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Lutte biologique: quand structure du paysage agricole et dynamique de prédateurs de ravageurs sont liées

Recherche Article publié le 29 avril 2020

Des chercheurs de plusieurs laboratoires de l’Université Paris-Saclay ont procédé à des modélisations pour étudier les interactions entre la structure du paysage et la dynamique de régulation des insectes ravageurs par leurs prédateurs, et leurs impacts. Leurs résultats alimentent la réflexion quant à la conception de stratégies agroécologiques de lutte contre les ravageurs.

Dans quelle mesure la présence de fourrés, haies, prairies et autres habitats semi-naturels, autour de parcelles cultivées influence-t-elle leur rendement, en lien avec la dynamique des prédateurs de leurs ravageurs ? C’est la question à laquelle Antoine Le Gal et ses collègues des laboratoires Écologie, systématique et évolution (ESE - Université Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech), Écologie fonctionnelle et écotoxicologie des agroécosystèmes (ECOSYS - Université Paris-Saclay, INRAE, AgroParisTech) et Sciences pour l'action et le développement : activités, produits, territoires (SADAPT - Université Paris-Saclay, INRAE, AgroParisTech), ont cherché à répondre au moyen de modélisations numériques. Leurs résultats soulignent l’importance de la structure du paysage dans l’efficacité de la lutte biologique. Dans leur modèle, augmenter la proportion d’habitats semi-naturels dans un paysage agricole réduit l’impact des ravageurs sur le rendement. La proportion de parcelles attaquées puis régulées par des prédateurs se montre plus élevée, et ces prédateurs arrivent plus rapidement sur les parcelles, limitant la nuisibilité des ravageurs. Cette stratégie de régulation soulève néanmoins la question d’un compromis avec l’objectif de production, les surfaces nécessaires aux habitats semi-naturels étant retirées de la culture.

La lutte biologique par conservation à l’épreuve de notre compréhension

La lutte contre les insectes ravageurs de cultures a toujours été d’une importance cruciale pour le monde agricole. Si l’usage des insecticides fait depuis longtemps partie des solutions disponibles et reste souvent plébiscité, il est actuellement remis en question par la meilleure compréhension de ses impacts sur la santé humaine et l’environnement. En lien avec une approche agroécologique, de nouvelles solutions émergent, souvent basées sur le principe de lutte biologique par conservation. Celle-ci consiste à réguler les populations de ravageurs grâce à leurs prédateurs naturels. Une telle stratégie nécessite de restaurer une certaine quantité de surface agricole en habitats semi-naturels. Ces habitats jouent un rôle important dans le cycle de vie de nombreux prédateurs des ravageurs de cultures, en leur fournissant par exemple des lieux de reproduction ou de refuge durant l’hiver. Cependant, les résultats obtenus par les études empiriques et les mécanismes impliqués restent mal compris.

Dans leurs récents travaux, Antoine Le Gal et ses collègues se concentrent sur l’influence de la temporalité –temps de réaction des prédateurs ou âge de la plante lors de l’arrivée des ravageurs par exemple– dans l’interaction entre structure du paysage agricole et réussite de la lutte biologique. Ils montrent qu’elle est essentielle pour une régulation efficace des ravageurs et limiter les pertes de rendement des cultures. Les dates de semis, le calendrier de colonisation par les parasites et la date d’arrivée des premiers ennemis naturels sont des facteurs clés qui jouent sur la régulation des parasites et les pertes de récoltes.

Coccinelle contre pucerons, les champs de blé comme terrain de modélisation

Dans leurs modélisations, le paysage imaginé par les chercheurs comprend simultanément des parcelles d’îlots boisés et de plantes cultivées annuelles, comme le blé d’hiver. Le modèle considère que ces parcelles cultivées sont attaquées par des pucerons, puis régulées par des coccinelles, des ennemis naturels importants. La surface totale convertie en habitats semi-naturels à l’échelle du paysage varie au cours des simulations, pour déterminer son influence sur l’efficacité de la lutte biologique. Celle-ci est décrite à travers le taux de parcelles cultivées, puis attaquées et régulées en fin de campagne annuelle, et les pertes moyennes de rendement sur une parcelle cultivée.

Les chercheurs ont montré que le taux de visite – la proportion de cultures colonisées par des pucerons et visitées par les coccinelles - augmente très fortement avec la quantité d’habitats semi-naturels présents autour des cultures. Un des scénarios comprend par exemple un déplacement « aléatoire » des coccinelles -  elles n’utilisent pas d’information sur leur environnement immédiat pour se déplacer. Dans ce cas, toutes les parcelles cultivées et attaquées par des pucerons sont régulées par des coccinelles si au moins 50 % du paysage est couvert d’habitats semi-naturels. Mais des proportions beaucoup plus importantes d’habitats sont nécessaires pour ramener les pertes moyennes de rendement à un niveau acceptable.

C’est bien en améliorant les connaissances sur l'écologie des ravageurs et de leurs prédateurs, et sur les relations qu’ils entretiennent avec les pertes de rendement des cultures qu’émergeront de nouveaux types de paysages agricoles. Plus favorables aux stratégies de lutte biologique, ces paysages seront compatibles avec une gestion agroécologique et sauront préserver l’environnement et la santé humaine, tout en produisant de quoi nourrir les agriculteurs et la population.

 

Référence : Le Gal, A. et al., Modelling the interactions between landscape structure and spatio-temporal dynamics of pest natural enemies: Implications for conservation biological control. Ecological Modelling, Vol. 420, March 2020.