
Mélanie Guenais : mathématicienne engagée, entre recherche, transmission et action publique
Mélanie Guenais est maîtresse de conférences au Laboratoire de mathématiques d’Orsay (LMO - Univ. Paris-Saclay/CNRS) dans l’équipe Topologie et dynamique, vice-présidente de la Société mathématique de France et fondatrice du collectif Maths & Sciences. Elle consacre sa carrière aux systèmes dynamiques, à l’enseignement et la diffusion des mathématiques, et à la défense de leur place dans la société.
Originaire de l’Essonne, Mélanie Guenais entre en 1987 en classe préparatoire scientifique au lycée Henri-IV, à Paris. Faute d’accès à l’internat pour les femmes à cette époque, elle poursuit sa scolarité tout en résidant en banlieue. Elle intègre ensuite l’École normale supérieure de Paris où elle fait partie des deux seules étudiantes de sa promotion en mathématiques. En 1993, elle obtient l’agrégation de mathématiques.
Une spécialisation en théorie ergodique
Mélanie Guenais s'oriente vers un doctorat en théorie ergodique, une branche des mathématiques à la croisée de l'analyse, des probabilités et de la dynamique, et qui s’intéresse aux transformations d’un système au cours du temps. Sa thèse, soutenue en 1997 à l’Université Paris 13 (aujourd’hui Université Sorbonne Paris Nord), porte sur les propriétés spectrales de systèmes dynamiques. Elle y explore comment des objets mathématiques réguliers, comme les rotations, peuvent engendrer des comportements complexes lorsqu’on les perturbe légèrement, par petites déformations.
Un parcours scientifique solide et singulier
Recrutée comme maîtresse de conférences à l’Université Paris-Sud (aujourd’hui Université Paris-Saclay) en 1998, la chercheuse poursuit ses travaux en théorie ergodique au sein du LMO. Elle développe également un travail théorique ambitieux sur des systèmes atypiques. Mis en ligne en 2006, ce travail, souvent cité dans la littérature scientifique, apporte une réponse originale à des questions ouvertes des années 1980, en construisant des exemples de systèmes dynamiques aux propriétés spectrales très spécifiques. Il met en évidence la possibilité de comportements extrêmement divers à partir de déformations fines de systèmes simples.
Entre 2007 et 2011, elle prend un congé parental de quatre ans et vit aux États-Unis, mais reste connectée à la communauté scientifique grâce à plusieurs invitations à des conférences internationales.
Retour à Orsay et exploration des formes de transmission des savoirs
Pendant son congé, Mélanie Guénais explore une autre manière de transmettre les mathématiques et en 2011, elle revient en France et à l’université avec une énergie nouvelle. Son expérience la conduit à concevoir des ateliers mathématiques pour les classes de primaire dans lesquels elle mobilise des objets géométriques, des manipulations concrètes, pour faire pratiquer l’observation, le raisonnement, l’argumentation.
Sollicitée pour développer l’activité de diffusion des mathématiques, elle organise le congrès MATh.en.JEANS à Orsay en 2013, au cours duquel les collégiennes et collégiens et les lycéennes et lycéens exposent leur travail d’initiation à la recherche mathématique. En parallèle, l’enseignante-chercheuse participe au lancement de la Maison d’initiation et de sensibilisation aux sciences (MISS) et conçoit des ateliers scientifiques mêlant mathématiques et botanique. Elle anime aussi une quarantaine d’ateliers par an dans les écoles primaires d’Île-de-France.
Responsabilités dans la formation universitaire et continue
Entre 2017 et 2022, Mélanie Guenais assume plusieurs responsabilités pédagogiques. Elle pilote la mention du master Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF) premier degré de l’Université Paris-Saclay, en collaborant avec les inspecteurs et inspectrices et formateurs et formatrices de terrain. Elle participe également au Plan national de formation porté par la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO). Elle y intervient pour former les référents mathématiques de circonscription dans le cadre du Plan Torossian-Villani. À partir de 2020, l’enseignante-chercheuse pilote la nouvelle licence de mathématiques de l’Université Paris-Saclay, dans un contexte de crise sanitaire. La formation est aujourd’hui bien établie : « Elle est conçue pour accompagner les étudiantes et étudiants dans la construction de leurs projets et offre un parcours cohérent et solide permettant des débouchés variés, y compris vers les écoles d’ingénieurs ou l’agrégation. »
Prise de parole publique et engagement national
À partir de 2020, la trajectoire de l’enseignante-chercheuse prend un tournant décisif. Elle rejoint le bureau de la Société mathématique de France, en tant que vice-présidente chargée de l’enseignement. Elle s’implique dans la réflexion collective autour de la réforme du lycée et de la place des mathématiques dans la société.
En janvier 2022, au lancement de la campagne présidentielle, elle écrit une note co-signée par les sociétés savantes de mathématiques et alertant sur la baisse spectaculaire de la présence des filles dans les parcours scientifiques au lycée. Une rupture historique, qui interrompt une progression continue de vingt-cinq ans. Cette prise de parole reçoit un écho considérable dans les médias.
Mélanie Guenais fonde alors le collectif Maths&Sciences, qui rassemble aujourd’hui plus de 30 associations interdisciplinaires : sociétés savantes, associations d’enseignantes et enseignants du secondaire et de classes préparatoires, associations promouvant la féminisation en sciences, ou encore représentantes et représentants du monde économique. Le collectif se construit autour d’une volonté partagée : ouvrir la formation aux sciences à un public plus large et diversifié, notamment en diminuant l’élitisme qui pèse sur les mathématiques. Avec ce groupe de réflexion, elle produit analyses, tribunes et recommandations, et interagit avec les médias, les pouvoirs publics et les institutions.
Analyse des données publiques et engagement scientifique au service de la société
En parallèle de ses prises de parole publiques, l’enseignante-chercheuse engage un travail rigoureux d’analyse des données de l’éducation. Elle rejoint le Collège de France en tant que chercheuse associée à l’Institut du monde contemporain. Elle initie un projet de recherche-action pluridisciplinaire associant professionnels de l’enseignement et de la formation scientifique, sociologues, historiennes, économistes et didacticiennes, pour documenter l’évolution de la formation scientifique. Cette démarche, située à la frontière entre la recherche et la société, revendique une volonté de transparence et de mise à disposition des outils d’analyse pour le débat public.
Projets en cours et perspectives
Actuellement basée en délégation CNRS pour développer ce projet de recherche, Mélanie Guenais envisage de poursuivre cette dynamique en 2025. Elle développe de nouvelles collaborations et poursuit les dialogues engagés avec les médias, les politiques et les entreprises tout en alimentant les réflexions collectives au sein du collectif Maths & Sciences. « C’est à l’intersection entre mathématiques, éducation et société que je trouve aujourd’hui le sens de mon travail. Comme scientifiques face aux enjeux de société, nous rendre plus accessibles, accueillir sans jugement pour former aux sciences à tous les niveaux, changer notre regard sur ce que nous croyons être l’excellence, me semblent être autant de défis qui nous incombent aujourd’hui. »