HELENE LEVASSORT : DE LA GERIATRIE A LA RECHERCHE : LE LIEN ENTRE REINS ET CERVEAU DANS LES MALADIES RENALES CHRONIQUES

Avant de débuter sa thèse en épidémiologie, Hélène Levassort a suivi des études de médecine à l’Université Paris 6, puis un master 2 en Épidémiologie clinique et pharmaco-épidémiologie (ECLIPE) à Sorbonne Université. Médecin spécialisée en gériatrie, cheffe de clinique et enseignante, elle a mis ses activités hospitalières en pause pour se consacrer à sa troisième et dernière année de thèse. Elle est venue présenter son parcours et ses recherches aux étudiants en master de santé publique.
 

Un parcours atypique

Hélène débute ses études de médecine avec l’objectif de devenir pédiatre. Cependant, au cours de son cursus, elle décide finalement de se spécialiser en gériatrie. À la fin de ses études, elle souhaite également enseigner en parallèle de son activité à l’hôpital. Elle s’inscrit alors au master 2 à Sorbonne Université pour accéder à un poste de cheffe de clinique. Ce poste lui permettra de combiner enseignement et pratique hospitalière. 

Hélène effectue son stage de M2 au CESP, où elle se penche sur le lien entre les maladies rénales chroniques (MRC) et les troubles cognitifs, en utilisant les données de la cohorte CKD REIN. Cette thématique est étroitement liée à sa spécialité, la gériatrie, et constitue ses premiers pas dans la recherche. L’expérience se passant bien, on lui propose de poursuivre ses travaux avec une thèse sur la même thématique et un poste de cheffe de clinique en néphrologie pendant un an, avant de reprendre son clinicat en gériatrie. Bien que la néphrologie ne fût pas sa spécialité initiale, elle accepte le poste et commence sa thèse. 

Maladies rénales et troubles cognitifs

Les reins jouent le rôle de "station d’épuration" du corps et lorsqu'ils fonctionnent mal, des toxines s'accumulent dans l’organisme. Quand on mange quelque chose, le métabolisme des acides aminés ne se fait pas correctement et le corps produit plus de toxines, dont les toxines urémiques, que les reins ne peuvent pas bien éliminer. Cela conduit à une concentration accrue de ces toxines dans le corps ce qui impacte d’autres organes, comme le système cardiovasculaire, neurologique et osseux. Les maladies rénales entraînent ainsi une morbidité et une mortalité importantes. 

Deux constats émergent dans la littérature scientifique aujourd’hui. Le premier concerne les toxines : celles-ci nuisent aux vaisseaux sanguins et ont un impact négatif sur le cerveau, créant de la neuro-inflammation et endommageant la barrière hématoencéphalique. Cela altère la neurogénèse (formation de nouveaux neurones) et le système glymphatique (système par lequel le cerveau élimine ses déchets). Le deuxième constat porte sur les troubles cognitifs : il a été observé que les patients atteints de maladie rénale chronique souffrent davantage de troubles cognitifs que la population générale. 

Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce phénomène :  

  • L’accumulation des toxines urémiques pourrait être toxique pour le cerveau. Aujourd’hui elles sont peu étudiées.   
  • Les patients atteints de MRC, tout comme ceux souffrant de troubles cognitifs, présentent souvent des maladies vasculaires (calcifications, athérome, etc.), ce qui suggère une possible corrélation entre ces deux pathologies.  

Hélène a donc orienté ses recherches vers le lien entre les reins et le cerveau, dans le but de mieux comprendre l’association entre MRC et troubles cognitifs, ainsi que l’impact des toxines urémiques dans cette relation. 

CKD REIN : la cohorte, outil essentiel de la recherche en santé publique

Pour ses recherches, Hélène utilise la cohorte CKD REIN, qui comprend 3033 patients recrutés sur plus de 40 sites de néphrologie en France métropolitaine. Ces patients ont été suivis pendant cinq ans, sans dialyse ni greffe. La cohorte fait partie du programme "Cohortes Investissements d’Avenir" lancé en 2010, avec les objectifs suivants : 

  • Etudier les déterminants et les biomarqueurs de progression et de complications de la MRC
  • Identifier les meilleures pratiques pour ralentir la progression, réduire les complications et les hospitalisations, améliorer la transition vers la défaillance rénale
  • Comprendre ce qui est important dans la MRC du point de vue du patient

Objectif 1 : il y a-t-il une association spécifique entre le rein et le cerveau ? – le rôle clinique

La première question à laquelle Hélène a cherché à répondre est de savoir si la MRC entraîne des troubles cognitifs, et si oui, quels types de troubles. Les données de la cohorte CKD REIN ont montré qu'il existe bien une forte association entre les maladies rénales et cérébrales, la première entraînant la seconde. 

