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La dynamique des phénomènes météorologiques extrêmes

Recherche Article publié le 23 juin 2023 , mis à jour le 23 juin 2023

Cet article est issu de L'Édition n°21.

 

Alors que les événements extrêmes sont voués à se multiplier dans le cadre des changements climatiques, il est plus que jamais essentiel de comprendre et prédire leurs comportements. Dans cette optique, des scientifiques de l’Université Paris- Saclay explorent les catastrophes naturelles et les phénomènes météorologiques qui se produisent aux quatre coins du globe : feux de forêt, éruptions volcaniques, précipitations et tempêtes. Ces spécialistes en dynamique des fluides n’ont pas leur pareil pour décortiquer les mouvements de l’air et de l’eau. 

Tout comme les incendies, dont certains de grande ampleur ont marqué les récents épisodes de sécheresse, les éruptions volcaniques dégagent d’énormes panaches de fumée qui se propagent dans l’air. Outre de la lave, un volcan en éruption éjecte des matériaux et des gaz remontés des couches internes de la Terre. Alors qu’on dénombre en moyenne une soixantaine d’éruptions chaque année – d’aucunes ponctuellement majeures – sur les quelque 1 500 volcans actifs sur Terre, le nombre d’incendies liés à la sécheresse est lui amené à se multiplier avec le réchauffement climatique. Or, outre les conséquences que de tels événements ont sur la faune, la flore et les infrastructures locales, et les risques qu’ils occasionnent pour les populations, les panaches libérés affectent également l’atmosphère et modifient le climat à l’échelle du globe. Mais de quelles façons ? 

 

Des panaches qui tourbillonnent

Sergey Khaykin, chercheur au Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (LATMOS – Univ. Paris-Saclay, UVSQ, CNRS, Sorbonne Univ.), suit à la trace les trajectoires de ces colonnes de gaz, de cendres et d’aérosols émises lors des événements afin de répondre à cette question. « Les panaches de fumée sont rapidement dissous dans la troposphère, la couche de l’atmosphère la plus proche du sol, à cause des turbulences créées par les vents qui y soufflent. Mais dans le cas d’un incendie de grande ampleur ou d’une éruption très explosive, le panache atteint la stratosphère, une couche beaucoup plus calme située à plus de 13 km au-dessus du sol », remarque le chercheur. Ce panache peut alors y rester cohésif pendant des mois. Entraîné par les vents comme une montgolfière, il fait plusieurs fois le tour du globe. 

Alors que certains panaches s’étiolent au cours du temps, d’autres tournent et forment des vortex cohésifs. « Ce phénomène a été mis en évidence lors des incendies en Australie en 2020, explique le chercheur du LATMOS. Ce tourbillon a persisté dans la stratosphère pendant plus de trois mois et soulevé une énorme bulle confinée de fumée, jusqu’à 35 km d’altitude. En raison de l’ampleur de la catastrophe, le vortex était tellement énorme que nous n’avons pas pu le manquer. » Pour qu’un tel tourbillon se crée, quatre conditions doivent être remplies : le panache doit atteindre la stratosphère, bénéficier d’une météo estivale sans vents violents, être plus chaud que l’air environnant, ce qui actionne sa rotation initiale, et enfin être assez loin de l’équateur pour que le mouvement rotatif soit accentué par la force de Coriolis, une force inertielle issue de la révolution de la Terre sur elle-même et plus prononcée à proximité des pôles. 

 

Les volcans s’en mêlent

« Dès lors qu’un feu de forêt atteint une haute altitude, il est assez puissant pour que les autres conditions soient remplies, confie Sergey Khaykin. En revanche, nous avons longtemps pensé que les panaches de volcans ne pouvaient pas avoir le même comportement, à cause de leur composition différente. » Car là où les feux de forêt dégagent des aérosols carbonés qui s’échauffent sous l’action du soleil, les panaches volcaniques sont en grande partie composés de gouttelettes sulfatées, qui absorbent peu le rayonnement solaire. Mais des observations récentes remettent en question ce paradigme. « Grâce aux nouveaux instruments au sol et aux satellites mis en service par l’Agence spatiale européenne (ESA), nous scrutons l’atmosphère dans les moindres détails. En 2019, lors d’une éruption du volcan russe Raikoke situé sur les îles Kouriles, nous avons eu la surprise d’observer un panache très foncé qui a gardé une forme cohérente, a pris de l’altitude et a tourné sur lui-même. Les éruptions volcaniques sont donc elles aussi capables de créer ces vortex à longue durée de vie, si elles dégagent beaucoup de cendres. » 


Analyser les conséquences globales

Comprendre la dynamique des panaches s’avère essentiel pour prédire leurs effets. Dans le cadre d’un vortex étroit, ces derniers sont locaux et forts : « Les feux géants de 2020 ont fragilisé la couche d’ozone et ont surexposé l’Australie aux rayons UV », cite en exemple Sergey Khaykin. À l’inverse, un panache diffus a plutôt des conséquences globales, telles celles provoquées par l’éruption du volcan sous-marin Hunga Tonga, en janvier 2022. Situé à proximité des îles Fidji, en plein océan Pacifique sud, ce volcan de l’archipel des Tonga devient à cette époque le théâtre d’une éruption d’une explosivité extrême. Le panache dégagé atteint l’altitude record de 58 km et, en se délitant, couvre presque tout le globe. Le volcan étant trop proche de l’équateur et la fumée pauvre en cendres, aucun tourbillon n’est toutefois créé. 

