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Ondes gravitationnelles : écouter les tremblements de l'Univers

Recherche Article publié le 20 octobre 2022 , mis à jour le 20 octobre 2022

Cet article est tiré de L'Édition n°19

Théorisées il y a plus de 100 ans par Albert Einstein, les ondes gravitationnelles sont aujourd’hui observables grâce à des interféromètres, des instruments de très haute technologie. Quel intérêt ont ces ondes pour les scientifiques et comment seront-elles mesurées à l’avenir ?

Prédites par Albert Einstein en 1916, quelques mois après avoir publié ses travaux révolutionnaires sur la relativité générale, les ondes gravitationnelles sont le fruit des phénomènes les plus gigantesques de l’Univers. Lorsque deux trous noirs s’attirent l’un l’autre et fusionnent, les masse et énergie mises en jeu par ce processus sont telles qu’elles déforment l’espace-temps. Cette perturbation se propage ensuite dans l’Univers, sous la forme d'ondes. Des physiciennes et physiciens devinent plus tard que seuls des phénomènes extrêmes, comme la fusion de trous noirs ou l’explosion d’étoiles très denses, sont à même de déformer l’espace-temps et d’engendrer ainsi des ondes gravitationnelles.

Mais l’espace-temps est quelque chose de très rigide, et de son altération ne résultent que de faibles perturbations. Au cours de ces 50 dernières années, le défi des physiciennes et physiciens du monde entier a été de concevoir un appareil capable de percevoir les infimes mouvements de l’espace-temps (de l’ordre de 10-18 m, soit un milliardième de milliardième de mètre). Dans les années 1970, le physicien américain Rainer Weiss propose d’utiliser des interféromètres pour étudier les interférences provoquées par les ondes gravitationnelles. Aujourd’hui encore, c’est ce principe qui est utilisé par la communauté. 

L’interféromètre, un puissant outil collaboratif

« Lorsque deux trous noirs, avant leur fusion, tournent l’un autour de l’autre, ils émettent des ondes gravitationnelles, perdent de l’énergie, tournent de plus en plus vite et ainsi de suite jusqu’à leur fusion. Deux trous noirs coalescés (fusionnés) sont par excellence le type d’objet que l’on peut observer », explique Nicolas Leroy, responsable du groupe Ondes gravitationnelles au sein du pôle Astroparticules, astrophysique et cosmologie (A2C) du Laboratoire de physique des deux infinis – Irène Joliot Curie (IJCLab – Univ. Paris-Saclay, Univ. Paris Cité, CNRS). En 2015, la fusion de deux trous noirs a été observée pour la première fois grâce aux deux interféromètres Laser Interferometer Gravitational-wave Observatory (LIGO), basés à Livingston (Louisiane) et à Hanford (Washington) aux États-Unis. En plus des couples de trous noirs, les scientifiques sont aujourd’hui en mesure d’étudier les ondes gravitationnelles provenant de la fusion d’une étoile à neutrons et d’un trou noir, ou de deux étoiles à neutrons, notamment grâce à Virgo, l’interféromètre basé à Pise en Italie et issu d’une collaboration européenne.

Un interféromètre est un instrument capable de mesurer les interférences qu’il subit grâce au déphasage de son laser. Dans une installation en forme de L, ce même laser est séparé en deux faisceaux, qui rencontrent chacun un miroir, à une distance précisément connue. Après réflexion, les faisceaux retournent au point de séparation et se réunissent, en parfaite phase. Lorsqu’une onde gravitationnelle traverse la Terre, c’est-à-dire lorsque l’espace-temps est perturbé aux environs de l'interféromètre, les distances parcourues par les faisceaux laser sont modifiées. Il en résulte qu’à l’étape finale, le laser reconstitué est déphasé. « Lors de sa propagation dans l’espace, une onde gravitationnelle contracte l’espace dans une direction et le dilate à 90°. Un interféromètre vous donne le chemin optique dans une direction par rapport à une autre à 90°. C’est donc un instrument parfait et infiniment précis pour mesurer une distance par rapport à une autre », résume Nicolas Leroy. Au XIXe siècle, à l’époque de sa conception, l’interféromètre est utilisé pour confirmer ou infirmer la théorie de l’éther, soutenue dès le XVIIe siècle par Descartes ou Newton. Cette hypothèse, réfutée à l’aide des interféromètres, impliquait que les corps célestes laissaient derrière leurs mouvements des « tourbillons » d’éther.

