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PROBALIDY : vers un traitement des pathologies hépatiques

Innovation Article publié le 12 mai 2023 , mis à jour le 12 mai 2023

Le projet PROBALIDY  est issu du laboratoire Inflammation, microbiome, immunosurveillance (MI2 – Univ. Paris-Saclay, Inserm), dont l’équipe Microbiome in liver diseases: from susceptibility to treatment a identifié plusieurs bactéries dans le microbiote intestinal ayant un rôle dans l’amélioration de la NASH-stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD) et la maladie alcoolique du foie (MAF). La NAFLD, souvent présentée comme la maladie du soda, et la MAF sont les deux maladies du foie liées à la malnutrition les plus importantes dans le monde, et pour lesquelles il n’existe pas de traitements. La première est associée à l’obésité et la seconde à une consommation excessive d’alcool. Ces deux maladies présentent des points communs à des stades précoces et la prise d’un probiotique, fabriqué potentiellement à partir de bactéries bénéfiques pour la santé, pourrait améliorer la prise en charge des patientes et patients. PROBALIDY est en cours de valorisation auprès de la SATT Paris-Saclay.

« Comment ne pas s’intéresser au microbiote intestinal lorsqu’on travaille sur le foie ? », s’interrogent dès 2006 Anne-Marie Cassard, directrice de recherche Inserm et co-directrice de l’équipe Microbiome in liver diseases: from susceptibility to treatment du laboratoire MI2, et Gabriel Perlemuter, professeur des universités – praticien hospitalier (PU-PH) et actuel chef du service de gastro-entérologie et nutrition à l’hôpital Antoine Béclère à Clamart. À cette époque, les recherches sur le microbiote démarrent et celles sur les maladies du foie liées à l’alcoolisme ou provoquées par l’obésité sont peu nombreuses et difficiles à financer.

L’équipe décroche en 2008 un premier financement de l’European fundation for alcohol research (ERAB) dans le cadre d’une recherche qui s’appuie sur la cohorte des patientes et patients du service de gastro-entérologie de l’hôpital Antoine Béclère. L’équipe met d’abord en évidence des différences de microbiote puis montre qu'il existe une susceptibilité individuelle à développer des lésions du foie lors de la prise d’alcool. En effet, parmi les malades ayant une consommation d’alcool équivalente en quantité et en durée de temps, certains ne développent aucune pathologie grave du foie, alors que d’autres ont une cirrhose ou un cancer du foie. Serait-ce dû aux différences de microbiote observées ? C’est ce que l’équipe cherche à comprendre en utilisant des modèles pré-cliniques.

 

À la recherche de bactéries protectrices

« Lorsqu’on administrait le microbiote d’individus qui avaient des lésions du foie aux souris qui consommaient de l'alcool, on aggravait leurs lésions, contrairement aux souris qui avaient reçu le "bon" microbiote », décrit Anne-Marie Cassard, qui se demande ainsi s’il existe des bactéries bénéfiques. Vanessa Liévin-Le Moal, maîtresse de conférences à la Faculté de pharmacie de l’Université Paris-Saclay et microbiologiste, rejoint l’équipe en 2016 pour observer ces bactéries de très près. Parallèlement à l’analyse moléculaire par séquençage, elle les met en culture, ce qui procure davantage d’informations. Elle met en évidence des souches de bactéries différentes chez les sujets alcooliques qui n’ont pas de lésions du foie.  « Il s’agit de bactéries lactiques, celles que l’on trouve dans le lait ou le fromage, qui présentent l’avantage d’être inoffensives pour l’être humain », détaille Anne-Marie Cassard.

