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Une transition vers l’économie circulaire

Recherche Article publié le 28 juillet 2021

(Cet article est issu de L'Édition n°16)

Afin d’accompagner la transition écologique des industries de production de masse, les scientifiques de l’Université Paris-Saclay développent des modèles économiques durables et de nouveaux procédés circulaires performants. 

À l’instar des états comme la France, s’engageant en faveur d’une neutralité carbone à l’horizon 2050, les populations leur emboitent le pas. Le développement durable s’ancre progressivement dans les esprits et les initiatives écoresponsables se multiplient. Mais face à l’urgence climatique et ses conséquences pour la planète et ses habitants, il faut repenser l’économie globale. Cela implique notamment une plus grande sobriété, un arrêt de la surexploitation des ressources – limitées – de la planète, et une réduction de l’empreinte carbone. Au coeur de cette réflexion : l’aménagement d’une économie circulaire pour une transition pérenne conciliant écologie et développement économique. 

 

Produire à partir des déchets

Actuellement, l’économie se base essentiellement sur un modèle linéaire : il consiste extraire des ressources naturelles pour fabriquer des produits – et leurs emballages – qui sont ensuite commercialisés, distribués, utilisés puis jetés en fin de vie. Un modèle énergivore et générateur de déchets et de polluants. En bouclant les flux de matière et d’énergie, l’économie circulaire propose de valoriser localement les déchets en les transformant en matières premières, et de réduire l’impact environnemental de la consommation. 

Ces dernières années, plusieurs actions durables ont été instaurées à grande échelle, comme la récupération de l’énergie produite par l’incinération des déchets et le recyclage des plastiques, des métaux et des verres. Néanmoins, ces processus restent encore à optimiser, car la valeur des déchets incinérés part majoritairement en fumée et la qualité des plastiques recyclés n’égale pas celle de ceux d’origine. À l’échelle du citoyen, des actions en faveur d’une économie circulaire sont également possibles : en privilégiant une consommation plus responsable, basée sur les circuits-courts et le compostage ; ou plus simplement en prolongeant la durée de vie des produits de consommation par l’échange de services ou de biens, la réparation de produits usés et les bonnes habitudes de tri des produits recyclables. 

Toutefois, comme dit le proverbe : « l’union fait la force ». Pour être efficace, l’économie circulaire demande un investissement et une adhésion plus franche, notamment de celles aux avant-postes : les industries de production de masse. Pour rappel, en France, le secteur de la construction produit environ 30 % des gaz à effet de serre émis sur le territoire, celui de l’agroalimentaire est responsable d’environ 30 % des déchets ménagers, majoritairement des aliments non consommés, et celui du transport ne recycle que très peu sa production marchande. Or les entreprises responsables, fabriquant des produits en matières recyclées, facilitant leur démontage, réduisant les coûts de réparation et recyclant leurs propres déchets, limitent fortement leur empreinte carbone. 

 

Une action vertueuse à l’échelle locale

L’économie circulaire présente bien des qualités. « Mais elle n’est vertueuse que lorsqu’elle s’intègre dans une dimension territoriale », s’exclame André Torre, chercheur au laboratoire des Sciences pour l’action et le développement : activités, produits, territoires (SADAPT – Univ. Paris-Saclay, INRAE, AgroParisTech) et spécialiste du développement territorial durable. Car si la notion de territoire est large, sa signification l’est beaucoup moins : il s’agit de favoriser la circulation locale des biens et des services en rapprochant les producteurs des consommateurs. « Faire du recyclage à l’étranger ou consommer des produits issus de l’agriculture biologique étrangère ne sont pas des actions vertueuses puisqu’elles impliquent énormément de temps de transport et donc d’émissions de gaz à effet de serre », affirme le chercheur. Bien plus qu’une simple proximité géographique, une proximité relationnelle entre les différents acteurs locaux s’avère cruciale. « Des entreprises voisines doivent avoir des productions compatibles afin de recycler leurs déchets et de réutiliser leur énergie au niveau local. » 

