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BAYOEN, des transistors organiques au service de la santé

Recherche Article publié le 22 juillet 2021 , mis à jour le 22 juillet 2021

L’objectif du projet BAYOEN est de développer des capteurs autonomes intelligents bio-inspirés capable de pronostiquer des dysfonctionnements cardiovasculaires à l’aide de modèles mathématiques particuliers, les réseaux bayésiens. Un premier volet consiste à transformer les données d’un électrocardiogramme (ECG) en bitstreams aléatoires. Un circuit de transistors électrochimiques organiques (OECT) classe ensuite ces signaux encodés et leur impute des valeurs qui sont interprétés comme différentes anomalies cardiovasculaires. 

C’est lors d’un congrès en électrochimie en 2019 que Laurie Calvet, spécialisée en physique des dispositifs au Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N – Univ. Paris Saclay, Univ. De Paris, CNRS) et porteuse du projet BAYOEN, fait la rencontre d’Hans Kleemann, chercheur au Centre intégré de physique appliquée et de matériaux photoniques (DC - IAPP) de l’Université technique de Dresde, en Allemagne. Depuis 2015, Laurie Calvet s’intéresse aux neuromorphiques, ces systèmes neuro-inspirés qui imitent les fonctionnalités ou les architectures des systèmes biologiques pour le calcul et le traitement de l'information. Hans Kleemann, lui, est spécialisé dans les transistors organiques et notamment les transistors électrochimiques organiques (OECT), à partir desquels il développe des réseaux neuronaux pour l’intelligence artificielle (IA). « Je lui ai présenté un post-doctorant de notre équipe pour débuter un projet sur le reservoir computing [un concept de calcul inspiré du fonctionnement du cerveau pour entraîner les réseaux neuronaux à une tâche]. C’est ce qui a lancé notre collaboration », raconte Laurie Calvet.

 

Au commencement était le transistor

Un transistor est un dispositif semi-conducteur à trois électrodes, utilisé dans la plupart des circuits électroniques. Sur les transistors à effet de champ, aussi appelés FET (Field-effect transistor), l’électrode d’entrée, appelée grille, contrôle le courant ou la tension appliquée sur l’électrode de sortie, appelée drain. Sur les transistors MOSFETs (Metal Oxide Semiconductor Field Effect Transistor) l'effet du champ électrique s’applique sur une structure métal - oxyde - semi-conducteur constituée de l'électrode de grille, de l'isolant et du substrat. 

Coupe transversale et représentation schématique d’un transistor MOS canal N. Source : Cyril B, CC BY-SA 3.0

Les MOSFETs sont utilisés dans une grande variété de composants électroniques, typiquement sous la forme de CMOS (Complementary Metal Oxide Semiconductor). Ces circuits sont composés d’un couple de MOSFETs particuliers, N et P, et calculent des fonctions logiques. Les recherches menées autour de ces circuits permettent de développer et d’optimiser de nouveaux concepts de dispositifs pour des applications dans des domaines variés, allant de la télécommunication au médical.

 

Des circuits capables de classifier pour l’application médicale

Lorsqu’elle intègre l’équipe d’électronique neuro-inspirée à l’Institut d'électronique fondamentale (IEF) - qui deviendra par la suite le C2N - en 2015, Laurie Calvet participe à un projet de recherche européen sur les inférences Bayésiennes, BAMBI (Bottom-up Approaches to Machines dedicated to Bayesian Inference). Sur ce projet, elle collabore notamment avec Damien Querlioz du C2N et Jacques Droulez et Pierre Bessière de l’Université Pierre et Marie Curie, à la conception de circuits électroniques capables de réaliser une classification bayésienne sur la base de calcul stochastique.

Issue d’une famille de médecins, Laurie Calvet est très inspirée par la biologie. Rapidement, elle a l’idée d’implémenter ces architectures à des biocapteurs, pour le traitement de données médicales, en l’occurrence des données électrophysiologiques. « À partir des circuits neuromorphiques, je me suis demandé pourquoi ne pas essayer de capter les signaux de notre cœur, raconte-t-elle. C’est ainsi qu’est née l’idée du projet BAYOEN. »

Elle entreprend alors d’utiliser les données des biocapteurs placés sur le muscle cardiaque : les signaux organiques collectés par ECG sont envoyés vers un circuit neuromorphique qui procède ensuite à une classification sur puce pour détecter les anomalies cardiovasculaires. L’IA est intrinsèque au système et les données médicales, personnalisées, ne vont pas sur un cloud. Ces données restent anonymes et le système se montre très peu énergivore.

 

Une volonté écologique

Sensible à la question écologique, Laurie Calvet souhaite transférer en organique les circuits CMOS qui lui servent à classifier. C’est là que Hans Kleemann lui parle des OECTs. Ces transistors organiques revêtent un intérêt du fait de leur facilité de fabrication, de leur faible coût mais également de leur biocompatibilité et de leur flexibilité. À ce titre, ils font l’objet de recherches et de développements importants à destination de la bioélectronique, des biocapteurs et de l’électronique à grande surface.

Les OECTs disposent d’une capacité élevée ce qui favorise l’utilisation de moins de transistors pour des circuits avec éléments de mémoire. Mais ils sont aussi intrinsèquement plus écologiques car moins énergivores et basés sur des substrats recyclables : « Comme les CMOS comportent trop d’impuretés qui ne peuvent être éliminées, ils sont impossibles à recycler, explique Laurie Calvet. Ce projet, c’est aussi un premier pas vers le développement durable. » 

 

Un fonctionnement bilatéral

BAYOEN est un projet collaboratif entre le C2N et l’IAPP, mais chaque équipe y contribue à différents niveaux. Le C2N est en lead sur la partie computationnelle du projet dont la simulation de la classification et les circuits Bayésiens ainsi que la transformation des données du capteur ECG en bitstreams stochastiques, représentant les probabilités de différentes anomalies cardiovasculaires. « Ce n’est que le premier jalon d’un projet beaucoup plus ambitieux que j'aimerais réaliser, précise Laurie Calvet, donc nous allons devoir faire des choix. Pour l’entrée du circuit et générer des bitstreams stochastiques, nous allons utiliser des simulations de neurones à impulsion et des données déjà récoltées dans le passé. Mais si le projet grandit, j’aimerais tout réaliser, des capteurs jusqu’à la puce nécessaire à la classification. » De son côté, l’IAPP apporte son expertise sur les OECT pour la construction du circuit bayésien.

Le budget alloué au projet sert principalement au recrutement de deux doctorants localisés chacun en France et en Allemagne, mais amenés à circuler entre les deux universités pour se former aux expertises de chaque laboratoire. « Nous sommes en train de tout mettre en place pour notre futur doctorant, il nous reste à trouver la perle rare », conclut Laurie Calvet avec un sourire.

À bon entendeur…

 

Références