Alain Abergel : explorer la matière interstellaire

Portrait de chercheur ou chercheuse Article published on 16 octobre 2025 , Updated on 07 novembre 2025

Alain Abergel est professeur à l’Université Paris-Saclay et astrophysicien à l’Institut d’astrophysique spatiale (IAS – Univ. Paris-Saclay/CNRS). Spécialiste de la matière interstellaire, il a accompagné quatre décennies d’avancées technologiques dans l’observation spatiale, de la comète de Halley aux premières images du télescope James Webb. Enseignant passionné de physique et d’astrophysique, il a par ailleurs largement contribué à la structuration de la communauté des physiciennes et physiciens à l’Université Paris-Saclay. Il est depuis 2021 le directeur de l’Observatoire des sciences de l’Univers de l’Université Paris-Saclay (OSUPS).

Baccalauréat scientifique, classes préparatoires, école d’ingénieurs à Grenoble : à première vue, le parcours d’Alain Abergel semble assez classique. Pourtant, il réalise assez vite que, dans son cursus, les cours qui le passionnent le plus sont ceux de physique fondamentale dispensés à l’université. Il décide alors de s’orienter vers un DEA (diplôme d’études approfondis, l’équivalent d’un master 2) d’astrophysique à l’Université Pierre et Marie Curie (aujourd’hui Sorbonne Université), suivi d’une thèse qui le plonge au cœur d’un événement astronomique majeur : le passage de la comète de Halley près du Soleil en 1986. « Travaillant sur les observations réalisées avec les caméras embarquées à bord des sondes soviétiques VEGA-1 et VEGA-2 lors du survol de Halley, j’ai fait partie de ceux qui, pour la première fois, observaient un noyau cométaire, sa surface, ses jets de gaz et de poussière », se souvient-il.

Une entrée en matière fascinante qui scelle son orientation vers l’astrophysique spatiale. Après un post-doctorat, il est recruté en 1989 comme maître de conférences à l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay), dans le tout nouvel Institut d’astrophysique spatiale (IAS) où il restera toute sa carrière, et deviendra professeur en 2002.

Un cameraman du ciel infrarouge

Alain Abergel aime à se définir comme un « cameraman du ciel ». Spécialiste du domaine infrarouge, il scrute ce rayonnement invisible aux yeux humains mais émis par tous les objets du fait de leur température. « Là où le ciel est noir en lumière visible, le domaine infrarouge permet de révéler une profusion de structures, d’autant plus que le ciel paraît obscurci. Il s’agit de nuages moléculaires où les atomes se rencontrent sur les plus petits grains interstellaires pour former des molécules, où les grains de matière solide commencent à s’assembler, les régions les plus denses s’effondrent gravitationnellement pour donner naissance à des étoiles entourées de disques protoplanétaires à l’intérieur desquels se forment des planètes. »

Observer la matière interstellaire, c’est saisir le « début de la complexité » qui mène à l’émergence du vivant. « Je me souviendrais toujours de la présentation que nous avons faite à l’Agence spatiale européenne (ESA) des premières images de nuages moléculaires obtenues avec la caméra du satellite européen infrarouge ISO (Infrared Space Observatory) : la salle entière a applaudi, car pour la première fois, on voyait à l’intérieur des nuages où naissent des étoiles. C’était comme regarder pour la première fois une radiographie du corps humain », raconte l’enseignant-chercheur.

Au cœur des grandes missions spatiales

Dès lors, la carrière d’Alain Abergel se poursuit au rythme des grandes missions spatiales. Après le lancement d’ISO en 1995, il collabore aux missions américaines Spitzer et COBE, où son expertise dans le traitement et l’exploitation des données spatiales à grande longueur d’onde est largement mise à profit. En 2009, deux nouvelles aventures l’attendent avec Herschel et Planck, deux satellites de l’ESA : le premier explore le ciel dans l’infrarouge lointain, le second cartographie le fond diffus cosmologique tout en livrant des informations inédites sur l’émission des poussières interstellaires.

