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Bulles, défauts et précipités : des matériaux en conditions extrêmes

Recherche Article publié le 25 janvier 2023 , mis à jour le 25 janvier 2023

(Cet article est tiré de L'Édition n°20)

 

Au Laboratoire de physique des deux infinis – Irène Joliot-Curie (IJCLab – Univ. Paris-Saclay, CNRS, Univ. Paris Cité), l’équipe d’Aurélie Gentils s’attache à comprendre l’effet couplé des flux de neutrons et de l’accumulation de gaz sur les propriétés des matériaux des futurs réacteurs à fusion. 

Dans les futurs réacteurs à fusion, les matériaux seront exposés à de très hautes températures, des flux de neutrons et une accumulation de gaz légers (hélium et hydrogène), produits en quantité non négligeable par la fusion entre le deutérium et le tritium. Tous ces éléments ont un impact sur la microstructure du matériau. Car un matériau solide, cristallin, présente un arrangement d’atomes ordonnés de façon périodique qui, en cas de collision avec les neutrons libérés lors de la réaction de fusion, sont parfois éjectés et laissent une lacune, voire une cavité issue d’une agglomération de lacunes. Les ions hélium, accumulés dans l’environnement du matériau, s’y insèrent et créent des bulles qui grossissent et fragilisent le matériau. 

À IJCLab, au sein du pôle Énergie et environnement, l’équipe d’Aurélie Gentils simule expérimentalement ces dommages à l’aide des faisceaux d’ions de la plateforme JANNuS-SCALP. « Cela a l’avantage de ne pas rendre le matériau radioactif. On peut caractériser l’endommagement in situ et en temps réel. » Un faisceau d’ions lourds énergétiques simule l’endommagement induit par l’irradiation de neutrons. « Les ions lourds traversent le matériau et créent des cascades de déplacements : ils entrent en collision avec les noyaux d’atomes rencontrés et interagissent avec les électrons qui gravitent autour des noyaux. » Grâce à un deuxième faisceau d’ions d’énergie moindre, les scientifiques favorisent l’incorporation d’hélium (ou d’hydrogène) dans le matériau. Ils étudient ensuite l’endroit où les deux dommages sont simultanément présents. « L’irradiation couplée à l’incorporation d’hélium affecte le matériau à une profondeur entre 10 et 100 nm. »

Grâce à la microscopie électronique en transmission (MET), l’équipe mesure la taille et la densité des bulles, et vérifie si d’autres défauts dans l’arrangement des atomes, comme des dislocations et boucles, se sont formés. En parallèle, elle réalise des simulations numériques pour comprendre, par exemple, l’énergie de formation des bulles ou défauts, et la diffusion de l’hélium au niveau atomique. Dans les aciers ferritiques, majoritairement utilisés dans les centrales nucléaires actuelles, des précipités de carbone, présents dès le départ, ralentissent les mouvements de dislocations et confèrent aux aciers de bonnes propriétés mécaniques. Mais à très haute température, ces précipités se dissolvent. L’équipe d’IJCLab s’intéresse aux aciers ODS (Oxide Dispersion Strengthened) contenant une dispersion de précipités d’oxydes nanométriques, faits d’yttrium, d’oxygène et de titane, plus résistants à très haute température. « On travaille à caractériser ces matériaux fabriqués conventionnellement ou par faisceaux d’ions, avant et après l’incorporation des éléments, pour comprendre comment et où se forment les nanoprécipités, et quels effets bénéfiques ils ont sur les dommages induits par l’irradiation et l’accumulation de gaz. » D’autres expérimentations sont également faites sur le tungstène ou le nitrure d’aluminium. « Tout cela permet de dégrossir le choix des matériaux utilisés dans les futurs réacteurs à fusion. » 

 

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