En misant sur l’économie circulaire, les entreprises ne sont pas les seules à en profiter. Car en ouvrant un marché inédit dans la filière du recyclage, l’économie circulaire contribue à créer des emplois sur l’ensemble du territoire. Alors pourquoi ne s’est-elle pas encore généralisée ? Aujourd’hui, l’obstacle principal n’est autre que financier. Mis à part quelques secteurs ayant déjà opéré cette transition, comme l’alimentation avec les circuits courts, les unités de méthanisation ou les réseaux de chaleur, la plupart des entreprises ont du mal à changer leurs procédés de production. Cela s’explique notamment par leurs difficultés à évaluer et à estimer leurs bénéfices. Face à ce constat, un investissement de l’État est nécessaire, afin de les accompagner dans leur transition en proposant des incitations financières et des méthodes d’évaluations simples et rapides d’investissements durables. 

 

Renforcer la circularité industrielle : l’agriculture urbaine à l’étude 

À l’Université Paris-Saclay, plusieurs scientifiques s’attachent à accompagner les entreprises dans leur démarche de responsabilisation durable. Ils développent des outils d’analyses simplifiées afin de les aider à optimiser la circularité de leurs procédés industriels et à réduire leur empreinte carbone. Plusieurs stratégies durables et réalisables à l’échelle industrielle sont d’ailleurs actuellement envisagées conjointement avec divers secteurs industriels. 

En collaboration avec une ferme de champignons installée dans le département des Yvelines (78), Christine Aubry et Erica Dorr, spécialistes de l’agriculture urbaine au laboratoire SADAPT, ont élaboré des stratégies pour limiter les impacts environnementaux de cette production. « En France, l’agriculture urbaine se développe depuis une dizaine d’années. Elle représente une opportunité pour l’économie circulaire en revalorisant localement les déchets urbains, expliquent de concert les deux chercheuses. La dimension locale limite les déplacements et facilite les échanges entre producteurs et consommateurs. » 

Déjà bien développée, cette ferme de champignons génère une économie doublement circulaire : d’un côté, le marc de café est revalorisé en substrat pour la culture de Pleurotus ostreatus (ou pleurote en forme d’huître), et d’un autre, le compost de champignons est réutilisé par les agriculteurs de la région Île-de-France pour créer des fertilisants et engrais. Bien que cette économie soit d’ores et déjà robuste, les agriculteurs souhaitent continuer à minimiser leurs émissions qui s’élèvent actuellement à 3 kg d’équivalent CO2 par kilogramme de champignons. En modélisant différents scénarios, les chercheuses ont identifié deux stratégies réduisant 45 % des impacts environnementaux : il s’agit de diminuer le temps de pasteurisation du marc de café et d’améliorer les pratiques sanitaires pour maximiser le rendement. 

Au-delà de la valorisation des déchets organiques urbains, ces modèles d’analyses participent également au développement d’alternatives à la consommation d’eau dans le secteur agroalimentaire. « En revalorisant les eaux usées, on limiterait l’utilisation d’eau potable pour l’arrosage des cultures. À l’heure actuelle, le point bloquant est matériel et logistique. Mais ce sont des thématiques qui se développent de plus en plus », déclare Christine Aubry. 

Ces modèles d’analyses restent néanmoins difficiles à généraliser à l’ensemble des cultures agricoles, puisque chaque ferme possède ses propres savoir-faire et spécificités. Dans le cas de cultures en plein-air, les conditions environnementales comme l’humidité et la température ne sont d’ailleurs pas bien contrôlées et les paramètres sur lesquels jouer sont alors très variables. Il devient difficile de modéliser les flux de matières et d’évaluer précisément l’origine des impacts environnementaux. 