L’équipe cherche ensuite à isoler ces bactéries à partir d’un screening in vitro chez un individu qui a une consommation excessive d'alcool mais ne présente pas de lésions du foie. « Les bactéries lactiques sont assez connues pour inhiber la croissance des entérobactéries qui, elles, sont potentiellement nocives. L’exemple le plus connu étant Escherichia Coli, présente dans notre tube digestif, dont certaines souches pathogènes peuvent être à l’origine de troubles variés, plus ou moins graves. »
 
La question se pose alors d'identifier parmi les souches de bactéries lactiques isolées, celles qui sont les plus efficaces et capables d’empêcher la prolifération des entérobactéries une fois dans l’environnement intestinal. Car chez les personnes consommant de l'alcool, il existe un ratio entre les lésions du foie et le nombre d’entérobactéries présentes : plus il y a d’entérobactéries, plus les lésions du foie sont sévères. Au cours de l’année 2018, l’équipe sélectionne finalement sept souches de bactéries lactiques pertinentes parmi les 120 souches isolées à partir du microbiote.

 

Un traitement coup double

Or, il se trouve que la NAFLD et la MAF possèdent des mécanismes communs et que les lésions du foie y évoluent de la même façon, même si la MAF peut également provoquer des hépatites aiguës avec un risque vital à court terme. « Il nous a semblé évident qu’il existait des bactéries délétères et bénéfiques similaires dans les deux pathologies. » Les chercheurs s’appuient sur la cohorte de patientes et patients ayant une consommation excessive d'alcool, plus facile à classifier, pour découvrir ces bactéries bénéfiques. « Nous avons différencié les espèces des souches. Parmi nos sept bactéries lactiques candidates, nous avons identifié des espèces identiques avec des souches différentes. Comme elles ne portent pas le même patrimoine génétique, elles n’ont pas les mêmes capacités fonctionnelles. »

 

De la découverte à la valorisation

Actuellement, il n’existe pas de traitement contre les maladies du foie liées à l’alcool. D’après Gabriel Perlemuter, l’espoir est peu  permis pour les personnes atteintes d’une hépatite alcoolique sévère chez qui un traitement anti-inflammatoire par corticoïdes ne permet qu’à la moitié de survivre six mois après leur hospitalisation. En leur administrant la ou les bactéries avant que la maladie n’ait atteint un stade précoce, il serait possible d’éviter l’aggravation des lésions du foie.

Fin 2018, Anne-Marie Cassard dépose un dossier auprès de la SATT Paris-Saclay qui le présélectionne pour une co-construction durant six mois  avec Mathieu Gutmann, chef de projet santé. Fin 2019, le projet est sélectionné pour un financement conséquent assurant le recrutement de deux ingénieurs brevet et l’accompagnement par la SATT Paris-Saclay et INSERM Transfert.

 

Bactéries et fibres, ensemble

Au cours de leurs manipulations, les chercheurs utilisent de la pectine, une fibre soluble et consommable, ce qui les amène à faire une autre découverte. « La pectine est capable de modifier le métabolisme des modèles pré-cliniques avec lésions du foie », affirme Anne-Marie Cassard. Deux essais cliniques sont désormais lancés pour confirmer le rôle thérapeutique de la pectine. Le premier essai clinique, financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), doit apporter la preuve de l’amélioration du foie par l’effet de la pectine, via le microbiote, sur les acides biliaires et les métabolites du tryptophane. Ces deux familles de métabolites sont en partie produits par le microbiote et ont un rôle dans le mécanisme immunitaire. Le second essai clinique, porté par l’Institut de recherche en santé publique (IReSP), s’attache à prouver l’efficacité d’un mélange de fibres dans le cas du sevrage alcoolique. Ces fibres modifient en effet le microbiote : elles apportent des aliments aux bactéries et leur permettent de produire des métabolites dont certains influencent soit le système nerveux entérique (partie du système nerveux autonome qui contrôle le système digestif), soit la synthèse de neuromédiateurs.

À terme, sera-t-il possible de mixer bactéries et fibres pour fabriquer un médicament ? « Pourquoi pas ! J’imagine bien nos bactéries et nos fibres dans un yaourt par exemple. Il reste à trouver celui ou celle qui saura le faire », conclut la chercheuse.

 

Références :