
Zoe Care : Quand l’intelligence artificielle veille sur les aînés
Issue de travaux portant sur la reconnaissance de mouvements d’une personne au moyen de l’analyse de la perturbation des signaux Wi-Fi dans l’environnement, la start-up deeptech Zoe Care, soutenue notamment par CentraleSupélec et la SATT Paris-Saclay, s'engage à favoriser le bien vieillir et le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes grâce à un détecteur de chute intelligent.
Zoe Care naît de la fusion entre le monde scientifique et entrepreneurial, lorsque l’enseignant-chercheur Piotr Antonik et l’entrepreneur Thomas Saphir se rencontrent via la cellule de valorisation de CentraleSupélec. À l’époque, Piotr Antonik travaille au sein du Laboratoire matériaux optiques, photonique et systèmes (LMOPS – CentraleSupélec/Univ. de Lorraine) sur différentes technologies de reconnaissance de mouvements grâce à des algorithmes de type réseaux de neurones. Et « il constate que cela fonctionne particulièrement bien avec le Wi-Fi », se souvient Thomas Saphir, également alumnus de CentraleSupélec. À ce moment-là, la technologie ne se prédestine pas encore au secteur de la santé ou à l’autonomie des personnes âgées.
Mais lorsque Thomas Saphir, fort de ses vingt-cinq années d’expérience en tant qu’entrepreneur dans l’industrie high-tech, découvre cette technologie, elle fait sens pour lui : « Je cherchais un projet à impact. De par mon histoire personnelle, où j’ai connu ce rôle d’aidant avec une grand-mère qui chutait assez souvent, cela m’a personnellement touché. Et puis, plus largement, ce sujet comporte de véritables enjeux, environnementaux mais aussi sociétaux », confie l’entrepreneur. C’est ainsi que l’aventure débute en juillet 2022, avec la création de Zoe Care par les deux collaborateurs.
Un détecteur de chute intelligent et discret
La start-up développe un produit minimum viable (ou Minimum Viable Product, MVP) appelé ZoeFall. Ce détecteur de chute est capable, grâce à une technologie d’intelligence artificielle (IA), de reconnaître la chute d’une personne grâce à l’analyse de la déformation des signaux Wi-Fi dans son environnement, occasionnée par ses mouvements. Le détecteur émet ensuite une alerte auprès d’un destinataire donné pour venir secourir la personne.
Le dispositif, semblable à un répéteur Wi-Fi, est compact et discret. Il contient un microcontrôleur et une antenne Wi-Fi intégrée, et se branche sur une prise électrique à portée du réseau Wi-Fi de l’habitation. L’outil analyse alors les signaux Wi-Fi incidents. « Il peut même être dissimulé derrière une télévision, car les ondes Wi-Fi rebondissent sur les murs et contournent les obstacles, contrairement aux caméras qu’il faut positionner précisément », ajoute Thomas Saphir. Les signaux, capables de traverser certains objets, notamment le corps humain, riche en eau, en sortent alors déformés et ces déformations varient au fil du temps selon les mouvements du corps. Tout l’enjeu réside dans la capacité de l’IA de ZoeFall à reconnaître les mouvements à partir de ces variations.
L’IA développée par Zoe Care a été entrainée à reconnaître des mouvements spécifiques, comme les chutes. Mais elle est susceptible de détecter tout type de mouvement dès lors qu’il implique un déplacement du corps : marcher, s’asseoir, se lever, s’allonger, le rythme respiratoire pendant le sommeil ou encore les gestes liés à l’alimentation ou à l’hydratation. « On peut aussi détecter la présence d’une personne dans une pièce et la localiser approximativement », explique Thomas Saphir.
Un autre avantage du dispositif est sa sobriété énergétique. « Aujourd’hui, on parle beaucoup d’IA générative, comme le deep learning, avec des modèles qui tournent dans un cloud via des data centers puissants. À l’opposé, notre IA est frugale et embarquée sur un microcontrôleur très simple, comparable à ceux présents dans des équipements domotiques, comme des télécommandes ou interrupteurs », explique le cofondateur de la start-up.