Alors que les grandes éruptions volcaniques diminuent généralement la température globale de la Terre en bloquant les rayons du soleil avant qu’ils n’atteignent le sol, l’effet de celle du volcan Hunga Tonga s’avère bien différent. « L’eau de mer vaporisée par cette éruption sous-marine a augmenté de 13 % la concentration en vapeur d’eau dans la stratosphère. C’est comme si l’on y avait détourné le cours du fleuve Amazone pendant dix minutes. » La vapeur d’eau étant un gaz à effet de serre, ce surcroît dégagé dans l’atmosphère aura pour conséquence de réchauffer le climat mondial pour au moins les cinq prochaines années, avant de se dissiper. 

 

Une côte irlandaise tempétueuse

Hasard des expériences, alors que les ondes de pression générées par l’éruption du volcan Hunga Tonga font le tour du globe, elles sont involontairement captées par la station scientifique du Centre Borelli (Univ. Paris-Saclay, CNRS, ENS Paris-Saclay, Univ. Paris Cité, SSA) installée sur l’île Inis Meáin, au large de la côte ouest de l’Irlande. Après avoir capté ce signal, l’équipe de Frédéric Dias partage cette curiosité avec les élèves de l’école locale, « qui ont réalisé que ce qui se passe à l’autre bout du monde peut les affecter. Un parallèle avec le changement climatique a rapidement été établi », commente le mathématicien du Centre Borelli. 

Construite au cours des trois dernières années par l’équipe de Frédéric Dias, cette station d’observation a pour objectif d’inspecter un autre phénomène naturel et sa dynamique : le déferlement des vagues. Le choix d’un emplacement aussi isolé, sur une île de l’archipel d’Aran de quatre kilomètres de long et d’une centaine d’habitantes et d’habitants, ne doit rien au hasard. « Nous avons choisi de nous plonger dans les conditions les plus extrêmes : la côte ouest de l’Irlande reçoit de plein fouet toutes les tempêtes qui arrivent de l’océan Atlantique. C’est peut-être l’endroit d’Europe où les vagues sont les plus énergétiques », signale Frédéric Dias. 

 

Déferlement de vagues

Son équipe porte notamment le projet HIGHWAVE, lancé en 2019 et financé par une bourse ERC Advanced Grant du Conseil européen de la recherche. L’un de ses objectifs est d’améliorer les prévisions de hauteur des vagues en haute mer. Cette « météo » des vagues est utile aux porte-conteneurs et aux ferries, qui risquent la submersion en cas de vagues démesurées. Pour l’heure, la prédiction reste imprécise. « Nous avons des années de retard sur la météorologie de l’atmosphère », souligne Frédéric Dias. 

Pour l’améliorer, il s’agit de prendre en compte le déferlement des vagues dans les modèles physiques. Lorsque la hauteur d’une vague devient trop élevée sous l’action du vent, la vague se brise et crée des turbulences, mises en évidence par la formation d’écume. « Lors de ce déferlement, le système n’est plus linéaire et il devient alors extrêmement difficile de comprendre son comportement », commente Frédéric Dias. C’est pourtant à cette tâche que se sont attelés les membres de son équipe grâce aux différents instruments installés dans la station. « Nous y avons amené un sismomètre pour mesurer les vibrations causées par le fracassement des vagues contre les falaises, une station météorologique pour suivre l’évolution des vents, un radar haute résolution et des bouées bardées de capteurs, embarquant GPS et accéléromètre. » Malgré l’environnement hostile, tous les équipements installés tiennent bon. 

 

Le fracas des vagues contre les rochers

Avant le début du projet HIGHWAVE, les chercheurs et chercheuses remarquent sur l’île la force magistrale des vagues. En témoignent les blocs de pierres de plusieurs centaines de tonnes déplacés lors des tempêtes hivernales. Des phénomènes que l’équipe tente de reproduire en laboratoire. « Pour comprendre l’action et la force des vagues, nous avons préalablement effectué des expériences à échelle réduite », confie Frédéric Dias. Le protocole comprend un générateur de vagues frappant des blocs intelligents de 8 kg remplis de capteurs, et une caméra ultra-rapide. « Quand la crête et le creux de la vague frappent le bloc au même endroit, c’est là que la pression est la plus forte. » Dès lors, la clé pour obtenir un déplacement de bloc maximal est de combiner forte pression et longue durée d’impact. 

