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Les architectes tendent l’oreille

Recherche Article publié le 31 mars 2021 , mis à jour le 31 mars 2021

Comment faire jouer des musiciens ou écouter un bruit ambiant dans un espace virtuel ? Comment appréhender le rendu acoustique d’une salle qui n’existe pas encore ? Des questions au cœur des nouvelles technologies d’auralisation, pour fournir de nouveaux outils aux architectes et aux acousticiens.

 

Un orchestre, un bruit ambiant, des gens qui discutent. Tant de situations qu’un architecte voudrait entendre avant de mener son projet à bout. Ces dernières années, la réalité virtuelle a connu des avancées formidables, dont l’architecture ou la recherche pourrait amplement profiter. « Lors d’un projet architectural, on visualise, en amont de la conception, les espaces à l’aide de modèles 3D. Au même titre, sur la partie acoustique, on peut auraliser l’espace, c’est-à-dire simuler son acoustique pour tester diverses configurations et arrêter des choix de design », explique David Théry, ancien doctorant du LIMSI (fusionné avec le LRI au 1er janvier 2021 pour former le Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique (LISN) - Université Paris-Saclay, CNRS, CentraleSupélec, Inria) et dont la thèse portait globalement sur la fiabilité des technologies d’auralisation.

 

Une technologie éprouvée

Si la possibilité d’entendre l’acoustique d’une salle avant sa conception semble particulièrement adaptée aux architectes, elle reste peu utilisée dans des projets architecturaux. Elle l’a été plus largement en recherche, pour l’étude de la perception auditive ou encore la reconstitution archéologique de lieux historiques. À titre d’exemple, un projet est actuellement mené par la chercheur Brian Katz de l’Institut Jean Le Rond d’Alembert (CNRS, Sorbonne Université) pour une reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris qui rétablirait au mieux l’acoustique de l’édifice.

Cette technologie nécessite une compétence professionnelle, mais les ressources internes font parfois défaut. « À l’heure actuelle, quand un acousticien prend part à un projet architectural, il crée un modèle et donne des paramètres objectifs, tels que le temps de réverbération, les indices de clarté et d’autres indices plus spatiaux basés sur les corrélations entre les signaux qui arrivent aux deux oreilles des auditeurs et qui caractérisent le champ sonore, explique David Théry. Il expose ensuite l’analyse de ses résultats à son client, qui doit lui faire confiance sans pouvoir expérimenter le rendu. » 

C’est là qu’interviennent les auralisations : grâce à elles, l’acousticien est capable de mettre son client en situation, de lui faire écouter le rendu sonore du projet architectural visé et ce dans différentes configurations. En d’autres termes, elles lui permettent de visualiser acoustiquement l’espace.

 

Des salles réelles aux espaces virtuels

Microphones et têtes factices pour essais auralisation Cité de la Musique Paris

Pour vérifier la fiabilité de cette technique, David Théry a travaillé en collaboration avec des bureaux d’études en acoustique sur des caractérisations de salles existantes, comme la salle de concert du Nouveau Siècle à Lille ou la Cité de la musique à Paris. Cette caractérisation exploite des réponses impulsionnelles, le son enregistré dans l’espace après un clappement de mains par exemple. Le son direct est le premier à atteindre le récepteur. Il est suivi de réflexions précoces éparses sur les parois puis du son dit diffus, résultant de réflexions multiples plus denses. Cette réponse est une signature de l’espace auralisé et porte les paramètres objectifs, tels que les temps caractéristiques de l’atténuation sonore appelés temps de réverbération et indices de clarté.

À partir de la géométrie de l’espace et des propriétés d’absorption et de diffusion des parois, cette réponse impulsionnelle peut également être simulée et une salle virtuelle auralisée. Mais du fait de la simplification des hypothèses indispensable à la simulation – le son est considéré comme un rayon et non comme une onde -, certains paramètres doivent être calibrés avec des réponses mesurées. « Le but est de vérifier si les différences restent perceptibles. Quand on dit que deux auralisations sont identiques, c’est que leurs différences se situent en dessous d’un certain seuil de perception », signale David Théry.

Une fois la signature acoustique de l’espace déterminée, qu’elle soit mesurée ou simulée, un son de paroles ou musical peut y être joué, via une convolution entre ces signaux et la réponse de la salle. Les enregistrements se réalisent dans des chambres dites anéchoïques : un espace dépourvu de toute réverbération grâce aux dièdres de mousses qui en tapissent les parois. L’acousticien peut alors faire écouter ce son à l’architecte qui a conçu cet espace. D’autres aspects de complexité peuvent également s’ajouter à cette phase de calculs, pour gagner en réalisme. C’est le cas des rotations de la direction d’écoute liées à un suivi de l’orientation de la tête de l’auditeur, qui donnent l’impression de naviguer dans l’espace en réalité virtuelle. L’architecte redécouvre alors son projet, y écoute des musiciens, des gens discuter ou toute autre situation acoustique.

À titre d’exemple, David Théry a travaillé en collaboration avec le bureau d’étude Theatre Projects sur la conception d’un atrium polyvalent accueillant des orchestres, mais également des banquets ou des réceptions de conférences. 

 

De la salle aux écouteurs

Chambre anéchoïque

Autre point abordé par David Théry : une même auralisation se doit d’être consistante en fonction du système de rendu utilisé. Car la perception auditive est sujette à de très nombreux attributs subjectifs, réduits à six principaux dans les travaux du jeune chercheur, comme la réverbération, l’enveloppement ou la distance perçue. « Les attributs subjectifs permettent l’évaluation subjective de la simulation. Les temps de réverbération, les indices de clarté, la corrélation interaurale représentent la part objective. Ce que l’on vise, c’est de faire les liens entre ce qui est mesurable et ce que les gens perçoivent. Typiquement, un temps de réverbération long crée un rendu flou, non pas au niveau visuel mais auditif. » 

David Théry a donc réuni un panel d’auditeurs couvrant une large gamme d’expertise, des acousticiens aux clients potentiels, pour tester la perception des auralisations sur un réseau 3D de haut-parleurs, dit ambisonique, comme ceux des espaces de projection présents au LISN (ex-LIMSI), ou en binaural sur un simple casque. Ces travaux ont conclu sur une relative stabilité des attributs perceptifs en fonction de ces différentes situations et appareils, notant toutefois un impact du système de rendu sur les attributs liés à la spatialisation sonore. Un tel usage de l’auralisation sur des dispositifs plus simples d’utilisation et ergonomiques l’ouvre plus concrètement à des applications industrielles. 

Aujourd’hui fondateur de la société Opera Sound & Space, David Théry poursuit ses travaux sur l’acoustique virtuelle, notamment avec l’Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (IRCAM – Centre Pompidou, Ministère de la culture, Sorbonne Université, CNRS). Il continue à collaborer avec Theatre projects, ce qui laisse présager de nouvelles avancées de l’auralisation de la réalité virtuelle et augmentée dans le domaine de l’architecture.

 

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