.
 

Entre productions radiophoniques et action associative

Avant de s’engager dans un parcours universitaire formel, Emmanuel Hirsch bénéficie d’une expérience à France Culture, de 1983 à 1998. Producteur de Vivre l’éthique ou coordinateur des Chemins de la connaissance, il participe activement à la diffusion des savoirs en direction d’un large public. Cette immersion dans le débat d’idées s’enrichit de son désir d’être au plus proche des personnes confrontées à la maladie, au handicap ou à la perte d’autonomie. Il s’agit d’« écouter ces moments où la vie se fragilise pour comprendre ce qui suscite en nous le sens du soin et de la solidarité ».
 

De l’Espace éthique de l’AP-HP au renouvellement de la bioéthique

En 1995, Alain Cordier, alors directeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), charge Emmanuel Hirsch de créer une instance d’éthique inédite. Aux côtés du médecin Didier Sicard, il fonde l’Espace éthique de l’AP-HP, concept reconnu par la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Ce modèle innove par son approche participative, ses larges concertations et la prise en compte des savoirs d’expérience. Il promeut une véritable « démocratie en santé » pour que l’ensemble des acteurs, y compris les patientes, patients et leurs proches, partagent les valeurs du soin. Jusqu’à son départ de cette instance en 2022, Emmanuel Hirsch y développe un travail de sensibilisation et de formation. En 2010, on lui confie également la direction de l’Espace national de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer, élargi par la suite aux maladies neurodégénératives. Ses initiatives s’appuient sur le partage des savoirs au sein de groupes thématiques, la rédaction de chartes, l’organisation d’universités d’été et l’élaboration de résolutions visant à transformer le regard social sur les enjeux de santé et de vulnérabilités, et à renforcer les solidarités.
 

L’essor universitaire et la reconnaissance institutionnelle

Dès 2000, l’université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay) sollicite Emmanuel Hirsch comme professeur associé en éthique médicale. Il y crée un département de recherche dédié, avant d’être nommé professeur des universités en 2006. Par le biais de diplômes universitaires, masters et doctorats, il bâtit un réseau conjuguant réflexions théoriques et expérimentations de terrain. L’Espace éthique de l’AP-HP devient ensuite Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la bioéthique, et Emmanuel Hirsch s’implique dans le laboratoire d’excellence (LabEx) Distalz consacré aux maladies neurodégénératives. Il participe également à la fondation de la Revue française d’éthique appliquée, une référence pour la diffusion des avancées dans ce domaine.
 

Poléthis et l’évolution des pratiques de la recherche

En 2018, Gilles Bloch, alors président de l’Université Paris-Saclay, confie à Emmanuel Hirsch la préfiguration, puis la présidence de Poléthis, le conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique. Il collabore avec la professeure de droit Frédérique Coulée, afin de doter les doctorantes et doctorants d’une solide formation en éthique des sciences et de la recherche, et de développer une dynamique de colloques. Certaines rencontres donnent lieu à des publications collectives : De nouveaux territoires pour l’éthique de la recherche (2021) et Sciences et pandémie : quelle éthique pour demain ? (2023).

Dans le prolongement de ces initiatives, Emmanuel Hirsch contribue à l’analyse des enjeux soulevés par l’intelligence artificielle dans le champ du soin. Membre du comité d’éthique opérationnelle et vice-président de l’Institut national de la e-santé, il s’intéresse à l’impact social, humain et éthique des innovations technologiques. « Anticiper et accompagner les évolutions dans le champ de la bioéthique ou des enjeux de santé publique est une des caractéristiques de la démarche éthique au service du bien commun. »
 

Ouverture sur la santé globale et les solidarités

Depuis 2023, Emmanuel Hirsch dirige l’éthique du groupe emeis, qui gère des établissements pour personnes âgées ou en situation de handicap, ainsi que des unités dédiées à la réadaptation et aux pathologies psychiatriques. En parallèle, il préside le conseil éthique de l’Institut Rafaël, participe aux réflexions des Académies nationales de médecine et de chirurgie, et poursuit son engagement dans le champ des maladies neuro-évolutives au sein du comité opérationnel de la Fondation Alzheimer.

Son implication se manifeste aussi à travers la création du collectif Démocratie, éthique et solidarités (mai 2024), dont l’avis Fins de vie : les enjeux d’une loi en faveur d’une mort programmée sort en avril 2025 et se prolonge dans Fin de la vie. Les devoirs d’une démocratie, publié en mai 2025.
 

Un parcours inspiré par la « bienveillance »

Tout au long de sa carrière, Emmanuel Hirsch associe l’écriture à l’action, estimant que la réflexion éthique doit résonner avec le quotidien de chacun. Il est le coordinateur de Pandémie 2020. Éthique, société, politique (paru au début de la crise sanitaire) et auteur d’Une éthique pour temps de crise (2022). « Je me vois comme un chercheur en éthique non seulement appliquée mais aussi pleinement impliquée, parfois placé en marge là où les enjeux sociétaux sont trop souvent délaissés, alors même qu’ils nous interpellent dans nos responsabilités démocratiques. Pour moi, l’éthique du soin et de l’accompagnement doit inclure une réflexion sur le politique, le vivre-ensemble et ce qui fait société. Dans ce sens, notre université doit être exemplaire et produire les savoirs, les compétences et les expertises qui servent plus que jamais les valeurs collectives. Avec le recul, j’assume ce que j’appelle mon “militantisme éthique” et je suis fier d’être professeur émérite à Paris-Saclay : cela m’engage et me renforce dans ma volonté d’agir. »

Son dernier ouvrage, Anatomie de la bienveillance. Réinventer une éthique de l’hospitalité (Éd. du Cerf, mai 2025), prolonge ce chemin où théorie et pratique demeurent liées, au service d’une responsabilité partagée et du bien commun.
 

Emmanuel Hirsch