
U-Fast : pour réagir plus vite aux septicémies
Alors que l’antibiorésistance pose des problèmes croissants dans la société, trois étudiants de l’Institut d’Optique Graduate School imaginent et mettent au point un moyen de mieux cerner les antibiotiques efficaces. En mêlant biologie et optique, la technologie de la start-up U-Fast qu’ils ont créée détecte en quinze minutes le médicament adapté, contre deux jours actuellement.
« Notre idée a commencé au début de notre deuxième année dans l’école : le cursus Innovation entrepreneurial pousse les étudiantes et étudiants à entreprendre des projets à forte dimension technologique, principalement dans la deeptech », explique Raindu Adikarigethamel, ancien étudiant de l’Institut d’Optique Graduate School. À ce moment-là, pendant quatre mois, il rencontre des chercheurs, visite des laboratoires et comprend l’écosystème de la recherche sur le plateau de Saclay. Il est alors conquis par le projet d’Abdel El.Abded, enseignant-chercheur au laboratoire Lumière, matière et interfaces (LuMin – Univ. Paris-Saclay/ENS Paris-Saclay/CNRS/CentraleSupélec), et Dominique Fourmy, chercheur au Laboratoire de biologie et pharmacologie appliquée (LBPA - Univ. Paris-Saclay/ENS Paris-Saclay/CNRS), qui ont déjà déposé un brevet sur une étape clé de leur projet.
En septembre 2023, avec deux autres étudiants de la Filière innovation entrepreneurs (FIE) de l’Institut d’Optique, Asyan Kessi et Simon Revranche, Raindu Adikarigethamel cofonde la start-up U-Fast. Issue des recherches menées au LuMin et au LBPA, elle vise à développer des antibiogrammes rapides pour identifier efficacement quel antibiotique administrer en cas de septicémie. « L’Institut d’Optique m’a permis de me lancer dans ce projet, tout en gardant du temps pour mes études. De nombreuses start-up sortent de la FIE. C’est l’une des rares écoles du plateau de Saclay dédiée à l’entrepreneuriat, sur des sujets vraiment concrets comme la deeptech. L’écosystème est fort, notamment avec les partenariats entre l’Institut d’Optique, l’ENS Paris-Saclay ou encore HEC. Beaucoup de projets de chercheurs et de thésards sont mis de côté faute d’étudiant ou d’étudiante pour les reprendre. Pourtant, la plupart des gens ont les capacités d’entreprendre dans ce milieu. C’est aussi pour cela que U-Fast me tient à cœur », ajoute le cofondateur.
Entre optique et biologie
U-Fast est l’acronyme d’Ultra fast antibiotic susceptibility test. Cet antibiogramme détecte les bons antibiotiques à administrer à des patientes ou patients atteints d’infections graves ou de septicémie. « Notre technologie est bien plus rapide que celles sur le marché actuellement. Nos résultats sont disponibles en 15 minutes contre un à deux jours pour les techniques classiques », se félicite Raindu Adikarigethamel. Cette économie précieuse de temps permet de sauver des vies en repérant un traitement ciblé plus rapidement. « Dans le cas d’une septicémie, il faut réagir très vite et souvent les médecins n’ont pas le loisir de trouver quel antibiotique est le plus adapté. Ils prescrivent alors un cocktail de médicaments, qui malheureusement aggrave l’antibiorésistance de la population. Notre technologie allège ainsi la pression sur les hôpitaux et réduit les coûts des traitements et des tests », ajoute-t-il.
La machine, de la même taille que celles utilisées habituellement, envoie un rapport d’analyse avec les antibiotiques résistants ou sensibles. « L’avantage de notre technologie, c’est qu’elle ne nécessite que très peu de matériel génétique. Elle analyse plein de substances en simultané, en un temps très court, là où aujourd’hui il faut d’abord cultiver les bactéries dans les boîtes de pétri avant de tester un à un les médicaments. U-Fast nous permet de passer au-delà de cette étape », se réjouit le cofondateur.
De nombreux concours
Depuis le début de l’aventure, les cofondateurs enchaînent les participations aux concours. En février 2024, ils commencent à préparer la prématuration du CNRS, qui se concrétise par des subventions sur des projets issus de ses laboratoires. U-Fast récolte ainsi 160 000 euros. 150 000 euros s’ajoutent ensuite grâce au plan France Relance 2030, dont l’un des objectifs est de lutter contre la septicémie. « Tout cet argent est consacré à la recherche et au développement. Une partie sera dédiée à notre deuxième brevet, qui sera la clé de voûte de notre technologie. Cette somme nous permet notamment de payer un post-doctorant à plein temps sur le sujet et de définir un plan d’action pour les prochaines années », explique Raindu Adikarigethamel.
Aujourd’hui, U-Fast est hébergée sur le plateau de Saclay et a reçu une offre d’incubation par IncubAlliance, l’incubateur de la recherche publique du cluster Paris-Saclay. Depuis la rentrée universitaire 2024/2025, les cofondateurs suivent des cursus différents pour davantage se spécialiser. Asyan Kessi est en parcours orienté optique et biologie à l'Institut de formation supérieure biomédicale (IFSBM) de la Faculté de médecine de l’Université Paris-Saclay. Simon Revranche a intégré l’École polytechnique de Lausanne (EPFL) où il travaille sur les questions de biologie et d’optique, pour devenir le CTO de U-Fast. Raindu Adikarigethamel, quant à lui, a intégré HEC afin d’avoir une approche plus entrepreneuriale, dans la perspective d’incorporer l’incubateur de station F dans les prochains mois.
Une commercialisation en 2030
À l’heure actuelle, la technologie de la start-up fait état d’un TRL (Technology Readiness Level) de 3-4. « Elle sera mature d’ici deux/trois ans, mais seulement pour le marché privé. Pour équiper les hôpitaux publics, nous devons attendre qu’elle soit validée et remboursée par la sécurité sociale, ce qui prend encore quelques mois. Nous envisageons une mise sur le marché grand public en 2030 », explique le cofondateur. En patientant, U-Fast va continuer à se financer par la maturation du CNRS afin de finaliser sa technologie, sa validation technique et des promesses d’achat.
Pour l’instant, U-Fast fonctionne sur les subventions et les fonds issus de concours, qui l’aident à augmenter progressivement le TRL de sa technologie. Aucune levée de fonds n’a encore été réalisée. « Nous serons un jour obligés de passer par cette étape si nous voulons industrialiser notre produit et le vendre à un maximum d’hôpitaux. Nous en avons aussi besoin pour développer notre équipe, notamment le côté markéting et commercial. Aujourd’hui, elle est surtout constituée de profils très techniques, des étudiants, des post-doctorants, des chercheurs et des stagiaires », résume Raindu Adikarigethamel.