 

Le potentiel du marché automobile de seconde main

À l’inverse, le secteur automobile offre une meilleure stabilité pour le développement de modèles technico-économiques. Bernard Yannou et son équipe du Laboratoire génie industriel (LGI – Univ. Paris-Saclay, CentraleSupélec) ont eux aussi mis leur savoir au service de l’économie circulaire. En partenariat avec trois entreprises spécialisées dans la construction d’engins lourds (Manitou en France, Liebherr en Suisse et John Deere aux États-Unis), ils ont développé un modèle d’évaluation de la rentabilité d’un marché de seconde main. Car contrairement aux véhicules légers, la filière des engins lourds, qui produit une quantité massive de déchets, n’est soumise à aucune réglementation en matière de recyclage. « Pourtant, la masse des véhicules lourds en circulation est identique à celle des véhicules légers », s’étonne Bernard Yannou. 

En rachetant leurs véhicules usagés, ces entreprises deviendraient les actrices d’un marché de seconde main, capables, grâce à leur expertise, de démonter les engins et de revendre ou de réutiliser les pièces détachées. « Avec le modèle que nous avons développé, on parvient rapidement et facilement à diagnostiquer l’état des composants, connaître leur valeur sur le marché de seconde main et estimer le temps et le coût des procédés industriels qu’implique leur réutilisation, comme le démontage, la restauration et le reconditionnement. Ensuite, on simule le comportement des consommateurs pour trouver un optimum entre circularité et profit global de l’entreprise sur ses deux marchés », explique le chercheur. 

Ce travail a également révélé l’importance de la traçabilité des biens. Les entreprises ne parviennent généralement pas à localiser leurs véhicules en fin de vie ce qui rend difficile leur récupération. C’est notamment en modélisant le recyclage du platine, un métal aussi cher que l’or et contenu dans les pots catalytiques des engins lourds, que les scientifiques du LGI ont constaté un exode du matériau. « Le platine fait partie des matériaux considérés comme critiques pour l’Union européenne. Très difficile à récupérer, il se raréfie et son prix augmente. Selon notre étude, environ 25 % des pertes sont dues à une migration des pots catalytiques en dehors de l’Europe », explique Bernard Yannou. Au moyen d’une simulation à modèles multiples, l’équipe du LGI a montré que la mise en place de directives économiques européennes portant sur l’écoconception et la traçabilité réduirait cette perte de moitié. 

 

Créer de nouveaux procédés durables : le recyclage des circuits imprimés en question 

Si certains tentent d’optimiser la circularité des procédés industriels existants, d’autres scientifiques de l’Université s’attèlent à créer de nouvelles possibilités transposables à grande échelle. C’est le cas de Jean-Christophe Gabriel du laboratoire Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l’énergie (NIMBE – Univ. Paris-Saclay, CEA, CNRS). En collaboration avec l’Institut de chimie séparative de Marcoule et l’Université technologique de Nanyang (Singapour), il développe des méthodes de séparation chimique pour accentuer le recyclage des déchets électroniques. 

« Actuellement, seuls 30 % de la masse des circuits imprimés usagés sont recyclés », précise le chercheur. La filière traditionnelle ne recycle pour l’heure que les métaux précieux des circuits imprimés, comme l’or, l’argent et le platine, ou ceux à fort tonnage, comme le fer, le cuivre et l’aluminium. En cause : la difficile séparation des éléments chimiques, près d’une soixantaine par circuit imprimé, au moyen de processus thermiques et chimiques (extraction liquide-liquide) spécifiques à chaque métal. Pour corriger cela, l’équipe du NIMBE explore de nouvelles étapes de procédés capables de séparer finement les métaux et de récupérer les terres rares, ces métaux indispensables aux nouvelles technologies. « La difficulté est d’être économiquement viable face à la variabilité chimique des déchets », confie Jean- Christophe Gabriel. 

Grâce à un tri sélectif couplé à un système microfluidique et à des analyses chimiques poussées, les scientifiques ont évalué plus de 75 étapes de procédés d’extraction liquide-liquide aux formulations différentes. « Ce système réduit les volumes et fait gagner du temps, il limite les coûts de développement et les déchets produits. » Ils sont désormais capables de trier plusieurs kilogrammes de composants électroniques par heure pour récupérer sélectivement certaines terres rares. 

