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David Elbaz : Le Big Bang, et après ?

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 28 juin 2019 , mis à jour le 20 septembre 2022

David Elbaz dirige le laboratoire Cosmologie et évolution des galaxies du CEA à Saclay (CEA/CNRS/Université Paris-Diderot). Astrophysicien passionné, il nous emmène volontiers avec lui à des dizaines de milliards d’années-lumière, là où tout a commencé, et où naissent et meurent les étoiles. Invisibles jusqu’alors, les premières images de trous noirs observées au cœur d’immenses galaxies mettent en perspective les fondements de l’histoire de l’Univers et interrogent l’évolution de la nôtre.

L’astrophysique est un champ de recherche infini : « c’est magnifique, s’extasie David Elbaz, nous dialoguons avec les chercheurs du monde entier, chacun étudiant un petit bout de ce monde à l’échelle de milliards d’années-lumière ». Car l’histoire de l’Univers est celle de la lumière. L’interferométrie, qui combine les longueurs d’ondes de la lumière, permet d’obtenir des informations de plus en plus précises. « Les images des télescopes nous renvoient la signature de molécules complexes, dont les oscillations rayonnent selon une longueur d’onde spécifique et révèlent la quantité d’étoiles qui naissent autour d’une galaxie. »

La première image d’un trou noir

Niché à 5000 mètres d’altitude au Chili, le télescope Alma (50 antennes) est au cœur des recherches de David Elbaz. En avril 2019, il a contribué à identifier le trou noir de la galaxie Messier 87. « Située elle-même au centre d’un amas de galaxies, elle est à 53 millions d’années-lumière de nous. Ne formant plus d’étoiles, on la considère comme "morte". Or, ce trou noir observé en son cœur est la trace de son "assassinat" commis par des jets de matière projetés à des vitesses proches de celle de la lumière, qui s’étendent sur des centaines de milliers d’années-lumière, explique le chercheur. Nous sommes en train de voir un phénomène majeur de l’histoire de l’Univers : comme les étoiles, les galaxies meurent aussi dans les trous noirs. »

Naissance et mort des galaxies

Quelle est la jonction entre la mort des étoiles et celle de leurs galaxies ? Comment un trou noir peut-il tuer une galaxie qui est beaucoup plus massive que lui ? « Nous pensons que lorsque de la matière est "mangée" par le trou noir, une partie est projetée au loin, répond David Elbaz. Ces jets de matière empêchent la matière à la périphérie de la galaxie de venir donner naissance à de nouvelles étoiles. » Le trou noir de M87 détient peut-être la clé du mystère de la mort des galaxies.

Deux milliards d’années après le Big Bang

Grâce aux observations du télescope Alma, David Elbaz et ses collaborateurs viennent de découvrir que les galaxies massives ont bel et bien des ancêtres, auparavant invisibles, car en réalité totalement enfouis dans la poussière interstellaire. Le chercheur calcule la quantité d’étoiles et la date de naissance des galaxies dans l’Univers. « Nous venons de mesurer les activités de plusieurs dizaines de galaxies naissantes. Cela nous conduit à multiplier par 100 le nombre de galaxies les plus massives connues sur les deux premiers milliards d’années de l’histoire de l’Univers après le Big Bang, une zone de temps et d’espace très difficile à explorer, développe le chercheur. Notre vision de la naissance des galaxies en est totalement bouleversée. »

Percer les secrets de l’Univers

Conseiller scientifique auprès de l’ESA (agence spatiale européenne), l’astrophysicien est aujourd’hui impliqué dans plusieurs projets internationaux dont les objectifs sont de prendre des images les plus profondes possibles de l’Univers pour en observer les différentes tranches de son histoire. « Depuis le début de ma carrière, je remonte le temps et l’espace grâce aux évolutions des instruments d’observation. L’heure est venue d’explorer les deux premiers milliards d’années » confie le chercheur. Il n’aime rien tant que lorsque « ça ne fonctionne pas. Cela oblige à développer des techniques ingénieuses pour voir dans une image des objets nouveaux que personne ne voyait avant. À partir des lois physiques, nos modèles informatiques réalisent des prédictions de plus en plus fines. Or, le plus important pour moi, c’est le moment où nos découvertes ne "collent" pas aux attendus et ouvrent vers quelque chose de nouveau, qui nous permettra, peut-être, de mieux comprendre l’univers. »

Tout est possible

« S’étonner est fondamental dans notre métier. Tant que l’observation ne colle pas avec la théorie, je pense qu’il faut considérer que tout est possible. » De ce fait, l’astrophysicien demande à ses étudiants de persévérer dans leurs intuitions, en dépit des obstacles. « J’accueille des étudiants du monde entier, chacun développant quelque chose d’original en fonction de son histoire, de sa culture. » Si l’astrophysique demeure attractive, elle est aujourd’hui moins « aventurière » selon David Elbaz. « C’est logique, car nous avançons vers des choses de plus en plus compliquées. Auparavant, un projet était financé avant que la technologie n’existe. Aujourd’hui, on doit prouver qu’il a le bon niveau technologique pour être sélectionné par l’ESA. On se demande si les projets qui feraient avancer l’humanité seront financés. »

Dans l’univers…. saclaysien

« Tout petit, je voulais comprendre l’infiniment grand et l’infiniment petit, mais à aucun moment je n’aurais pensé en faire mon métier ! », se souvient le chercheur, qui démarre à l’époque, un peu par hasard, une thèse d’astrophysique à Saclay après des études d’ingénieur à Grenoble. La découverte de galaxies lui ouvre alors la voie royale de la recherche en astrophysique. Un poste au CEA l’attend après sa soutenance en 1994, et le jeune chercheur est propulsé à la programmation des premières observations du satellite ISO. Aujourd’hui, Saclay demeure une source d’inspiration. « On peut toujours se cogner sur une bonne idée ici ! »

Directeur du journal « astronomy and astrophysics », David Elbaz est heureux de partager ses connaissances avec tous les publics. « A l’ère des fake news, nous, chercheurs, ne pouvons que rédiger des articles, des livres et donner des conférences pour conjurer cela. » L’une d’elles compte 750 000 vues sur YouTube. « Je suis très content que les efforts que je fais pour apporter la science aux autres fonctionnent », conclut-il.

David Elbaz est auteur/co-auteur de 261 publications dont 70 avec plus de 100 citations.

Il est conseiller scientifique auprès de l'agence spatiale européenne pour la sélection de ses futures missions spatiales (ESA, AWG) et membre du Comité d'évaluation sur la recherche et l'exploration spatiales (CERES) pour le Centre national d'étude spatiales (CNES).

Le chercheur a reçu le prix Jaffé 2017 de l'Institut de France et le prix Chrétien de la Société américaine d'astronomie 2000 pour ses contributions à l'étude de la formation des galaxies dans l'Univers. Il a reçu le prix Science & Philosophie de l’association X-Philo de l’École polytechnique et a été sélectionné pour le prix Le goût des sciences 2017 du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, pour son livre À la recherche de l'univers invisible : matière noire, énergie noire, trous noirs.