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Jumeau numérique : une image virtuelle capable de dire l’avenir

Recherche Article publié le 10 novembre 2022 , mis à jour le 10 novembre 2022

(Cet article est tiré de L'Édition n°19)

Grâce à la modélisation numérique et à l’apport des données, les scientifiques de l’Université Paris-Saclay prévoient le comportement d’un système réel et anticipent les aléas. 

Relativement nouveau dans le paysage industriel, le jumeau numérique promet de bouleverser les usages en vigueur. Fruit d’un couplage entre simulation et données, il fournit l'image numérique d’un système réel (machine, pièce ou procédé) qu’il modélise le plus fidèlement possible. Grâce à lui, prédire le fonctionnement du système et trouver de nouvelles façons de fonctionner deviennent possibles. Il figure au coeur des recherches de plusieurs laboratoires de l’Université, dont le Laboratoire de mécanique Paris-Saclay (LMPS – Univ. Paris-Saclay, CentraleSupélec, ENS Paris-Saclay, CNRS).

 

Une boucle d’échanges

Pour mettre au point cette modélisation hyperréaliste, les scientifiques utilisent des modèles physiques, comme ceux de la mécanique des milieux continus, qu’ils enrichissent par des données issues du réel, fournies par des capteurs placés au niveau du système. Pour autant, le jumeau numérique n’est pas une simple copie virtuelle et statique du système. La modélisation évolue en fonction des informations récoltées. On parle notamment de systèmes d’applications dynamiques pilotées par les données (DDDAS). Système réel et jumeau numérique dialoguent de façon dynamique et continue. « Le système physique envoie des données expérimentales au jumeau numérique par l’intermédiaire des capteurs. Cela permet de recalibrer le modèle si le système réel évolue ou dévie de son fonctionnement supposé, explique Ludovic Chamoin, responsable de l’équipe STAN au LMPS et familier de cette boucle rétroactive. Le jumeau numérique devient capable de prédire ce qu’il se passera avant que cela n’ait lieu. Cela facilite la prise de décision et évite d’entrer dans une zone critique de fonctionnement du système. » 

Tout l’enjeu est d’obtenir un modèle le plus adéquat possible. « Si le modèle est trop compliqué, il sera difficile de réaliser la simulation et de faire des prédictions en un temps raisonnable. A contrario, s’il est trop simple, on ne comprendra rien du phénomène étudié. » 

 

Anticiper le comportement face à l'endommagement

Au LMPS, Ludovic Chamoin et ses collègues s’intéressent au comportement de structures mécaniques en béton ou en matériaux composites soumises à des phénomènes d’endommagement. En collaboration avec le Service d’études mécaniques et thermiques (SEMT – Univ. Paris- Saclay, CEA), son équipe a récemment appliqué une stratégie de recalage dynamique de modèle lors d’essais sismiques sur table vibrante. « La maquette de bâtiment étudiée s’endommageant au cours de l’essai, ses propriétés changent. Définie à partir d’une structure saine, la loi de commande perd peu à peu son efficacité et cela compromet la façon dont on pilote la table, avec des risques d'instabilité. » Grâce à des accéléromètres placés sur la structure, des mesures sont venues enrichir le modèle afin de modifier la loi de commande à la volée et de prendre en compte l’évolution de la structure. « L’idée est de ne pas arrêter les essais mais d’évaluer l’endommagement de la structure en continu et en temps réel. » 

Le projet DREAM-ON, lauréat d’une bourse ERC Consolidator Grant en 2021, ambitionne d’aller encore plus loin : vers des structures mécaniques intelligentes et connectées, capables de contrôler leur état de santé et de s’adapter de façon autonome au cours de leur utilisation. Ici, un réseau de fibres optiques sensibles à la déformation est noyé dans le matériau. « Ce côté “embarqué” donne accès, en temps réel et avec une très grande résolution spatiale, à ce qu’il se passe dans la structure », commente Ludovic Chamoin. 

À terme, DREAM-ON projette de fournir une preuve de concept sous la forme d’une expérience où l’intégrité d’une structure réelle sous chargement contrôlé est préservée. Une des difficultés réside dans le traitement du signal, car il faut recaler le modèle en temps réel. « On voudrait atteindre une prédiction de l’ordre de la seconde. » Pour cela, l’équipe compte s’appuyer sur l’intelligence artificielle (IA). « On part d’une loi de comportement assez simple mais représentative de ce qu’il se passe et l’IA ajoute ce qu’on ne connaît pas et qu’on ne sait pas modéliser analytiquement. On l’apprend grâce au machine learning, en croisant des connaissances issues des sciences de l’ingénieur et des matériaux, de la thermodynamique et des lois de physique fondamentales. » Les applications se situent notamment dans le domaine des éoliennes. « Toutes les structures qui s’endommagent aléatoirement, résume Ludovic Chamoin. On souhaite savoir quand agir, ne pas le faire trop tôt car on cherche à mettre ce type de structure le moins possible à l’arrêt. » 

 

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