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Des mathématiques appliquées aux océans

Recherche Article publié le 17 février 2021 , mis à jour le 17 février 2021

À l’origine des catastrophes naturelles les plus destructrices de l’Histoire, les vagues déferlantes engendrent de nombreux dégâts matériels et humains. Pour en prédire les risques, Frédéric Dias et son équipe du Centre Borelli (Université Paris-Saclay, CNRS, ENS Paris-Saclay) modélisent les vagues océaniques en temps réel.

 

26 décembre 2004, une date marquée à jamais par l’un des phénomènes les plus dévastateurs de l’Histoire contemporaine : le tsunami de Sumatra, qui a frappé les côtes de l’océan Indien et causé au moins 250 000 disparus. À l’image de cette catastrophe, les océans se montrent parfois dangereux. Face à leur imprévisibilité et pour pallier notre impuissance, la modélisation mathématique constitue un allier des plus performants.

 

Prédire les submersions marines

Frédéric Dias est professeur au Centre Borelli (Université Paris-Saclay, CNRS, ENS Paris-Saclay) et spécialiste de la modélisation des vagues océaniques. Détaché depuis douze ans à l’University College Dublin, en Irlande, il s’intéresse aux phénomènes océaniques extrêmes, comme les tempêtes et les tsunamis. « C’est un sujet qui me tient à cœur et dont le point de départ a été le tsunami de Papouasie-Nouvelle-Guinée, du 17 juillet 1998, auquel j’ai assisté depuis la Nouvelle Calédonie », confie Frédéric Dias.

Construites à partir d’un code mathématique, ses modélisations simulent la manière dont les vagues extrêmes submergent les côtes terrestres. En se basant sur les paramètres physiques des phénomènes, son équipe est notamment en mesure d’améliorer la prédiction des inondations marines. À terme, ces nouvelles méthodes seront utilisées par les centres d’alerte. 

Néanmoins, le défi majeur reste d’exécuter des modélisations réalistes en un temps record. Dans le cas des tsunamis, la simulation doit être rapide et exécutée dès la détection du tremblement de terre ou du glissement de terrain à l’origine du phénomène. « Le tsunami se propage rapidement, à la vitesse d’un avion, soit entre 700 et 800 km/h. Comme on dispose de peu de temps pour faire des calculs précis qui pourtant en demandent beaucoup, on développe des outils pour accélérer nos prévisions en temps réel », explique Frédéric Dias.

Pour diminuer le temps nécessaire à l’acquisition de ces calculs, l’équipe simplifie le code mathématique utilisé en retirant certains paramètres physiques des équations. Une opération qui rend cependant le code moins réaliste. Il s’agit donc de trouver un optimum de rapidité en conservant assez de paramètres pour coller à la réalité physique du phénomène. « On jongle entre la complexité et la rapidité des calculs », admet Frédéric Dias.

Ces paramètres englobent une importante quantité de données qui décrivent l’origine du phénomène (sous terre pour la plupart des tsunamis ou dans les airs pour les tempêtes) jusqu’à l’inondation des côtes. Ils dépendent de la topographie (la forme des côtes terrestres) et de la bathymétrie (la forme des fonds marins) des régions locales, ainsi que des infrastructures urbaines côtières. « La vague déferlante peut être amplifiée par le type de côte qu’elle rencontre et l’inclinaison du fond de la mer. Par exemple, le tsunami de 2004 a épargné certaines côtes thaïlandaises tandis que quelques kilomètres plus loin, des régions entières ont été dévastées », précise le chercheur. En toute logique, un code magique, applicable aux régions côtières du monde entier, n’existe malheureusement pas, et la modélisation doit prendre en compte des données locales, difficilement accessibles.

Pour récupérer ces précieuses données et tester l’exactitude de ses simulations, l’équipe de Frédéric Dias collabore avec le Centre d’alerte aux tsunamis (CENALT), qui gère la prévision des tsunamis en France métropolitaine et en Irlande. Ils éprouvent leurs codes en modélisant d’anciennes catastrophes qui ont eu lieu en Méditerranée et en Polynésie, puis les testent en grandeur réelle, sur les côtes irlandaises. « Ces nouveaux outils ont notamment permis de prédire les risques de vagues submersives atteignant les quatre mètres de haut en Irlande », indique le chercheur.

