NcodiN ou comment améliorer les interconnexions

Innovation Article publié le 23 mai 2025 , mis à jour le 23 mai 2025

Avec les besoins croissants de capacité de calcul pour l’IA, les puces se doivent d’être toujours plus performantes. La miniaturisation du transistor, composant fondamental de la microélectronique, atteint ses limites, tout comme l’utilisation du cuivre qui transmet l’information entre les différents éléments du processeur. Pour y remédier, la start-up NcodiN propose de remplacer les interconnexions électroniques standard par des liens optiques reposant sur une innovation de rupture : le laser le plus petit au monde intégré sur silicium.

À la fin de sa thèse au Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N – Univ. Paris-Saclay/CNRS/Univ. Paris-Cité) en 2020, Francesco Manegatti imagine une nouvelle technologie pour les interconnexions dans les processeurs destinés à l’IA. « Il s’agit d’une nanostructuration des semiconducteurs typiques de la photonique permettant de concevoir le plus petit laser au monde intégré sur silicium », explique le chercheur. Pour développer cette technologie, il crée la start-up NcodiN en 2023 avec Fabrice Raineri (son ancien encadrant de thèse, actuellement professeur à l’Institut de physique de Nice) et Bruno Garbin, alors en post-doc au C2N à l’époque du lancement du projet entrepreneurial.

Francesco Manegatti poursuit : « Au démarrage de NcodiN, nous avons constaté l’explosion de l’intelligence artificielle, notamment de l’IA générative. Dans ce contexte, l’usage de plusieurs puces pour la conception de processeurs de nouvelle génération se démocratisait, ce qui s’accompagnait d’un besoin croissant de performances pour interconnecter les unités de manière efficace, rapide et en limitant les pertes d’énergie. La meilleure façon de le faire c’est via la lumière, sur le même principe que la fibre optique. »

Depuis son démarrage, NcodiN a levé en pré-seed 4,2 millions d’euros, via quatre sociétés de capital-risque (venture capital ou VC) européennes : Elaia, Earlybird, OVNI Capital et Verve Ventures. Cela lui a permis de faire la démonstration de sa technologie de rupture fin 2024. La start-up est actuellement hébergée au C2N à Palaiseau (Essonne) et va bientôt s’installer dans des locaux sur le plateau de Saclay. Elle a été incubée par Agoranov à Paris et accélérée par Wilco et 21st de CentraleSupélec. Elle a également bénéficié de l’accompagnement de l’accélérateur international Intel Ignite, à Munich (Allemagne). NcodiN regroupe aujourd’hui vingt personnes.
 

L’optique pour transmettre les données

« L’avantage de l’optique, c’est que grâce à sa nature physique, les distances parcourables sont plus longues pour une efficacité énergétique bien meilleure », explique Francesco Manegatti. Dans un contexte où les processeurs ne cessent de s’agrandir pour accueillir davantage de puces, ces qualités sont non-négligeables. Ces unités devront bientôt être connectées sur plusieurs centimètres, une longueur qui peut sembler faible, mais qui engendre des pertes d’énergie importantes à cause des hautes performances requises dans les processeurs d’IA.

La méthode la plus efficace pour les relier est donc d’utiliser la lumière. « Nous avons fabriqué une puce de communication, avec un système d’autoroute pour connecter l’ensemble des composants entre eux dans un processeur. La clé de notre réussite, c’est que nous avons développé un composant très petit, intégré de manière très dense, qui permet de convertir le signal électrique en lumière et inversement », ajoute le cofondateur. Au niveau de l’émetteur, le constituant (un nanolaser) récupère le signal électrique, le change en lumière et l’envoie ensuite au récepteur via un guide d’onde en silicium. Le récepteur, un photodétecteur, capte le signal et le transforme en un message électrique.

Aujourd’hui, la technologie de la start-up est à un niveau 4-5 sur l’échelle TRL (Technology readiness level). L’industrialisation devrait commencer à l’été 2025 pour une production et une commercialisation à haut volume au début 2029. « Nous collaborons avec de grands industriels pour optimiser les performances de nos produits et en générer la première version qui sera mise sur le marché. Nous sommes dans une phase d’accélération de notre développement, pour anticiper certains milestones [jalons] qui étaient planifiés pour les années à venir. Initialement, nous avions prévu d’ouvrir une nouvelle levée de fonds vers fin 2025, mais de nombreux fonds d’investissement toquent à notre porte en ce moment », précise le cofondateur.
 

Repenser la démarche

« Les interconnexions en cuivre utilisées habituellement sont limitées en termes de bande passante et de distance couverte en fonction des performances. Les industriels sont tous alignés sur le besoin de l’optique pour complémenter le cuivre pour ces usages de hautes performances », explique Francesco Manegatti. Les concurrents de la start-up sont majoritairement présents aux États-Unis et conçoivent des technologies optiques avec des composants de l’état de l’art industriel, c’est-à-dire développés il y a entre dix et vingt ans et disponibles dans les usines photoniques.

« N’importe quelle solution optique peut adresser le besoin croissant en bande passante des systèmes de calcul dédiés à l’IA. La question est de savoir : à quel prix ? Il y a une énorme différence entre une approche et l’autre et les composants de l’état de l’art ne sont pas forcément compatibles avec cette démarche », commente le cofondateur. Ces composants n’ont pas nécessairement les spécifications adaptées aux processeurs actuels, car ils sont développés pour des distances plus longues avec des applications différentes. « Les industriels veulent que toute la puissance fournie au processeur aille au calcul et que le moins possible soit dédié à l’interconnexion. Mais si on choisit des solutions photoniques de l’état de l’art, moins de 50 % seulement de la puissance va pour le calcul, le reste est attribué à l’interconnexion. C’est pour pallier cette problématique que nous avons réfléchi à notre démarche et que nous apportons des innovations au niveau des composants », précise Francesco Manegatti.

Avec sa technologie, NcodiN arrive à dédier uniquement entre 3 % et 5 % de la puissance à l’interconnexion. Pour cela, les membres de la start-up utilisent des matériaux standard et des semi-conducteurs III-V, en phosphure d’indium (InP) intégrés sur silicium. Le cofondateur ajoute : « Nos procédés de fabrication sont standard, mais le nouveau design que nous avons développé nous permet de minimiser la dimension des composants. »
 

Réduire le coût énergétique de l’IA

Le marché principal que vise la start-up est celui de l’IA, dont l’épicentre se trouve aux États-Unis. Les clients sont les vendeurs de processeurs comme Intel ou Nvidia. Mais la chaîne de valeur s’étend aussi à Taïwan, spécialisée dans les puces électroniques, ou en Asie, en général pour l’assemblage.

Les centres de données nécessitent énormément d’énergie. Selon l’agence internationale de l’énergie, ils consomment environ 5 % de l’énergie mondiale. En 2030, les prévisions estiment que ce taux atteindra 20 %. Et actuellement, les interconnexions représentent une part très importante de ces dépenses. « L’optique peut apporter quelque chose d’unique en termes de limitation de l’impact écologique en remplaçant le cuivre. Notre solution permettra de diminuer de plusieurs tonnes les émissions de CO2 des centres de données. Ce n’est pas pour tout de suite, mais elle aura un impact fort », se réjouit Francesco Manegatti.