Des premiers tests prometteurs
Des premières installations pilotes de l’outil ont actuellement lieu en Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). « D’un point de vue commercial, c’est assez simple à mettre en place car toutes les chambres de l’établissement sont concernées et munies d’un boîtier ZoeFall. Aussi, la gestion des alertes y est évidente, le personnel aide-soignant étant présent en continu », déclare l’entrepreneur. Du côté de la sphère privée, Zoe Care pourrait équiper les habitations des seniors d’ici la fin de l’année 2026.
Fait et pensé pour venir en aide aux personnes âgées, l’outil l’est aussi pour ceux qui les entourent. « Cela fait trois ans que nous évoluons dans l’écosystème de la silver économie, ou économie des seniors, et du médico-social. Nous échangeons régulièrement avec des gériatres, des personnels infirmiers, des directions d’EHPAD et aussi des représentantes et représentants de leur administration. Ces personnes cherchent depuis longtemps une solution fiable contre les chutes », révèle Thomas Saphir.
Selon le ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, d’ici 2030, la population française comptera 20 millions de personnes âgées de plus de 60 ans, soit un tiers de la population. Parmi elles, nombreuses seront celles qui souhaiteront conserver leur autonomie et rester vivre à leur domicile. C’est déjà le cas aujourd’hui chez plus de 92 % des plus de 70 ans. Satisfaire ces ambitions représente à la fois un défi majeur et une responsabilité sociétale.
C’est pour répondre à ce besoin que depuis quelques années, le marché voit émerger de nouveaux outils. Actuellement, la solution la plus répandue reste les bracelets ou montres équipées de capteurs tels que des accéléromètres. « Un million d’unités ont été déployées en Europe, mais les tests indépendants montrent une sensibilité d’environ 30 %, ce qui est très faible », indique le cofondateur de Zoe Care. ZoeFall, lui, atteint une précision de 99 % en laboratoire et sur le terrain, les résultats se montrent très prometteurs.
Par ailleurs, si d’autres solutions plus récentes existent, basées sur la vidéo, l’audio ou les ondes millimétriques, ces technologies s’avèrent coûteuses, parfois même intrusives, ou nécessitent des installations spécifiques. Elles restent principalement utilisées en milieu médical ou hospitalier. « Il n’existe pas encore de solution satisfaisante pour le grand public ou les EHPAD », résume Thomas Saphir.
Anticiper pour mieux accompagner
Au-delà de l’alerte en cas de chute, Zoe Care souhaite désormais élargir son action à la prévention de la perte d’autonomie, pour permettre à une personne de rester chez elle le plus longtemps possible en toute sécurité. « Nous travaillons à d’autres usages autour de la prévention et du monitoring des personnes âgées. Cela implique de détecter les premiers signes de dépendance afin de déclencher des actions correctrices (kinésithérapie, nutrition, médicaments, etc.) en lien avec le personnel soignant », affirme Thomas Saphir.
Pour passer de l’idée au concret, la start-up compte sur un solide réseau de partenaires. Depuis les débuts, l’accélérateur 21st by CentraleSupélec soutient Zoe Care en lui offrant un hébergement dans ses locaux, un accompagnement stratégique par ses équipes, ainsi que des conseils sur les demandes de financement et l’organisation d’événements. « Ils favorisent également le réseautage entre start-up », ajoute l’entrepreneur.
Mais cela ne s’arrête pas là. Après avoir bénéficié d’un premier programme d’accompagnement par la SATT Paris-Saclay, l’équipe de Zoe Care s’apprête à renouveler cette collaboration dans le cadre du Tech Transfer Program, afin de développer un dispositif médical basé sur leur technologie et les usages identifiés.
Enfin, dans le cadre de sa phase de maturation, Zoe Care a aussi établi un partenariat avec le Laboratoire universitaire de recherche en production automatisée (Lurpa – Univ. Paris-Saclay/ENS Paris-Saclay).
Alors que leur levée de fonds de 500 000 € est en cours, les deux cofondateurs de Zoe Care prévoient de lancer cet automne la commercialisation du MVP Zoe Fall en BtoB auprès d’EHPAD.