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Martin Schlumberger : Guérir le cancer de la thyroïde

Portrait de chercheur ou chercheuse Article publié le 29 janvier 2021 , mis à jour le 29 janvier 2021

Martin Schlumberger est oncologue à Gustave Roussy et professeur de médecine clinique à la Faculté de médecine l’Université Paris-Saclay. Chercheur et médecin clinicien, il lutte depuis 40 ans contre le cancer de la thyroïde, contribuant de manière décisive aux progrès remarquables dans sa guérison. Avec 10 000 nouveaux cas chaque année en France, ce cancer figure à la cinquième place des plus fréquents touchant majoritairement les femmes jeunes. 

Étudiant en médecine, Martin Schlumberger est attiré par l’endocrinologie. Lorsqu’il effectue son semestre d’internat auprès du professeur Tubiana, spécialiste de médecine nucléaire à l’Institut Gustave Roussy, il est alors « conquis » par la double approche clinique/recherche, peu répandue à l’époque. Martin Schlumberger décide de continuer en thèse auprès de lui. « J’ai développé le premier essai de la thyroglobuline en Europe, un marqueur du cancer de la thyroïde », se souvient-il. Plus tard, une formation de deux ans en médecine nucléaire au CEA-INSTN de Saclay et un post-doc à Los Angeles le ramènent tout droit à Gustave Roussy où il devient chef de clinique en 1980 dans le service du professeur Tubiana. Depuis, il trace sans relâche le sillon du cancer de la thyroïde, en explorant dès le départ toutes les facettes : recherche fondamentale, génomique, radiobiologique, biologique avec analyse des marqueurs tumoraux, et essais thérapeutiques dont la plupart sont des essais académiques.

Les cancers de Tchernobyl

En 1986, les radiations liées à l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl provoquent des cancers de la thyroïde chez les enfants et les adolescents de la région. Encouragé par l’Union Européenne et soutenu par un programme philanthropique d’EDF, Martin Schlumberger effectuera plus de cinquante allers/retours en quinze ans en Biélorussie, dans un centre médical. Il y livre des médicaments, forme les médecins et soigne près de 2 000 enfants. Cette expérience humanitaire fait progresser les recherches, en particulier pour trouver une signature génomique permettant de différencier les cancers spontanés non radio-induits de ceux qui le sont. Grâce à une collaboration avec l’équipe de Sylvie Chevillard du CEA de Fontenay aux Roses, ce travail de longue haleine sera prochainement publié en 2021.

Alléger les traitements des tumeurs bénignes

La généralisation de l’échographie ayant permis de dépister de plus en plus (d’un facteur de 7 à 8 entre 1980 et 2010) de « petites tumeurs » peu nocives, Martin Schlumberger met au point un diagnostic clinique pour les repérer et développe des traitements moins agressifs. « Il n’est plus question de traiter tous les cancers de la thyroïde comme nous le faisions à mon arrivée à Villejuif en 1980. Pour les petites tumeurs de moins d’un centimètre de diamètre, nous proposons une surveillance active, n’opérant qu’en cas d’augmentation significative de la tumeur, ce qui survient au bout de 10 ans dans 8 % des cas », explique le chercheur. Quant aux patients opérés, ils bénéficient non seulement d’une chirurgie limitée mais aussi d’une diminution, voire d’un évitement dans 80 % des cas, de leur traitement par l’iode radioactif 131 après leur opération.

