Aller au contenu principal

Comment les champs magnétiques façonnent les jeunes étoiles

Recherche Article publié le 16 septembre 2021 , mis à jour le 16 septembre 2021

La formation des jeunes objets stellaires et de leur cortège de planètes en devenir dépend de nombreux facteurs en interaction. Porté par Anaëlle Maury, chercheuse au laboratoire Astrophysique, Instrumentation et Modélisation de Paris-Saclay (AIM – Université Paris-Saclay, CNRS, CEA, Université de Paris), le projet MagneticYSOs, qui a bénéficié d’une bourse ERC Starting Grant, se focalise notamment sur la composante magnétique de ce processus.

Chaque discipline scientifique possède sa propre faculté à générer des images fortes, et sur cet aspect l’astrophysique est certainement une des plus fascinantes. Comment ne pas être émerveillé à l’idée d’observer les nuages de poussières et de gaz tourbillonnant au gré des flux magnétiques nimbant les étoiles en train de naître, alors que ceux-ci sont éloignés de plusieurs dizaines d’années-lumière ?

Si cet aspect poétique est remarquable, l’originalité et la complexité du projet porté par Anaëlle Maury l’est tout autant, puisqu’il consiste à élucider le rôle du champ magnétique dans la formation des étoiles et des planètes. Ce rôle, encore mal connu lorsque MagneticYSOs a débuté il y a cinq ans, a nécessité un protocole complexe, mêlant observations radio-astronomiques dans le domaine des grandes longueurs d’ondes et simulations numériques. Cette approche fonctionne grâce à un dialogue constant entre experts : les modèles guident les observations à réaliser, et en retour les résultats de ces observations nourrissent les simulations. Les ingrédients physiques interagissant dans les nuages moléculaires sont examinés, du champ magnétique à la turbulence en passant par les interactions gravitationnelles. Anaëlle Maury souligne la complexité inhérente à ce mode de fonctionnement : « c’est vraiment une interaction très fine, qui nécessite de travailler en temps réel. Un ordinateur ne fait pas ça tout seul, il faut que les chercheurs de différents domaines se comprennent alors qu’on ne parle pas toujours le même langage ».

 

Une méthode robuste, des résultats importants

Cette manière de travailler a abouti à un premier grand résultat qui valide la fiabilité de la méthode retenue pour cartographier le champ magnétique, consistant à utiliser la polarisation du rayonnement émis par les grains de poussières qui entourent les étoiles jeunes. Ces poussières, bien que très froides, émettent de l’énergie sous forme de photons. Ce rayonnement n’est pas uniforme, les grains n’étant pas sphériques, mais ellipsoïdes. S’ils s’alignent sur le champ magnétique qui les baigne, il en résulte une polarisation de la lumière reçue, qui sert à retracer la topologie du champ magnétique. Comme le souligne Anaëlle Maury, « c’est un résultat très fort : nous avons montré que l’on peut effectivement croire ce signal pour des objets complexes, ce qui au début du projet n’était pas établi de manière assez robuste ».

La démonstration de la fiabilité de cette approche ouvre la voie au second résultat mis en avant par l’équipe de MagneticYSOs : le rôle dynamique du champ magnétique. Les gaz non neutres traversant mal les lignes de champ magnétique, ce dernier les freine, régulant la quantité de moment cinétique donné à l’étoile lors de sa formation. Ce ralentissement empêche la force centrifuge de dépasser l’attraction gravitationnelle, ce qui conduirait à l’explosion prématurée de l’étoile. Cette interaction affecte aussi la taille de la future étoile et du disque de poussières qui l’entoure, dans lequel les planètes se forment.

 

Un champ magnétique semé de graines de planètes

Comme souvent dans les projets de recherche particulièrement complexes, des résultats inattendus sont apparus. « Même si c’est une découverte qui a encore besoin d’être confirmée, l’observation de la polarisation de ces poussières a aussi aidé à borner la taille de ces grains solides. Ils sont beaucoup plus gros que ce que l’on pensait, avec une taille maximale pouvant atteindre une fraction de millimètre. » Si cette valeur paraît faible, elle est déjà cent fois plus grande que dans le milieu interstellaire, où elle ne dépasse guère une fraction de micromètre. Ce résultat questionne la compréhension actuelle des étapes initiales de la formation des corps solides autour d’étoiles jeunes, c’est-à-dire des cortèges planétaires similaires à celui qui nous abrite. Jusqu’à présent, on pensait que les planètes prenaient forme à partir d’un disque de résidus autour d’une étoile déjà formée. La taille de ces résidus autour des étoiles en formation suggère que le processus débute donc bien plus tôt. Si ces données ne bouleversent pas radicalement la vision que l’on en avait jusqu’à présent, elles plaident en faveur d’une revisite du scénario de formation planétaire.

 

Vers de nouveaux défis

Débuté en 2016 grâce à l’apport financier du Conseil européen de la recherche (ERC), qui a permis à la chercheuse de monter un groupe en recrutant trois post-doctorants et deux étudiants en thèse, le projet MagneticYSOS touche aujourd’hui à sa fin. Tous les objectifs fixés ont été atteints. Quelle est la suite envisagée par Anaëlle Maury ? « C’était une belle expérience, d’autant plus au regard des résultats auxquels nous sommes arrivés. Je me suis beaucoup amusée, mais c’était aussi très intense. J’ai maintenant besoin de me recentrer sur une dynamique de recherche plus personnelle, de trouver les prochaines questions qui me titilleront. » D’autres projets d’envergure prennent déjà le relai, comme le projet ECOGAL porté par Patrick Hennebelle, collaborateur de la première heure sur MagneticYSOs et qui explore à d’autres échelles cette thématique. Une des voies retenues consiste à étendre les observations dans le domaine infrarouge, grâce à de grands équipements pour l’instant en préparation, comme le James Webb Space Telescope, dont le lancement est prévu pour fin 2021, et le Extremely Large Telescope, attendu d’ici 2025. 

On ne connaît pas encore l’ensemble des processus qui gouvernent la formation des planètes à partir des nuages de poussières circumstellaires et de nombreuses questions restent en suspens : Quelle est la composition de ces grains ? Pourquoi ont-ils cette forme et s’alignent-ils aussi bien sur le champ magnétique ? Et s’il est établi que des glaces les recouvrent, de quoi sont-elles composées ? Comment se comportent-elles au regard de la cinématique des gaz très chauds entourant la protoétoile ? Les réponses à ces questions livreront de précieuses informations sur la chimie prébiotique, dont l’explication à la présence d’eau et de chaînes carbonées sur les jeunes planètes. De la naissance des étoiles, à celle de la vie.


Références :

V. J. M. Le Gouellec, A. J. Maury, et al. A statistical analysis of dust polarization properties in ALMA observations of Class 0 protostellar cores. Astronomy & Astrophysics, Vol. 644, December 2020.

Valeska Valdivia, Anaëlle Maury, et al. Indirect evidence of significant grain growth in young protostellar envelopes from polarized dust emission. Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 488, Issue 4, October 2019, Pages 4897–4904.

A J Maury, J M Girart, et al. Magnetically regulated collapse in the B335 protostar? I. ALMA observations of the polarized dust emission. Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 477, Issue 2, June 2018, Pages 2760–2765.