L’inconvénient majeur d’un interféromètre est que l’instrument reçoit toutes les perturbations venant de l’Univers dans son ensemble : « un interféromètre, c’est plus proche d’une antenne que d’un télescope », plaisante Nicolas Leroy. Pour y faire le tri, il a été essentiel de construire plusieurs interféromètres sur Terre : les deux LIGO, Virgo et Kamioka Gravitational Wave Detector (KAGRA), l’interféromètre souterrain de l’Université de Tokyo. Grâce à la technique de temps de vol, en croisant les données reçues par chaque interféromètre terrestre, les chercheurs et chercheuses du monde entier sont capables de définir avec précision la zone d’origine d’une onde. En 2007, une première collaboration internationale voit le jour entre les équipes de LIGO et de Virgo. « Seulement quelques années plus tard en 2015, cette collaboration a été un succès phénoménal », se félicite Nicolas Leroy.

Deux futurs instruments pour élargir le champ observable

Loin de s’en tenir à ce succès, la communauté scientifique se tourne vers l’avenir et celui de la détection d’ondes gravitationnelles se jouera dans l’espace… et sous terre. Le Laser Interferometer Space Antenna (LISA) est un projet d’envergure internationale qui verra le jour en 2036. Cet interféromètre spatial, actuellement en cours de conception, sera formé de trois satellites, chacun émetteur d’un laser. « Notre perception du champ électromagnétique a été élargie au fil du temps, et nous sommes aujourd’hui en capacité de voir l’ensemble du spectre (visible, ultraviolet, infrarouge, ondes radio, etc.). Avec LISA, nous serons capables d’observer des fréquences nouvelles, différentes de celles que l’on obtient sur Terre. LISA observera des fusions de trous noirs supermassifs mais également toute la vie d’un système binaire et toute la modulation du signal. Cela nous permettra de tester la relativité générale de manière très poussée », développe Nicolas Leroy. En parallèle, se déploie le projet du télescope Einstein, un nouvel interféromètre souterrain qui viendra grandement augmenter la sensibilité des détecteurs terrestres. « Tout comme LISA, le télescope Einstein sera aussi de forme triangulaire mais il sera composé de six interféromètres », complète le physicien de l’IJCLab. Ce projet, issu d’une collaboration européenne, verra le jour d’ici 2040.

Au sein de l’Université Paris-Saclay, les chercheurs et chercheuses de l’IJCLab et de l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers (Irfu – Univ. Paris-Saclay, CEA) contribuent activement à l’effort planétaire concernant la détection et l’analyse des ondes gravitationnelles, ainsi qu’au développement de ces outils du futur. Ils et elles conduisent notamment des préparations analytiques et instrumentales à destination de LISA. « Je travaille à la fois sur l’analyse des données et sur l’amélioration des détecteurs, explique Nicolas Leroy. En ce moment, je m’intéresse au squeezing, une technique utilisant l’effet d’intrication quantique pour améliorer les détecteurs d’ondes gravitationnelles. Cela équivaut à essayer d’augmenter la puissance du laser d’un détecteur, en jouant sur les effets quantiques plutôt que sur la puissance même. »

Depuis plus d’un siècle, les ondes gravitationnelles fascinent les physiciennes et physiciens. Et du plateau de Saclay jusqu’à l’orbite terrestre, leur étude continue de captiver ces scientifiques.

Publication
• R. Abbott et al. Search for Gravitational Waves Associated with Gamma-Ray Bursts Detected by Fermi and Swift during the LIGO–Virgo Run O3b. LIGO Scientific and KAGRA and VIRGO Collaborations. Astrophys.J. 928, 2, 2022.