Arrivée du tsunami à Ao Nang, en Thaïlande/ David Rydevik

Mieux comprendre pour mieux prédire le déferlement des vagues

Bien qu’elles soient de plus en plus étudiées, la formation des vagues extrêmes reste mystérieuse. Pour y voir plus clair, Frédéric Dias lance en 2019 le projet HIGHWAVE. Financé par le Conseil européen de la recherche (ERC - European Research Concil) sur une durée de cinq ans, il a pour but d’expliquer comment et pourquoi une vague déferle. 

Mais étudier les vagues extrêmes demande d’abord de pouvoir les observer et les mesurer. Pour cela, les chercheurs équipent progressivement l’île d’Inis Meáin, au cœur de l’archipel irlandais d’Aran, de divers capteurs (balises, radars, sismomètres et caméras). Grâce aux données enregistrées en temps réel, les scientifiques mettent au point un nouveau modèle mathématique capable de simuler le déferlement de vagues uniques. « Avant lui, les codes de prédiction échouaient en partie dans la modélisation du phénomène de déferlement, qui nécessite des études complexes entre l’eau et les bulles d’air de l’écume », déclare Frédéric Dias.

Outre une meilleure compréhension de la formation des vagues déferlantes, HIGHWAVE étudie aussi les effets de ces vagues sur les infrastructures maritimes et les côtes. L’équipe de Frédéric Dias est capable de retracer le déplacement de blocs de roches massifs. Comme celui d’un bloc de 620 tonnes retrouvé à une distance de 220 mètres et une hauteur de 26 mètres, en partie grâce à des expériences menées dans un canal à houle à l’École centrale Marseille. De quoi donner un aperçu de la force extrême des vagues ! L’équipe mène également d’autres recherches sur les phénomènes de transport de plus petites roches (1 kg) et leur danger pour les infrastructures submergées, comme les hydroliennes. 

Particulièrement attaché à la communication scientifique auprès de la population locale, Frédéric Dias partage régulièrement son travail avec les insulaires, qu’il n’hésite d’ailleurs pas à embaucher. Lors d’une réunion publique, l’un d’entre eux « a exprimé son envie de voir ce projet se perpétuer pour profiter au maximum du potentiel des infrastructures qui ont été développées ». Depuis, le chercheur envisage de transformer ces infrastructures en une station de recherche internationale. 

Falaise côtière de l’île d’Inis Meáin, Irlande/ Frédéric Dias.

Dompter les énergies marines

Avec ces vagues puissantes qui déferlent sur les côtes irlandaises lors des tempêtes hivernales, l’île possède un fort potentiel pour la production d’électricité à partir de l’énergie houlomotrice. Et de récents convertisseurs d’énergie (Wave Energy Converter ou WEC) sont d’ailleurs capables de transformer cette énergie motrice des vagues en électricité. Le WEC Oyster, développé il y a quelques années par l’entreprise Aquamarine Power puis abandonné, et le WEC S3, en cours de développement par l’entreprise SBM Offshore, sont des dispositifs typiques. Tandis que le premier comprenait un volet fixé sur le fond marin qui oscillait avec la houle, le second comporte un tube flexible équipé de polymère électroactif qui flotte à la surface de l’océan. Tous deux suivent le mouvement des vagues pour générer de l’électricité. 

Frédéric Dias cherche à optimiser la conception de ces dispositifs. Pour cela, il évalue leur efficacité en modélisant la puissance électrique maximale générée par le convertisseur. Il a notamment étudié les forces d’interactions entre les convertisseurs et l’eau pour prédire les mouvements des dispositifs, ainsi que l’énergie houlomotrice maximale absorbée par les convertisseurs.

Sur tous les fronts, Frédéric Dias poursuit actuellement ce projet en parallèle de ses recherches en Irlande. Il débutera prochainement un nouveau projet d’étude en collaboration avec l’entreprise SBM Offshore pour le développement du WEC S3.

 

Sources :

Beisiegel, N., Vater, S., Behrens, J., Dias, F. An adaptive discontinuous Galerkin method for the simulation of hurricane storm surge. Ocean Dynamics, 1-26 (2020).

Giles, D., Gopinathan, D., Guillas, S., Dias, F. Faster Than Real Time Tsunami Warning with Associated Hazard Uncertainties. Frontiers in Earth Science, 8, 597865 (2021).

Ancellin, M., Dong, M., Jean, P., Dias, F. Far-Field Maximal Power Absorption of a Bulging Cylindrical Wave Energy Converter. Energies, 13(20), 5499 (2020).