L’équipe s’attache désormais à transposer cette expérience au cadre de la côte irlandaise. « Nous avons instrumenté une demi-douzaine de blocs d’une tonne avec des capteurs de pression et d’accélération, puis observé leurs déplacements en continu pendant plusieurs mois », développe Frédéric Dias. Ces observations, encore en cours, seront par la suite combinées avec du calcul numérique pour modéliser les déplacements des blocs. Les recherches du projet HIGHWAVE seront valorisées grâce à une bourse ERC Proof of concept que le chercheur a reçue dernièrement pour son projet REALTIMESEA ou Real-time measurements of oceanic waves using connected buoys and mobile stations (Mesures en temps réel des vagues océaniques à l’aide de bouées connectées et de stations mobiles). Enchantés par la qualité des données déjà recueillies, les scientifiques souhaitent pérenniser la station, afin d’en faire un lieu d’accueil d’équipes de scientifiques du monde entier. 

 

L’érosion goutte à goutte

Si la puissance d’une mer déchaînée n’a rien de comparable avec l’impact d’une goutte d’eau, à l’échelle d’une pluie torrentielle, cette dernière possède aussi un potentiel destructeur. La chercheuse Claude Mügler, du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE – Univ. Paris-Saclay, CNRS, CEA, UVSQ), s’intéresse aux conséquences qu’ont les précipitations des moussons sur un bassin versant du nord du Laos, une région tropicale montagneuse en pleine mutation. La végétation au sol y est de plus en plus rare, puisque les cultures vivrières font place aux plantations de tecks, beaucoup plus lucratives, le bois de teck étant ensuite exporté. Or, lors de la saison des pluies, l’eau interceptée par les feuilles de tecks, qui sont très grosses, forme d’énormes gouttes qui, en tombant, érodent le sol et empêchent la croissance de végétation sous les arbres. « Le lessivage des sols est devenu une préoccupation importante, car il augmente l’érosion et répand dans l’environnement des bactéries fécales issues du lisier des animaux d’élevage », explique Claude Mügler. 

Sur place, des scientifiques de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), avec lesquels collabore la chercheuse du LSCE, ont installé un dispositif expérimental afin de comprendre l’interaction des gouttes de pluie avec un sol nu. Sur un versant pentu, une pluie artificielle, dont le débit et la puissance sont contrôlés, arrose de petites parcelles de sol nu d’un mètre carré chacune. Un astucieux procédé vient imiter l’action mécanique de l’herbe et de la végétation basse. « La moitié de chaque parcelle est recouverte d’une moustiquaire. Placée à quelques centimètres du sol, elle laisse passer l’eau mais brise l’énergie cinétique des gouttes d’eau, tout comme le ferait un couvert végétal », détaille Claude Mügler. On observe alors une vraie différence entre les deux demi-parcelles de terrain. « Sans moustiquaire, des croûtes boueuses se forment sous l’impact des gouttes de pluie. Le milieu devient vite imperméable. C’est l’effet “ splash ”, qui amplifie le ruissellement, l’érosion et le lessivage des bactéries du sol. » 

 

Trouver l’équation qui décrit le ruissellement

À partir des données recueillies sur le terrain par ses collègues de l’IRD, la chercheuse modélise la quantité d’eau ruisselante et le déplacement des bactéries E. coli contaminant les sources d’eau potable des environs. Elle construit des équations pour l’écoulement et le transport, dont chaque terme correspond à un processus physique, comme la capacité du sol à laisser s’infiltrer l’eau. Elle prend également en compte l’évolution des propriétés du sol en fonction du temps et de l’épaisseur de la lame d’eau qui ruisselle. 

Trouver la bonne équation pour décrire le comportement de l’eau et les bonnes valeurs des paramètres se fait par la méthode d’essai/ erreur. Les outils numériques employés testent une multitude de combinaisons et ne gardent que celles dont les résultats simulent le mieux les expériences de terrain. « J’ai utilisé le code Cast3M, une boîte à outils qui permet de construire des petits blocs d’équation et de les associer comme des briques de LEGO®. Les paramètres sont ensuite calibrés, mais il faut toujours l’oeil d’un expert ou d’une experte pour s’assurer de la validité des résultats », précise la chercheuse. Ces travaux multidisciplinaires fournissent une nouvelle compréhension des dégradations qu’occasionnent des gouttes de pluie sur un sol nu et de leurs conséquences sanitaires. 

Toutes ces recherches apportent un éclairage nouveau sur les événements extrêmes associés aux changements climatiques, sur la détérioration des milieux naturels et leurs effets sur les populations. Comme autant de nouvelles mises en garde. 

 

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