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Yilin Wang : à l’interface des probabilités et de l’analyse complexe

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 13 décembre 2023 , mis à jour le 17 janvier 2024

Ce portrait s'inscrit dans une exposition itinérante plus générale de Portraits de mathématiciennes de l'Université Paris-Saclay, en cours de réalisation et qui sera lancée au printemps 2024.

Yilin Wang est professeure junior de mathématiques à l’Institut des hautes études scientifiques (IHES). Positionnant sa recherche à l’interface de l’analyse complexe et de la théorie des probabilités, elle travaille à éclairer les connexions entre la géométrie conforme aléatoire, la théorie des fonctions géométriques et la théorie de Teichmüller. Première titulaire d’un poste de professeur junior à l’IHES, elle vient de décrocher une bourse ERC Starting Grant du Conseil européen de la recherche pour son projet RaConTeich.

Arrivée de Chine en France pour deux années de classe préparatoire scientifique avec l’intention de devenir ingénieure, Yilin Wang se découvre très tôt attirée par l’aspect théorique des mathématiques. « La perfection du monde des mathématiques, en comparaison de notre monde réel imparfait où règnent les erreurs, m’a immédiatement fascinée », confirme-t-elle. Une intuition qui se confirme lorsqu’en passant les concours, elle réalise qu’elle trouve plus de plaisir aux examens orientés recherche qu’à ceux orientés application et écoles d’ingénieur. Elle intègre assez naturellement l’École normale supérieure (ENS) de la rue d’Ulm et profite de ces années d’école pour explorer différentes voies en mathématiques. Après un master en probabilité et statistiques, elle part à l’École polytechnique fédérale de Zürich (ETHZ), en Suisse, faire une thèse sous la direction de Wendelin Werner, lauréat de la médaille Fields en 2006. Son doctorat en poche, elle est recrutée en 2019 au Massachusetts Institute of Technology (MIT) en tant que C.L.E. Moore Instructor (un emploi d’enseignante), puis rejoint le Mathematical Sciences Research Institute de Berkeley (MSRI) en Californie pour poursuivre ses recherches postdoctorales. En 2022, elle intègre l’IHES en tant que professeure junior, devenant ainsi la première titulaire d’un tel poste à l’IHES.

L’énergie de Loewner comme clé

Au commencement d’un projet de recherche se trouve souvent une idée nouvelle, une sorte de pierre angulaire suffisamment robuste pour servir de fondement aux travaux que l’on mènera par la suite. Cette « idée nouvelle », c’est au cours de sa thèse à Zürich que Yilin Wang la formule. « Je m’intéressais alors au comportement asymptotique de courbes simples aléatoires, telles que les courbes SLE, provenant de mécaniques statistiques. » Une recherche qui peut sembler assez classique dans le monde de la géométrie conforme aléatoire auquel appartient à ce moment-là Yilin Wang… Jusqu’à ce que cette dernière y introduise la notion d’énergie de Loewner et montre que cette quantité, utile en géométrie conforme aléatoire, est aussi une fonction importante pour la géométrie des espaces de courbes, connue sous le nom d’espace de Teichmüller universel. « À l’époque, ces deux mondes – celui des courbes aléatoires et celui des espaces de Teichmüller – étaient très éloignés l’un de l’autre. Or nos recherches semblaient montrer qu’il existait un lien entre ces deux domaines », explique la chercheuse. En établissant ce premier point de contact, Yilin Wang trouve la clé de ses recherches futures.

