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Céline Masclaux-Daubresse : Comment l’autophagie des plantes favorise leur adaptation au stress climatique

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 23 septembre 2021 , mis à jour le 29 septembre 2021

Céline Masclaux-Daubresse est chercheuse à l’Institut Jean-Pierre Bourgin (IJPB – Université Paris-Saclay, INRAE, AgroParisTech). Ses travaux ont démontré l’importance de la machinerie autophagique (ou autodigestion) dans le métabolisme des plantes au cours du processus de sénescence foliaire. Grâce au recyclage nutritionnel et au nettoyage cellulaire, l’autophagie contribue à favoriser l’adaptation des végétaux aux changements climatiques. 

Dès 1986, lors de ses études en classe préparatoire aux grandes écoles, Céline Masclaux-Daubresse développe un vif intérêt pour le métabolisme des végétaux. Elle en précise les raisons : « le domaine du végétal offre beaucoup de sujets à étudier, du point de vue de la physiologie, du métabolisme et de l’agronomie, mais aussi pour élargir les connaissances relatives à l’adaptation des organismes aux contraintes environnementales ». En 1989, elle intègre l’Ecole normale supérieure de Paris, où elle suit les enseignements du magistère de biologie. Puis elle effectue un DEA en phytopathologie et obtient en 1995 le titre de docteure en phytopathologie de l’Université Pierre et Marie Curie. Son sujet de thèse porte sur l’importance des mécanismes d’acquisition du fer de l’hôte dans le comportement agressif de la bactérie phytopathogène Erwinia chrysanthemi et dans l’apparition des symptômes de pourriture molle, caractéristiques de la maladie engendrée par la bactérie. En parallèle de ces travaux, la chercheuse enseigne la physiologie végétale et la botanique à l’Université Pierre et Marie Curie pendant trois ans. En 1996, elle réussit le concours de l’INRAE et rejoint le Laboratoire du métabolisme, qui devient le Laboratoire de nutrition azotée des plantes avant d’être intégré en 2010 à l’Institut Jean-Pierre Bourgin. Elle y dirige l’équipe SATURNE (Sénescence, autophagie, recyclage nutritionnel et efficacité d'utilisation de l'azote). 

 

La sénescence foliaire et le recyclage nutritionnel chez les plantes 

Le domaine de recherche de Céline Masclaux-Daubresse porte sur l’identification des modifications métaboliques qui se mettent en place au cours de la sénescence foliaire. Il s’agit de processus de catabolisme (dégradation cellulaire) qui se produisent au cours du vieillissement des plantes, mais aussi en cas de stress climatique - comme des réchauffements soudains, le manque d’eau, de lumière, le développement de pathogènes ou encore la limitation de ressources en minéraux - et se traduisent par la dégénérescence des tissus foliaires. Les plantes étant statiques, leur développement dépend de la disponibilité des éléments présents dans leur rhizosphère (la partie du sol pénétrée par les racines des plantes). Souvent limitées en azote, les plantes ont sélectionné, au cours de l’évolution, des mécanismes d’économie des nutriments. Ainsi, lorsque leurs feuilles deviennent moins efficaces pour la photosynthèse, elles s’en débarrassent après en avoir vidé le contenu. Le développement de ces mécanismes de stockage et de déstockage optimise le recyclage nutritionnel et le transfert des ressources au sein des végétaux. « Car, dans ce processus, la plante réalise une dégradation ordonnée des macromolécules foliaires, ce qui fournit notamment les sucres, les acides aminés et certains minéraux. Ils sont ensuite transférés dans les autres organes de stockage ou utilisés pour la croissance de la plante. » 

 

L’étude des enzymes du métabolisme de l’azote

Jusqu’en 2005, la chercheuse et son équipe s’attèlent à comprendre quels sont les acteurs métaboliques impliqués dans ce processus de recyclage et se concentrent sur l’azote. La plante puise dans la terre cet élément sous forme minérale (nitrate et ammonium) et l’utilise pour construire ses protéines et acides nucléiques. Avec son équipe, Céline Masclaux-Daubresse utilise le marquage isotopique pour quantifier le recyclage et la remobilisation de l’azote dans des approches de génétique quantitative et réverse. « Grâce à la mise en place d’expériences de marquage avec l’isotope lourd 15N de l’azote sur la plante modèle Arabidopsis thaliana, nous avons caractérisé les fonctions métaboliques de plusieurs enzymes et identifié les mécanismes cellulaires importants dans le recyclage nutritionnel. » Cette méthode attire de nombreuses collaborations nationales et internationales, et rend possible l’étude des divers génotypes d’Arabidopsis thaliana et de plantes d’intérêt agronomique comme l’orge, le colza et le riz.