Guérir les cancers graves de la thyroïde

Pour les cancers de la thyroïde évolués, le clinicien contribue avec son équipe depuis une vingtaine d’années à mettre au point de nouveaux traitements : les inhibiteurs de tyrosine kinase. « Combinés à l’immunothérapie, ils s’avèrent très efficaces, aboutissant à la guérison d’une part importante de ces malades qu’on ne guérissait pas autrefois. » Les essais thérapeutiques perdurent aujourd’hui en lien avec l’unité Intégrité du génome, réponse immunitaire et cancers (IGC – Université Paris-Saclay, Gustave Roussy, CNRS). « C’est extraordinaire de voir revenir cinq à dix ans plus tard d’anciens patients avec une bouteille de champagne à partager. Il y a 40 ans, ils n’auraient pas survécu. » 

Quantifier la qualité de vie des malades

Martin Schlumberger a effectué toute sa carrière à Gustave Roussy. « C’est un lieu unique en France. Calquée sur le modèle américain qui fait là-bas le succès de la science médicale, la symbiose entre recherche et médecine clinique y est parfaite. » Il qualifie ses liens avec l’Université Paris-Saclay d’« indéfectibles » et la réunion de tant de richesses intellectuelles de « formidable ». Sa collaboration avec le CEA existe depuis longtemps. Moins connue, la grande place occupée par les sciences humaines dans ses recherches est à l’origine de travaux médico-économiques, en collaboration avec Isabelle Borget de la Faculté de pharmacie de l’Université Paris-Saclay. « Outre la survie et le taux de rechute, qui sont deux critères essentiels pour mesurer l’efficacité des protocoles thérapeutiques administrés aux malades atteints du cancer de la thyroïde, nous effectuons en parallèle une analyse médico-économique. » Autrement dit, le coût supporté par la société pour la survie à un, deux, ou dix ans d’un patient et la qualité de la vie des patients dont on prolonge l’espérance de vie. Ces travaux sont effectués en relation étroite avec l’association de patients « Vivre sans thyroïde ».

Soigner, chercher et transmettre

Marqué par la parution de son premier article dans New England Journal of Medicine en 1998, le cancérologue compte à son actif de nombreuses distinctions et un nombre impressionnant de publications. Il fait partie des chercheurs les plus cités au monde. « On peut se blaser de tout, mais le but d’un chercheur est de faire progresser la connaissance. Or le progrès de la connaissance est reconnu par le nombre, la qualité de publications et leurs citations. » Il a dirigé l’École doctorale de cancérologie de l’Université Paris-Saclay et celle des sciences du cancer de Gustave Roussy, dont il est à l’origine. « Elle a été créée il y a une quinzaine d’années pour structurer l’enseignement en cancérologie entre l’Institut, le CHU de Bicêtre, et la Faculté de médecine. La transmission est multivecteur. Elle se fait par la recherche, la pratique commune ou le compagnonnage, et la rédaction et l’analyse des articles. » 

La cancérologie est un domaine encore très difficile pour la jeune génération de médecins, car malgré les progrès considérables, des patients meurent encore du cancer. « Nous avons besoin d’une lumière, une compensation intellectuelle et affective, conclut Martin Schlumberger. Dans notre métier, c’est la recherche et l’innovation. » 
 

Martin Schlumberger est l’auteur de plus de 350 articles originaux en langue anglaise, 80 articles de revue, 60 chapitres de livres et deux livres. Il est membre du comité éditorial de plusieurs journaux de langue anglaise. 
Professeur associé de l’Université La Sapienza de Rome, il a contribué à l’installation partout en Italie de centres d’expertises multidisciplinaires pour la prise en charge des cancers de la thyroïde.
Il a été invité à donner plus de 200 conférences invitées lors de congrès internationaux et a reçu plusieurs prix en France (dont des prix de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences) et aux États-Unis comme visiting professor dans plusieurs institutions. Il a participé aux groupes d’experts européens et américains qui ont produit des recommandations pour la prise en charge des cancers de la thyroïde. Son service a été désigné en 1997 centre de référence de l’Organisation mondiale de la santé pour la radiobiologie de la thyroïde, et en 2009 « Centre expert national pour les cancers de la thyroïde réfractaires » dans le cadre des réseaux « cancers rares » de l’INCa. Il a été également membre de plusieurs sociétés savantes, dont l’European Thyroid Association et l’American Thyroid Association, et a présidé le groupe "Tumeurs endocrines" de l’EORTC. Il a présidé l’« International Thyroid Congress » à Paris en 2010.