LumiSync : La photonique au service des data centers nouvelle génération
Née au Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N – Univ. Paris-Saclay/CNRS/Univ. Paris Cité), LumiSync développe le premier oscillateur 100 % photonique au monde. Une innovation qui transforme la synchronisation des réseaux de serveurs, en réduisant drastiquement leur consommation énergétique. Lauréate du concours i-Lab 2025, la start-up deeptech entre dans une phase d'industrialisation stratégique.
En 2017, au Centre de nanosciences et de nanotechnologies (C2N), Giuseppe Bravo Modica, aujourd’hui Chief Technology Officer (CTO) de LumiSync, entame une thèse sous la direction de Rémi Braive, enseignant-chercheur spécialisé en matériaux et interactions optiques, aujourd’hui Chief Scientific Officer (CSO) de la start-up deeptech. Ensemble, ils explorent un nouvel oscillateur photonique, dispositif capable de générer des signaux lumineux ultrastables et ultra-rapides.
En juin 2022, leurs résultats sont suffisamment probants pour obtenir un financement de prématuration de deux ans auprès de CNRS Innovation, la structure nationale de valorisation et de transfert de technologie du CNRS. Cela aboutit à une première preuve de concept (POC) qui valide la faisabilité technologique du projet. En parallèle, en 2023, le duo rejoint le programme RISE, dispositif d'accompagnement entrepreneurial organisé par la même structure. Ils y rencontrent Alexis Jonville, alors entrepreneur en résidence et aujourd’hui CEO de LumiSync. Ingénieur diplômé de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI Paris), il effectue des stages de recherche au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et chez IBM dans la Silicon Valley, avant de compléter sa formation par un double diplôme à HEC. « J'avais envie de mettre mon profil hybride, à la fois scientifique et business, au service d'un projet de rupture technologique. » En avril 2024, il rejoint LumiSync à temps plein.
Un contexte de marché porteur
Le projet s'inscrit dans un contexte où l'intelligence artificielle explose et où les besoins en traitement de données décuplent. Les infrastructures numériques sont aujourd'hui responsables d'environ 3 % des émissions mondiales de CO₂, une part qui atteindrait les 10 % d'ici 2030 si les technologies actuelles restaient dominantes. « Aujourd'hui, l'électronique atteint ses limites après plus de 70 ans d'amélioration continue. Et rendre un système électronique plus rapide implique nécessairement d'augmenter drastiquement sa consommation énergétique. »
LumiSync se positionne face à trois types de solutions actuelles du marché. Les oscillateurs à cristaux, technologie dominante depuis des décennies, ne peuvent plus suivre les débits actuels sans surchauffe. Les architectures hybrides opto-électroniques représentent une amélioration, mais leur composante électronique reste un goulot d'étranglement. Certains acteurs tentent une troisième voie, à savoir faire de la synchronisation optique en utilisant des oscillateurs électroniques, mais cela ne fait que contourner le problème. Avec la rupture radicale que propose LumiSync, il devient possible d’éliminer totalement l'électronique de la chaîne de synchronisation.
L'oscillateur photonique : une première mondiale
La photonique transporte l'information sous forme de rayons lumineux dans des fibres optiques plutôt que sous forme de courants électriques dans des fils de cuivre. Ce qui offre deux avantages majeurs : une vitesse de traitement à la vitesse de la lumière et une réduction massive de la consommation énergétique, puisque la génération de lumière demande moins d'énergie que celle de courant électrique.
LumiSync applique ce principe photonique à un composant clé des systèmes informatiques, l'oscillateur. Cet élément veille à ce que chaque composant d'un réseau partage la même information au même instant. Dans un data center de nouvelle génération, qui regroupe plusieurs dizaines de milliers de serveurs et où les débits atteignent 1,6 térabit par seconde voire au-delà, il garantit la cohérence de ces serveurs et leur bon fonctionnement en temps réel. Et la précision de cette synchronisation conditionne la vitesse de calcul, la fiabilité des échanges et la sécurité des données. « Nous faisons avec la lumière ce que l'électronique fait aujourd'hui avec le courant, mais à la vitesse de la lumière. »
Trois familles de brevets protègent cette technologie : le design de l'oscillateur, le protocole de fabrication et la création de réseaux de synchronisation photoniques.
Un écosystème d'accompagnement structurant
LumiSync s’ancre dans un environnement scientifique et technologique robuste. Hébergée au C2N à Palaiseau (Essonne), l’équipe bénéficie d’un accès direct aux infrastructures de micro et nanofabrication du plateau de Saclay, indispensables pour produire ses oscillateurs. La SATT Paris-Saclay, qui négocie les licences de brevets au nom du CNRS, finalise début 2025 le transfert de propriété intellectuelle vers la start-up et finance deux ingénieurs dédiés au projet dans le cadre de la maturation. Ce cadre institutionnel facilite pour LumiSync le passage du laboratoire à l’entreprise.
Depuis 2024, la start-up bénéficie de l’accompagnement d’IncubAlliance, l’incubateur de la recherche publique du cluster Paris-Saclay, qui l’aide à structurer sa stratégie et à décrocher le concours d’innovation de BPI France i-Lab 2025. Elle profite également du soutien de 21st, l’accélérateur de CentraleSupélec, et de la chaire DataIA, qui facilite des échanges avec l’écosystème taïwanais des semi-conducteurs.
LumiSync se distingue aussi en 2024 lors du concours de pitchs Spring 50 du salon Spring Paris-Saclay, et en 2025, en étant finaliste du prix de l’innovation de l’année lors du salon VivaTech, le rendez-vous innovation annuel d’envergure internationale à Paris.
L'étape critique du passage à l'échelle
La technologie de LumiSync se situe aujourd'hui à un Technology Readiness Level (TRL) entre 4 et 5. Cette échelle, mise au point par la NASA, mesure la maturité d'une technologie depuis l'idée initiale (TRL 1) jusqu'au produit industrialisé (TRL 9). À ce stade, LumiSync dispose d'un prototype validé en laboratoire. « Nous nous trouvons dans ce qu'on appelle la vallée de la mort pour les start-up technologiques. C'est le moment où l'on a besoin de beaucoup de ressources pour transformer un prototype de laboratoire en un produit industriel. » Pour franchir cette étape, en complément des financements déjà obtenus, l'équipe prépare une levée de fonds de 3 millions d’euros attendue d’ici la fin 2025. Elle lance également ses premiers recrutements d'ingénieurs R&D et produit, afin de renforcer ses capacités de développement technologique.
Stratégie industrielle et ambitions
Des discussions sont actuellement engagées avec plusieurs grands intégrateurs de composants pour serveurs, en Europe, en Asie et aux États-Unis. L'objectif est de codévelopper des prototypes industriels testés en conditions réelles dès 2026 (TRL 6), puis de réaliser les premières intégrations pilotes dans des architectures de serveurs de nouvelle génération en 2027 (TRL 7). LumiSync souhaite ainsi travailler avec des entreprises afin de tester sa technologie en l’intégrant dans leurs architectures existantes et confirmer qu'elle fonctionne et qu'elle apporte toute la valeur ajoutée promise, puis de monter en échelle progressivement. « Notre projet prouve qu'une recherche académique de long terme peut déboucher sur une technologie stratégique pour l'industrie et pour la planète. Nous sommes fiers de proposer une innovation qui change la donne en termes de performances et de sobriété énergétique. »