Comme ce système fait également appel à des solvants organiques (à l’instar des procédés traditionnels), l’équipe a élaboré une nouvelle stratégie d’extraction, basée sur du CO2 supercritique. Ce solvant, non-toxique et facilement recyclable, possède simultanément les propriétés d’un gaz, pour pénétrer les matériaux, et celles d’un liquide, pour dissoudre les composés. Il réussit à recycler à la fois les métaux et les plastiques des circuits imprimés, contaminés par des additifs toxiques tels que les colorants, les métaux lourds polluants ou les retardateurs de flamme. L’équipe a récemment extrait ces derniers avec une efficacité d’environ 40 % par cycle, une opération répétée jusqu’à atteindre la pureté souhaitée. Contrairement aux filières de recyclage des plastiques, qui échouent à retrouver toutes les capacités des polymères, ce procédé est également capable d’améliorer leur valeur sur le marché. « On réussit à purifier le plastique en éliminant les molécules n’ayant pas totalement réagi. Ainsi recyclés, certains déchets plastiques peuvent être réutilisés dans un secteur à plus forte valeur ajoutée », confie Jean-Christophe Gabriel. 

 

Mieux valoriser le CO2

Si la création de nouveaux procédés circulaires favorise la réduction des émissions de CO2, elle participe également au recyclage de cette molécule. La stratégie est ainsi envisagée par Thibault Cantat, chimiste au laboratoire NIMBE. « Produire des carburants ou des composés chimiques nécessite l’usage de produits carbonés. Actuellement, l’industrie chimique s’approvisionne à plus de 95 % dans les énergies fossiles, mais il serait stratégique d’utiliser des ressources renouvelables comme le CO2 et la biomasse », informe le chercheur. 

Avec son équipe, il étudie depuis plusieurs années différentes voies de synthèse valorisant le CO2 en produisant du méthanol, un composé de grand intérêt pour l’industrie chimique. L’une des plus prometteuse s’appuie sur l’électrolyse du CO2. Mais la réaction produit également du dihydrogène, un gaz explosif et difficile à manipuler. Pour l’éviter, l’équipe a développé un procédé qui fait appel à du silicium, un composé naturellement abondant, recyclable et réutilisable à la fin de la réaction grâce à une boucle chimique. En passant par un intermédiaire, l’acide formique, le silicium favorise la formation de méthanol au détriment du dihydrogène. Grâce à lui, l’équipe transforme plus de 75 % de l’acide formique – issu du CO2 – en méthanol. « En l’optimisant, nous pourrions aisément maximiser le rendement. Appliqué à l’échelle européenne, la production de méthanol pourrait recycler 10 millions de tonnes de CO2 par an », confie Thibault Cantat. Des études complémentaires sont en cours pour appliquer ce procédé à d’autres marchés économiques, comme la production d’hydrocarbures, de monomères plastiques ou de médicaments, en couplant l’acide formique à des molécules issues de la biomasse.

La transition est lancée. Qui pourra l’arrêter ?

 

Publications

  • E. Dorr, et al. Life cycle assessment of a circular, urban mushroom farm. Journal of Cleaner Production, 288, (2021). 
  • S. Dermine-Brullot, A. Torre. Quelle durabilité pour le développement territorial ? Réflexions sur les composantes spatiales de l’économie circulaire. Natures Sciences Sociétés, 28, (2), (2020). 
  • M. Saidani, et al. Multi-tool methodology to evaluate action levers to close the loop on critical materials – Application to precious metals used in catalytic converters. Sustainable Production and Consumption, 26, (2021). 
  • C. Chauvier, et al. Catalytic Disproportionation of Formic Acid to Methanol by using Recyclable Silylformates. Angewandte Chemie International Edition, 59, (2020). 
  • D. Xia, et al. On-line spectroscopic study of brominated flame retardant extraction in supercritical CO2. Chemosphere, 263, (2021).