Explorer le lien entre SLE et l’espace de Teichmüller

Très vite, la chercheuse entrevoit que le lien entre ces deux domaines est certainement plus fort que le « simple » contact établi au cours de sa thèse et qu’il vaut la peine d’être approfondi. Dès lors, sa recherche consiste à explorer ce contact et à voir comment mettre du liant entre ces deux mondes. « Mon ambition est d’établir des liens entre les concepts fondamentaux de la géométrie conforme aléatoire et la théorie de Teichmüller en combinant des techniques de probabilité, d’analyse complexe, de théorie des représentations, etc. »  Pour ce projet à l’interface, nommé RaConTeich et considéré porteur d’un intérêt scientifique majeur, Yilin Wang se voit attribuer en 2023 une bourse ERC Starting Grant. « Grâce à ce financement, je vais créer ma propre équipe, organiser des conférences et poursuivre mes travaux dont je suis convaincue qu’ils sont susceptibles d’apporter des développements importants dans les deux domaines et d’offrir un nouvel éclairage sur plusieurs domaines de la physique mathématique. »

Créer des ponts entre les communautés

Si Yilin Wang connaît bien le monde de la géométrie conforme aléatoire dont elle est issue par formation, il lui faut en revanche se former pour approfondir les concepts à l’œuvre dans la théorie de Teichmüller. « Lorsque j’étais au MIT, j’ai eu la chance d’assister à un séminaire donné à l’Université d’Harvard sur ces sujets reliés à la théorie de Teichmüller et de rencontrer des spécialistes de cette branche des mathématiques avec lesquels je suis encore en contact aujourd’hui. Ce sont mes échanges avec eux qui m’ont fait avancer dans ma réflexion et  structurer ma recherche. » Juste retour des choses compte tenu du retentissement des premiers résultats de Yilin Wang, il existe désormais parmi les spécialistes des théories de Teichmüller des chercheurs et chercheuses intéressées par ce lien établi entre leur domaine de recherche et les probabilités. « Une part importante et passionnante de mon travail consiste ainsi aujourd’hui à créer des ponts entre ces deux communautés mathématiques qui ne se connaissent pas encore très bien, qui ne parlent pas forcément le même langage mais dont certains membres sentent qu’ils ont beaucoup à gagner de cet apport mutuel », souligne Yilin Wang. La chercheuse est ainsi régulièrement invitée à donner de cours thématiques à des doctorantes et doctorants travaillant dans les deux domaines ou à participer à des conférences pour présenter ses travaux et découvrir ceux de ses collèges.

Peu d’enseignement mais beaucoup de transmission

Lorsque l’on interroge Yilin Wang sur ce qu’elle considère être sa « mission » en tant que mathématicienne, sa réponse est limpide : « Notre travail ne consiste pas à démontrer que tel ou tel théorème est vrai – les théorèmes sont toujours vrais – mais à rendre l’apport des mathématiques compréhensible pour les humains. » Par « humains », ce n’est pas en premier lieu aux étudiantes et étudiants que pense Yilin Wang – elle avoue qu’à ce jour la recherche prime clairement sur l’enseignement – mais bien à soi-même et à ses pairs. Outre ses efforts pour rapprocher les différentes communautés en lien avec son sujet, elle tente en effet plus largement de contribuer à la bonne santé de la communauté mathématique dans son ensemble, en prenant soin de vulgariser au mieux ses recherches ou en s’investissant, par exemple, comme éditrice au sein du Journal of London Mathematical Society. « Je crois sincèrement que c’est la qualité de nos interactions d’aujourd’hui qui fera la qualité des mathématiques de demain. »

Le dialogue, un moteur

Pas étonnant que le premier réflexe de Yilin Wang, lorsqu’elle se retourne sur sa jeune carrière, soit de remercier les nombreux collègues qu’elle a croisés tout au long de son parcours. « Que ce soit les chercheurs et chercheuses expérimentées qui, au début de mes recherches, ont manifesté leur intérêt pour mes propositions et pris le temps de me transmettre leur expertise lorsque je me retrouvais face à des questions difficiles, ou les post-doctorantes et post-doctorants avec lesquels il m’est aujourd’hui si facile de travailler tant elles et ils sont ouverts, curieux, passionnants... Tous et toutes ont contribué à faire de moi la chercheuse que je suis aujourd’hui et continuent d’être pour moi un précieux moteur pour avancer », conclut Yilin Wang.

Yilin Wang (c)Christophe Peus