 

Le mécanisme de l’autophagie

Parmi les acteurs impliqués dans le recyclage des nutriments figure le mécanisme de l’autophagie. Il s’agit d’un système vésiculaire dédié au nettoyage cellulaire. Il est impliqué dans la dégradation des composants cellulaires altérés et facilite le recyclage des nutriments. Céline Masclaux-Daubresse décide, en 2005, de concentrer ses recherches sur le rôle de la machinerie autophagique : « elle est très étudiée chez la levure et dans le monde animal, car son dysfonctionnement engendre l’apparition de nombreuses maladies dégénératives et certains cancers. En revanche, les connaissances dans le domaine du végétal restent encore très limitées ». Céline Masclaux-Daubresse découvre comment, dans la cellule végétale d’Arabidopsis thaliana, la machinerie autophagique cible les organites, les protéines, et d’autres éléments à dégrader et les amène dans les vacuoles lytiques où résident les protéases.

 

Les mutants d’autophagie

Dès 2008, grâce notamment aux financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et du programme Marie Skłodowska-Curie ITN FP7, Céline Masclaux-Daubresse caractérise le rôle de l’autophagie dans le recyclage nutritionnel et dans la mobilisation de l’azote, du fer et du souffre vers les graines. Elle analyse la physiologie et le métabolisme de mutants d’autophagie, c’est-à-dire de plantes incapables de dégrader leurs contenus cellulaires par la voie de l’autophagie. Elle met en évidence la manière dont, au cours de la sénescence foliaire, ce mécanisme participe au nettoyage des cellules altérées, à leur survie et à l’homéostasie cellulaire. Puis elle s’intéresse à l’effet des contraintes environnementales sur l’autophagie. « Lorsque les capacités des mutants d’autophagie sont altérées, ils ne peuvent plus éliminer les protéines oxydées, ce qui provoque leur intoxication. Ils sont donc hypersensibles aux stress climatiques », complète la chercheuse. 

 

Cargos : les cibles de l’autophagie

L’ANR renouvelle son aide financière en 2019, ce qui permet à Céline Masclaux-Daubresse de s’intéresser aux cargos, c’est-à-dire aux cibles protéiques de l’autophagie. Elle recourt aux méthodes multiomiques (métabolomique, transcriptomique et protéomique) pour identifier les protéines qui s’accumulent anormalement dans les mutants d’autophagie. Cela l’amène à mettre en évidence le rôle de l’autophagie dans l’homéostasie des lipides membranaires, ainsi que sa connexion avec le stress du réticulum endoplasmique (un organite responsable de la synthèse des lipides et de certaines protéines). « Nous avons identifié un certain nombre de cibles qui pourraient être des cargos, et nous sommes en train de les confirmer par des approches de microscopie et d’interaction protéine-protéine. »

 

De nombreuses perspectives 

La feuille de route de Céline Masclaux-Daubresse est bien remplie. Elle compte poursuivre ses recherches sur les cargos de l’autophagie et souhaite aussi se pencher sur la signalisation, à savoir les facteurs qui induisent l’autophagie. Elle espère comprendre comment les feuilles passent des phases d’anabolisme (assimilation primaire) à celles du catabolisme en cas de stress. « Ces enchaînements successifs sont forcément régulés, à nous de découvrir les réseaux de gènes qui les contrôlent et les stimulent. » 

Le but est d’acquérir encore davantage de connaissances sur l’autophagie, mais aussi de déterminer si manipuler cette activité autophagique est envisageable de façon à optimiser les flux d’azote au sein de la plante et stimuler son adaptabilité, sa croissance et sa survie dans un contexte de changement climatique. « Les travaux menés depuis mon entrée à l’INRAE ont apporté de nombreuses réponses aux questions que nous nous posions sur la physiologie du vieillissement chez les plantes, et ils en ont soulevés d’autres encore plus passionnantes, ce qui me ravit ! »