Une fois ce lien établi, elle a cherché à identifier si ces patients avaient un profil cognitif particulier, Par exemple des troubles la mémoire, du langage, de l’attention, et des fonctions exécutives. Il est apparu que la mémoire n’était pas affectée en premier, mais seulement à des stades plus avancés de la maladie.  

En consultation de néphrologie, pour détecter précocement les troubles cognitifs, il est essentiel de se concentrer sur les troubles de l’attention, du langage et des fonctions exécutives. Si la mémoire est touchée, c’est souvent que d’autres fonctions ont été altérées auparavant.  

Objectif 2 : les symptômes dépressifs et les troubles cognitifs sont-ils liés aux toxines provoquées par les MRC ? Le rôle physiopathologique

De nombreux patients atteints de MRC présentent des symptômes dépressifs. Bien que cela puisse être mis sur le compte de la maladie qui est complexe et longue avec de nombreux examens et soins, des études ont démontré que la dépression est liée à une micro-inflammation cérébrale. Or, les patients atteints de MRC présentent des inflammations chroniques, notamment dues aux toxines urémiques. Hélène a donc cherché à savoir si certaines de ces toxines étaient associées à la dépression chez ces patients. 

Pour cela, elle va utiliser les mesures de l'urée effectuées durant le suivi des patients. L'urée est une toxine mal éliminée lorsque les reins fonctionnent mal et elle est souvent utilisée comme marqueur de la sévérité des maladies rénales, par exemple pour déterminer le moment d'initier la dialyse. 

Pour son étude, la dépression a été mesurée sous deux angles : d'une part, à l’aide d’un score de dépression où les patients évaluent leur état émotionnel chaque année, et d'autre part, par la prescription de nouveaux antidépresseurs au cours du suivi. Les résultats ont montré qu'il n'y avait pas de lien entre la concentration d'urée et la prescription d'antidépresseurs. En revanche, une association a été trouvée avec les symptômes dépressifs. 

Bien que les résultats ne soient pas encore probants, il est essentiel de partager ces données et de réfléchir aux limites possibles, comme la réticence des patients à prendre des antidépresseurs, ou le manque d'attention des néphrologues aux symptômes dépressifs. Des études supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les mécanismes sous-jacents à la dépression dans les MRC. 
 

Objectif 3 : et si on prenait le problème dans l’autre sens ? Le rôle pronostic. Le projet de 2025

On sait que les patients atteints de MRC présentent plus de troubles cognitifs que la population générale. Mais est-ce que ceux qui souffrent de troubles cognitifs ont une évolution plus rapide de leur maladie rénale ? La suite de la thèse d'Hélène portera sur cette question : quel est le rôle des troubles neurocognitifs dans la progression de la MRC ? 

Quelles leçons tirer de son travail de thèse et comment envisager l’avenir ?

Hélène considère qu’avoir une continuité entre son stage de M2 et sa thèse est une réelle chance, car cela permet de prendre de l'avance et de bien maîtriser son sujet dès le début de la thèse. Elle souligne que ce travail nécessite une grande implication et n’est pas toujours facile, surtout lorsqu’on se retrouve coincé sur une ligne de code. L'entourage, notamment l’équipe hospitalière et ses encadrants, devient alors primordial pour avancer. 

Après sa thèse, Hélène va reprendre ses 3 casquettes : de l’enseignement et son activité à l’hôpital en gériatrie, et la recherche (tout en gardant cet axe rein-cerveau) .

La thèse ne se résume pas à du travail sur ordinateur. Elle inclut aussi des enseignements et des participations à des congrès, qui sont essentiels pour partager ses recherches, découvrir de nouveaux axes de travail et développer des collaborations. Et, bien sûr, cela permet aussi de voyager ! 

Dans un travail aussi intense, il est également crucial de ne pas s'oublier et de conserver des activités pour se détendre. Pour Hélène, cela passe par le gospel et son engagement associatif au Bénin, une réelle bulle d’oxygène !