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Bertrand Eynard : l’inventeur de la récurrence topologique

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 27 janvier 2020 , mis à jour le 26 octobre 2020

Bertrand Eynard est physicien théoricien à la direction de la recherche fondamentale du CEA depuis vingt-cinq ans et professeur à l’Institut des hautes études scientifiques (IHES). Il vient d’être distingué par l'Académie des Sciences pour ses travaux de physique mathématique, notamment pour la découverte de la formule mathématique universelle appelée « récurrence topologique ». Capable de résoudre des matrices aléatoires de grande taille et des problèmes d’énumération de surfaces, cette formule révolutionne quarante ans de physique théorique.

Parmi les trois équipes qu’abrite l’Institut de physique théorique (Université Paris-Saclay, CNRS, CEA), Bertrand Eynard appartient à celle de physique mathématique. Il s’intéresse à deux grands axes de recherche qui se nourrissent l’un l’autre : les matrices aléatoires et la géométrie énumérative. « En réalité, ce sont les mêmes équations des deux côtés. Ce que nous parvenons à faire dans un domaine engendre de grandes découvertes dans l’autre », explique le chercheur.

Surfaces aléatoires

« Nous rencontrons de grandes difficultés de calcul en physique des particules. Lorsqu’une particule de la taille d’un point se propage dans le temps, elle suit une trajectoire qui est une ligne. Or si deux particules sont de taille 0 et de distance 0, la force qui résulte de leur interaction est infinie, ce qui est mathématiquement impossible », explique Bertrand Eynard. La théorie des cordes vient corriger le problème en supposant que les particules ne sont pas des points mais des morceaux de segments ou de cercles, et leurs trajectoires sont alors des surfaces. Prévoir le mouvement, c'est calculer la probabilité d’arriver à un état final, ce qui revient à compter les surfaces (trajectoires) qui y parviennent. Il faut « calculer des probabilités sur des ensembles de surfaces », et pour cela, inventer de nouveaux outils mathématiques capables de compter les surfaces en dépit de leur extrême diversité. En 2004, Bertrand Eynard trouve la relation mathématique « qui s’applique à tous les problèmes de surfaces » : c’est la récurrence topologique, qui dit que « si on sait compter les cylindres et les disques, alors on peut compter toutes les surfaces ».

Renouveau de la physique quantique

Pendant quarante ans, les chercheurs réalisent leurs calculs géométriques essentiellement grâce à des méthodes issues de la mécanique quantique. « Mais les théories quantiques excluent les calculs exacts sur les très grands ensembles et les méthodes dites « d’approximation » présentent un problème mathématique inhérent : au fur et à mesure qu’on affine l’équation de la mécanique classique par approximations successives, les coefficients ne deviennent pas plus petits, mais plus grands ! », développe le chercheur qui propose d’inverser le processus avec la récurrence topologique et d’utiliser la géométrie pour résoudre des problèmes de mécanique quantique. C’est précisément l’objectif du projet ReNewQuantum, monté avec trois autres chercheurs, dont le russe Maxim Kontsevitch, lauréat de la médaille Fields en 1998. Ce projet bénéficie d’une bourse ERC Synergy Grant d’un montant de dix millions d’euros pour six ans, une première en mathématiques fondamentales.

Chercheur au long cours

« Enfant, je voulais déjà comprendre et faisais réaliser des expériences de physique à mes camarades sans qu’ils s’en doutent ! », s’amuse Bertrand Eynard. Jeune lycéen, il se retrouve deux années de suite dans la prestigieuse Académie de sciences en tant que lauréat des Olympiades internationales de mathématiques. Il obtient à dix-huit ans le deuxième prix du concours général des mathématiques et le prix régional de physique en 1987. Il poursuit ses études à l’ENS, soutient sa thèse en 1995 à l’université Pierre et Marie Curie et accomplit deux post-doctorats. Auteur d’une centaine de publications et de quelques ouvrages didactiques, Bertrand Eynard est également affilié à l’IHES et au centre de recherche mathématique de Montréal, dans lequel il effectue de fréquents séjours.

Pour ce marathonien chevronné - il a traversé le Sahara et l’Alaska -, « la synergie du regroupement des écoles, des universités, des centres de recherche et de grands groupes industriels sur le plateau de Saclay aura des conséquences très positives sur le long terme ».

 

Image : ©CASSANAS