Aujourd’hui, c’est avec le James Webb Space Telescope que l’histoire se prolonge. « D’ISO et son miroir de 60 cm à James Webb et son miroir de 6,6 mètres, des caméras de 32x32 pixels aux détecteurs de plus 1000x1000 pixels : le contraste technologique est vertigineux. Désormais, ce ne sont plus toujours les instruments qui nous imposent leurs limites, mais la compréhension des processus physiques à l’œuvre dans l’Univers », souligne-t-il.

Une aventure collective

Si Alain Abergel a tant aimé sa carrière, c’est aussi parce qu’elle s’est toujours inscrite dans une dynamique collective pour ces grandes missions spatiales, qui sont le fruit de consortiums internationaux. Les échanges avec des modélisateurs, des instrumentalistes, des chimistes et des physiciennes et physiciens ont été incessants. De même qu’avec des spécialistes du traitement du signal, en particulier du Laboratoire des signaux et systèmes (L2S – Univ. Paris-Saclay/CNRS/CentraleSupélec) « pour produire les meilleures données possibles issues des instruments spatiaux ».

Autre illustration plus récente de sa volonté de créer des ponts : son implication dans la création du laboratoire commun INCLASS entre l’IAS et la PME ACRI-ST afin de partager des méthodes pour l’exploitation de données spatiales, pour l’astrophysique et l’observation de la Terre.

L’enseignement comme seconde nature

Recruté sans expérience pédagogique, Alain Abergel découvre à l’université combien l’enseignement transforme la pratique de la recherche. « J’ai réappris toute la physique, en diversifiant les disciplines enseignées tout au long de ma carrière ! L’enseignement remet en question, oblige à progresser et à être toujours plus rigoureux et ouvert sur les nouvelles avancées. Il impose de présenter des concepts fondamentaux dans un cadre accessible par les étudiantes et étudiants, quel que soit leur niveau, sans oublier leur intérêt sociétal », confie-t-il.

Il s’investit à l’université à tous les niveaux : responsable de filières en première ou seconde année universitaire, co-responsable durant dix ans du master 2 Outils et systèmes de l’astronomie et de l’espace à partir de sa création, en 1999, enseignant au magistère de physique fondamentale, directeur-adjoint de l’École doctorale d’astrophysique d’Île-de-France de 2017 à 2021. Sa ligne directrice est d’accompagner aussi bien les étudiantes et étudiants débutants, « pour leur mettre le pied à l’étrier, les motiver pour la physique, leur donner des bonnes méthodes de travail et les aider à prendre confiance en elles et eux », que les plus avancés, « pour des formations spécialisées et en les accompagnant jusqu’à leur insertion professionnelle ».

Un bâtisseur au service de la physique à l’Université Paris-Saclay

Outre ses activités scientifiques et pédagogiques, Alain Abergel a joué un rôle clé dans la structuration de la communauté des physiciennes et des physiciens. Président du département de physique de la Faculté des sciences (2011-2018), il a contribué à y maintenir l’unité d’une discipline comptant environ 200 enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs, et au moins trois fois plus de chercheurs et chercheuses.

Lors de la construction de l’Université Paris-Saclay, il s’est battu aux côtés de ses collègues pour que la communauté de la physique ne se retrouve pas éclatée, effort qui a fait émerger la Graduate School de physique, aujourd’hui très visible à l’international. « Une grande chance de ma carrière est d’avoir intégré une communauté de physiciennes et de physiciens d’une richesse absolument exceptionnelle à l’Université Paris-Saclay. Elle m’a énormément apporté, par la diversité des compétences et des échanges, et j’espère de tout cœur qu’elle continuera de nourrir des générations d’étudiantes et étudiants, chercheurs et chercheuses, ingénieures et ingénieurs. »